Le titre reste vague, son long sous-titre pareillement, mais tout prend son sens une fois dépassé plus de la moitié du nouveau pavé de Jean-Philippe Baril Guérard, chez les Éditions de Ta Mère. Après avoir abordé des mythes locaux aux allures de fables animalières dans Ménageries, fait une satire de la vie huppée de jeunes vedettes dans Sports et divertissements et traité avec froideur du BAC en droit à l’Université de Montréal dans Royal, l’auteur nous plonge cette fois dans les étapes cruciales, voire inévitables, de la création d’une entreprise de technologie. Kévin, le narrateur, raconte son parcours rempli d’embûches en s’adressant au lecteur, comme dans une bonne autobiographie à la Steve Jobs.
Faire de son mieux avec l’information disponible
C’est l’idée qui traverse le livre, et ça explique aussi pourquoi il peut sembler si difficile d’en parler sans divulguer l’intrigue et les épreuves vécues par les personnages de ce « manuel ». Toutes les pièces, aux dires du narrateur, sont déjà en place depuis longtemps et nous obligent à constater que, même en se construisant mille scénarios dans lesquels on peut s’en sortir indemne, le destin est scellé. Rien qui ne se soit déjà produit ne pourra jamais nous permettre de revenir en arrière. Et cela va sans dire en ce qui concerne le principal produit de Huldu, la compagnie fondée par les trois personnages principaux, Ève, Laurent et Kévin. Ce sont des chatbots, d’abord conçus pour assurer le service à la clientèle de compagnies d’assurance, qui serviront ensuite à parler avec les gens décédés. Grâce à une quantité de données et de phrases utilisées, les utilisateurs peuvent nourrir la personnalité des robots de discussion qui servent d’avatars aux morts.
Résurrection par les mots
N’importe qui se sentant près d’une phrase, d’un livre, d’une œuvre, s’est un jour mis à parler avec l’auteur qui n’est plus de ce monde. C’est un fantasme naturel, même si frustrant, que de vouloir se faire expliquer tel passage ou tel personnage, sans avoir cette personne pour répondre de sa véritable plume. En donnant la parole à ces gens, enfreint-on un droit à la vie privée? La responsabilité morale et éthique réside-t-elle dans les mains d’une compagnie qui offre la possibilité de parler aux morts ou dans celles de ses utilisateurs qui leur fournissent le matériel? Avec ce conflit, l’auteur fait une référence claire à l’éclat médiatique où le géant Facebook était mis devant les faits entourant Cambridge Analytica, en y apposant son prisme.
Manuel de la vie sauvage amène plusieurs réflexions et ne se contente pas de simplicité. Les personnages révèlent plusieurs de leurs facettes au cours du récit et finissent toujours par nous prendre de court. Et puis, quand vient le temps de tourner la dernière page, on se dit qu’il n’y aurait pas pu y avoir d’autres résultats, telle une fatalité.
Avez-vous lu des livres qui vous poussent à poser des questions d’éthique, à vous dépasser malgré les obstacles qui semblent insurmontables?
Vous me donner envie de le lire! Merci!
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Wow, je dois lire ce livre.
Dans un tout autre style, je pense que tu aimerais « La chasse aux autres », de Thomas O. St-Pierre.
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