Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de mon père et, pour célébrer, pour lui offrir un petit quelque chose de spécial, je fais cet article. Il m’avait parlé, à quelques reprises, de son intérêt à voir publiés nos deux textes sur le blogue, chose due, chose faite. Bonne fête papa !!
Tout a commencé par un extrait de Plus on est de fous, plus on lit! Je ne sais plus lequel mais il s’agissait d’un exercice d’écriture où, à tour de rôle, chacun donnait une phase à l’autre et il avait deux heures pour écrire un texte qui débutait avec la phrase choisie par l’autre personne. Mon père, ayant trouvé l’idée bien originale et intéressante, me lança le défi.
On a tous deux pris bien plus de deux heures pour écrire nos textes et nous l’avons fait en alternance. Mon père m’a donné une phrase, j’ai écrit un texte. Je lui ai donné une phrase et il a simplement continué ce qui avait été écrit, avec la phrase donnée.
C’est un exercice pas trop contraignant et vraiment plaisant à faire, que ce soit avec un membre de sa famille, une amie ou bien un groupe de création littéraire. Je vous propose d’essayer, pour le plaisir, c’est surprenant ce qui peut en ressortir.
Je vous conseille aussi le livre Noir sur blanc: Guide d’improvisations littéraires, pour mille et une idées et exercices du genre.
En attendant, voici donc le fruit de l’exercice entre mon père et moi.
La phrase qu’il m’a donnée : Ainsi donc, le sort en était jeté. Désormais,il lui faudrait s’y faire.
La phrase que je lui ai donnée : Le tourne-disque tournait, sans cesse, depuis des heures. Seul le crépitement de l’aiguille restait de la magnifique chanson qui avait joué.
Le résultat :
Ainsi donc,le sort en était jeté. Désormais,il lui faudrait s’y faire.
Alea jacta est, en latin, revenait au même, mais lui donnait une impression de sophistication. Comme si le fait de se jouer d’une langue morte dont il ne connaissait que les mêmes mots que ceux qui ne s’y connaissent pas allait rendre son choix plus simple, plus juste.
Que ce soit en français, en latin ou même en langage des signes, il lui faudrait tout de même s’y faire, le outcome – pour aussi se jouer un peu de l’anglais- serait le même .
Il se sauvait, dans toutes les langues, sans vraiment de mots pour expliquer le pourquoi du comment qui allait être sur toutes les lèvres.
De toute façon il n’avait pas grand monde à laisser derrière, personne qui n’allait pas s’en remettre, après quelques temps, attendant son retour incertain.
Il avait regardé la mappemonde, avait fermé les yeux et avait pointé. Comme dans un film un peu cliché, comme dans un livre tout aussi prévisible et pourtant, il se sentait libre et aux antipodes de tout ce qu’il aurait bien pu prévoir.
Avant d’ouvrir les yeux, sa tête espérait l’Indonésie, l’inde, la Thaïlande, du chaud, de l’humidité, des petites frousses et de gros insectes. Pourtant, le sort en était jeté, son doigt avait pointé plus haut, beaucoup plus au nord.
Aléa jacta est, il se sauverait en Islande.
Pour les autres, peut-être se sauvait-il, pour lui, c’était pourtant la seule façon d’essayer de se retrouver.
Lui qui avait connu tous les hivers froids du Québec ne se sentirait pas trop dépaysé, lui qui avait connu les grands paysages, les indomptables forêts, il croyait être prêt à affronter la grande île, il se trompait, mais que pouvait-il vraiment faire, le sort en était jeté.
Il lui faudrait s’y faire. Se faire au 200 000 habitants, aux grandes noirceurs, à une langue qui ne lui offrait aucun repère. Quelle était cette idée de vouloir tout quitter en hiver, peut-être était-ce simplement la dépression saisonnière, peut-être aurait-il dû acheter une lampe de luminothérapie, quoiqu’au prix des billets, la lampe n’aurait pas été une si grande économie.
En faisant son sac, il se demandait ce que les gens allaient penser de son départ soudain. Crise de quart de siècle, peut-être. Besoin d’autre chose? Sûrement. Même lui ne savait pas trop ce qui lui arrivait et là était bien le problème. Il ne savait plus, ne savait rien. Il ressentait l’incessant besoin de se déconstruire, de se vider de l’intérieur pour faire de la place à un je ne sais quoi qu’il espérait trouver en Islande.
Dans les saunas, suer jusqu’à ce que l’eau de son corps s’évapore.
Marcher, seul, jusqu’à ce qu’il ne reste que les paysages qui comptent.
Connaître, comprendre, rencontrer, échanger, vivre. Crier sur tous les toits que le sort en était jeté et qu’il n’avait plus le contrôle, qu’il se laissait guider jusqu’à ce que son corps et son esprit s’allient, à la limite de ses excès, pour lui faire comprendre qu’il s’était trouvé, quelque part en Islande, perdu dans l’immensité de cette terre de glace.
Il ne lui resterait plus qu’à recommencer, maintenant.
Deyja er kastað – il lui faudrait s’y faire.
Le tourne disque tournait, sans cesse, depuis des heures. Seul le crépitement de l’aiguille restait de la magnifique chanson qui avait joué.
Bessie Smith s‘était tue il y a longtemps déjà. Il n‘en avait même pas entendu la fin, emporté par la voix, une des voix .
Deyja er kastað – il lui faudrait s’y faire.
Personne de son entourage ne l‘avait noté. Lui-même en avait pris conscience que par à coups, au fil des derniers mois, sans trop y croire. Mais l‘angoisse prenait lentement toute la place, au point de le tétaniser .
Comment cela avait-il commencé, pourquoi lui? Il avait laissé tout derrière, cherchant à croire que la voix ne passerait pas les douanes. Tenace pourtant, elle s‘était glissée dans ses bagages, poursuivant son travail de sappe de ce qu‘il avait à peine été. Lumineux, brillant, entouré d‘amis, de parents ordinaires ayant agit au meilleur de leurs capacités d‘humains fragilisés par le monde moderne. Curieux, sensible… peut-être trop .
Pourquoi la voix? Pourquoi ces anti-mantras qui tirent vers le bas, plutôt que de le faire transcendant? Au début , il s‘était dit que c‘était la petite voix qui nous parle à tous, parfois.
Mais la petite voix qui nous parle, celle qui, comme tout le monde, l‘avait accompagné depuis que la conscience d‘être s‘était éveillée en lui, il ne savait plus trop quand durant l‘enfance, était parfois critique, parfois bienveillante, mais là, c‘était systématiquement une voix éteinte et sans éclats. Le pire, c‘est qu‘il ne pouvait comprendre le propos, bien que la langue lui était familière, le discours était indécodable, juste un sentiment de vide immense en résultait. C’était comme si son existence était factice. Une indicible torpeur le prenait tout entier et, lorsqu‘il émergeait avec stupeur, il réalisait que des heures lui avait échappé, sa vie s‘enfuyait plus vite et plus loin que lui.
Keflavík 5 Février 2017.
Voilà sa seule certitude.
Comment s’était-il retrouvé là, au sud–est de l’Île, dans une petite ville de moins de 20 000 âmes, dans une ancienne base américaine? Il n’en savait rien et encore moins pourquoi c’était ici, dans cette cabane un peu en retrait de la ville, tout au bord de l’atlantique.
Ce qui l’étonnât ce fut cet immense quiétude, profonde, douce et rassurante qu’il ressentait.
Quand la porte de la cabane s’ouvrit sur cette femme âgée, il frissonna, comme s’il émanait d’elle une force tranquille.
Elle s’appelait Ingilín Gudmundsdottir, le même patronyme que Bjork, mais sans aucun lien de parenté.
Quelque chose lui semblait différent, mais il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus. Ce n’est que le surlendemain, au réveil, qu’il réalisat. La voix s’était tue.
Ingilín lui raconta que c’était elle qui avait posé son doigt sur la mappemonde, que c’était sa voix qu’il entendait .
Tous les habitants du nord appartiennent à Yggdrasil, l’arbre du monde. Le monde des géants l’avait enlevé du monde du milieu pour le détenir dans les mondes des elfes sombres.
Était-il guérit, était-il encore plus profondément enlisé dans le délire? Qui sait?
Quand il rentra à Montréal , tout le monde s’étonna qu’il n’ait pris aucune photo.
Et vous ? Quels sont vos livres favoris sur la créativité ? Quels sont vos exercices d’écriture préférées ?
Quel beau texte! Merci pour la suggestion (livre NOIR SUR BLANC), je viens tout juste de l’acheter et j’ai bien hâte de l’explorer… À mon crayon! (ou clavier… on verra)
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