Le milieu du droit en est bien un que je ne comprendrai jamais, même après avoir vu mon ancienne colocataire passer à travers trois ans de bac. C’est de cette incompréhension pour le milieu que m’est venue l’envie de lire Royal. Je voulais comprendre, un peu, ce que c’était. J’avais entendu des histoires d’alcool, des trucs pas très catholiques, sans plus. En me plongeant dans le second roman de Jean-Philippe Baril Guérard, j’ai tout de suite été absorbée par l’histoire, son ampleur et son absurdité.
La faculté de droit de l’Université de Montréal est le dépotoir de l’humanité. Tu le sais : t’en es le déchet cardinal. Tu viens de commencer ta première session, mais y a pas une minute à perdre : si tu veux un beau poste en finissant faudra un beau stage au Barreau et si tu veux un beau stage au Barreau faudra une belle moyenne au bacc et si tu veux une belle moyenne au bacc faudra casser des gueules parce qu’ici c’est free-for-all et on s’élève pas au-dessus de la mêlée en étant gentil. Être gentil, c’est être herbivore, c’est se vautrer dans la médiocrité, et toi tu comprends pas la médiocrité, tu aimes pas la médiocrité, tu chies sur la médiocrité. Toi, t’es venu ici pour être le roi de la montagne, et le début des cours, c’est le début du carnage.
Ce que je trouve absurde, c’est que je n’ai aucune misère à croire que tout ce que j’ai lu dans ce livre est vrai. C’est que certaines personnes ressentent une pression et une obligation de performer tellement fortes qu’ils en viennent à la dépression, au mal de vivre, aux pensées suicidaires, à saboter tout ce qui les entoure. Ce que je trouve encore plus absurde, c’est que ça fait partie de la game du milieu et clairement des non-dits du métier.
J’ai trouvé que la façon dont l’auteur met à l’avant-plan toute cette structure de pensée et d’action est géniale. Non seulement dans le ton, mais aussi dans la narration au tu, dans l’entièreté du ressenti qui émane de ce roman. Il dépeint avec justesse des personnages pour lesquels on ne peut s’empêcher d’avoir de la pitié et de la sympathie à la fois. C’est tellement gros, tellement intense et tout ça pour quoi? Beaucoup de poudre aux yeux et un beau stylo Mont-Blanc pour signer ses contrats.
Le milieu du droit n’est ici que prétexte, mais il s’y prête parfaitement. Jean-Philippe Baril Guérard a su dépeindre un milieu et les gens qui y sont de manière si caricaturale et vraie à la fois que ça en est dérangeant. Chacun des personnages, surtout celui qui est « Tu » tout au long du roman, est la caricature du fils unique, bien nanti, intelligent qui réussit tout, depuis toujours. Royal est le portait de ce qui arrive quand ce « Tu » ne réussit plus tout ce qu’il entreprend aussi bien qu’il le croyait, lui qui a toujours été mis sur un piédestal. Ce roman raconte la chute et les luttes de quelqu’un qui ne s’est jamais fait « péter sa bulle » et qui n’a jamais eu d’autre porte de sortie que celle de la réussite.
Royal c’est aussi une grosse critique du culte de la performance, « du sentiment naturel de supériorité des classes dominantes » — quatrième de couverture — d’une génération et d’un milieu où l’apparence, la performance et le rendement sont au coeur de tout, sans laisser de place à autre chose, quitte à s’amocher et périr en chemin.
C’est cynique, absurde, réaliste, déroutant et à lire, vraiment.
Le fil rouge tient à remercier les Éditions de Ta mère pour le service de presse.
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