Chère lectrice, cher lecteur,
Je préfère vous avertir que l’article que vous vous apprêtez à lire est pénible. Rien n’est aussi triste qu’une analyse comparative d’œuvres artistiques, d’autant plus lorsque cette analyse été rédigée par une personne en deuil d’avoir terminé ladite œuvre. Je vous suggère de vous tourner vers une lecture plus distrayante. Par exemple, Internet regorge d’articles sur la pensée positive et de vidéos de recettes de muffins aux bananes. Si vous décidez malgré tout de poursuivre votre lecture (ce que je vous déconseille fortement de faire) vous retrouverez mon appréciation de l’adaptation de la funeste série Netflix Lemony’s Snicket A Series of Unfortunate Events par rapport au film du même titre réalisé en 2004, tous deux infiniment décevants. Je vous propose un regard par trop subjectif (subjectif signifie relatif au point vue personnel) concernant un certain nombre d’éléments incomplets. Comme si une adaptation ne suffisait pas, Mark Hudis a cru bon de transposer à nouveau les livres (à quoi bon?) en une série télévisée interminable dont la diffusion a gâché le début de l’année 2017.
F. Demeule
P.S. Comprenez en ces lignes, chère lectrice, cher lecteur, un pastiche du ton fatidique de l’écrivain Lemony Snicket, condamné à retranscrire l’infortune des Baudelaire. Je suis en fait une véritable admiratrice du travail de cet auteur. Mes propos dépréciatifs ne sont donc pas à prendre au premier degré (le premier degré désigne le premier niveau d’interprétation).
Casting et personnages
Les romans de Lemony Snicket exposent toute une galerie de personnages plus colorés les uns que les autres. À mes yeux, l’une des forces de la série littéraire repose sur l’extravagance de ses personnages, du Comte Olaf au banquier Poe, en passant par le trio Baudelaire lui-même. Sur ce plan, l’adaptation filmique de 2004, signée Brad Silberling, m’avait convaincue avec son casting assez solide : Jim Carrey (Olaf), Meryl Streep (Agrippine), Jude Law (Snicket). Il faut dire aussi que j’avais quatorze ans à l’époque de son visionnement et que mon palais cinéphilique était probablement moins développé qu’il ne l’est aujourd’hui.

Olaf (Jim Carrey) du film de 2004

Olaf imaginé par l’illustrateur officiel des livres, Brett Helquist et dans la série Netlfix, interprété par Neil Patrick Harris
Aveu : J’ai porté une affection particulière pour ce film, et il est toujours parmi mes favoris. C’est pourquoi la tête du Comte Olaf est devenue pour moi celle de Carrey, et ses mimiques se sont superposées à celles de son jeu d’acteur. Par conséquent, quand j’ai commencé à écouter la série Netflix, j’ai eu un bug en voyant Olaf sous les traits de Neil Patrick Harris. Le choc passé, j’ai dû me rendre à l’évidence : je préfère finalement l’interprétation de ce dernier à celle de Jim. Sa version du Comte est teintée d’une ironie noire et est beaucoup plus violente que la précédente, et de fait, moins bouffonne et explosive. Quant à lui, les enfants Baudelaire me semblent similaires aux anciens, avec leurs jeux sobres, presque stoïques, et un bébé Prunille encore une fois adorable. J’applaudi la diversité culturelle que propose le nouveau casting, comparativement à celui exclusivement blanc 2004.

Les enfants Baudelaire d’après Brett Helquist

Le trio Baudelaire filmique, Prunille (Kara et Shelby Hoffman), Violette (Emily Browning) et Klaus (Liam Aiken)

Les Baudelaire Netflix, Klaus (Louis Hynes), Violette (Malina Weissmann) et Prunille (Presley Smith)
Décors et scénographie (costume, esthétique, etc.)
La série de Snicket, et c’est l’une de ses beautés, nous plonge dans un monde intemporel, une sorte d’époque aux repères historiques difficilement déchiffrables. Là encore, j’avais eu un gros coup de cœur pour l’esthétique recherchée du film, même si on avait forcé un peu la note victorienne par rapport aux dessins originaux de Brett Helquist qui accompagnent le texte des livres. De son côté, la nouvelle série propose une scénographique encore sombre et magnifique, mais en moins steampunk. Pas de robes 19e comme c’était le cas dans film, on a ici plutôt une esthétique rappelant un peu les années 60-70. Ainsi, tante Agrippine et Violette ne portent plus de robes noires bouffantes, mais respectivement un lainage un peu kitsch et des robes polos colorées. « Un univers un peu plus moderne? » Les décors sont volontairement théâtraux ainsi que plus fidèles à l’esthétique camp de Brett Helquist; j’ai remarqué que certains éléments étaient directement empruntés à ses illustrations, telles que la chaise de Lifeguard sur la plage lors de la scène d’ouverture.

Poe filmique (Timothy Spall) et Poe Netflix (K. Todd Freeman)

Agrippine filmique (Meryl Streep) et Agrippine Netflix (Alfre Woodard)
Ton
En ce qui concerne le ton, je note beaucoup plus de cynisme et d’absurde que dans la version filmique, qui était, sommes toute, plutôt bon enfant. À mon sens, le film avait un ton poétique contemplatif, presque candide, alors que la série Netflix exploite une narration plus retorse. J’adore les interruptions métadiscursives de l’auteur Lemony Snicket (campé par Patrick Warburton) et sa manière de commenter l’action, tout à fait en phase avec le dispositif réflexif des livres.
Intrigues secondaires
Un aspect qui me fascine dans la série littéraire originale est l’intrigue secondaire des sociétés secrètes, un filon qui demeure tout le long profondément mystérieux. La série Netflix a su capter et utiliser avec brio cette arrière-scène de l’intrigue principale des Baudelaire, qui n’était même pas réellement exploitée dans les livres, encore moins dans le film. De plus, en raison de son expansion temporelle, la série télévisée a l’occasion de développer davantage certains personnages, par exemple la juge Abbott, pour notre plus grand plaisir.

Le narrateur Lemony Snicket, portraitisé par Patrick Warburton (Netflix)
***
J’espère que cette trop brève critique vous aura dissuadé.e de regarder cette série perverse qui entreprendra de voler tout votre temps à la minute où vous poserez les yeux sur elle. Rien n’est pire qu’une série télévisée qui développe en nous cette forme d’addiction pernicieuse nommée bingewatching (bingewatcher signifie consommer une série de manière boulimique).
Si le mal est déjà fait, qu’avez-vous pensé de cette pénible adaptation?