Littérature québécoise
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Le ciel de Sylvie Drapeau : entre voix de mère et de fille

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Je porte un grand amour aux petits livres blancs des éditions Leméac, ces plaquettes d’environ cent pages qui portent des voix fortes et singulières, mais qui demeurent, par leur format, en marge, presque timides des grandes œuvres qui s’affirment. Mais on y trouve toujours des bijoux, et leur petitesse de format vient, au contraire, renforcer le lien d’intimité que nous développons à leur égard. Le ciel, de la comédienne Sylvie Drapeau, deuxième opus d’une séquence de quatre, mais dont chacun est indépendant, est un de ces « petits » livres qui résonnent fort et en grand.

Le fleuve, premier roman de l’auteure, racontait le drame familial qu’est la noyade d’un enfant au sein d’un clan tissé serré, de cette meute dont la narratrice, qui a cinq ans, fait partie. Dans Le ciel, cette jeune fille, qui a maintenant 20 ans, construit désormais tranquillement sa vie dans la grande ville, loin de sa Côte-Nord natale à laquelle elle revient pourtant souvent pour se réfugier, se retrouver. Elle se veut forte, mais elle est surtout fragile, à la recherche d’elle-même, et le livre nous entraîne dans la narration de sa vie, à travers la présence de sa mère, et celle de Marc.

Le roman est écrit principalement à la deuxième personne, et la narratrice offre surtout un regard et une perspective sur la mère de la jeune fille. Celle-ci est presque toujours présente dans la narration, à travers la vie de sa fille, qui témoigne ainsi de son besoin d’elle, de son lien qui la relie à elle. Pourtant, c’est d’abord dans la contestation de l’emprise de sa mère sur sa vie que la narratrice nous la présente, cette femme dont la rigidité de la croyance religieuse avait plutôt construit des « murs épais » entre elle et ses enfants. Sa mère, autorité suprême tranquille, marque sa présence comme corps central de la meute :

Un jour, nous avons enfreint la loi, et sommes allés à l’eau sans toi. Notre grand frère Roch en est mort, il s’est noyé devant nos yeux. La dernière fois que nous avons désobéi, quelqu’un est mort! Et pas n’importe qui! Ça ressemble à quelque chose comme une équation, à présent. […] Avec la désobéissance vient la mort, ultime punition. (p. 35)

Dans son besoin d’affranchissement, la jeune fille met surtout en évidence son besoin de sa mère, qui représente presque un pilier, une stabilité dans sa nouvelle vie adulte. Malgré la différence entre sa vie et la sienne, elle y revient toujours, comme une nécessité d’elle, qui fait de la narratrice presque une éternelle enfant.

La narratrice parle à sa mère sans cesse, et pourtant, cette mère a peu de voix dans le récit. Et quand elle prend la parole la première fois, c’est au milieu du roman, au téléphone, alors que sa fille se trouve à Paris, pour lui donner sa recette de sauce à spaghetti. Et toute la force du roman se trouve peut-être dans le réconfort de cette voix qui « parle », à laquelle la narratrice, perdue, seule, s’accroche.

Tu me demandes si j’ai un crayon, je réponds que oui, même si mes mains sont aussi vides que mon cœur. Je suis prête, je t’écoute. […] Parle encore. Parle-moi, maman. Jusqu’à ce que la rumeur, que les mots dans ma tête qui me tirent vers le bas se taisent. Jusqu’à ce que j’émerge du mauvais rêve dans lequel je suis enlisée. (p. 46)

Malheureusement, c’est trop tôt que sa mère la quitte et qui, dans sa sortie, laisse sa fille au cœur de souvenirs qui la font revivre, puis tranquillement s’éteindre.

Quant à Marc, ce premier amour avec qui « le feu prend », il arrive comme il repart, avec force et dévastation. D’abord vu en secret — il ne fallait pas que sa mère si stricte sache qu’elle l’avait invité à la maison durant la nuit, même si la puissance de sa présence pèse sur la jeune fille au point où elle n’ira pas jusqu’au bout —, Marc est surtout ce premier homme pour qui tout prend sens.

Nous étions submergés par ce raz de marée. Je ne savais pas qu’un baiser ça pouvait être si vaste dans le temps et dans l’expérience. (p. 29)

Malheureusement, la distance se fait dans leur corps et dans leurs cœurs, et il faudra à la narratrice la force de l’oublier, ce qui ne sera pas tâche facile pour elle.

Dans un article de La Presse le 19 février 2017 dans lequel elle rencontre la journaliste Nathalie Collard, Sylvie Drapeau se dit être une « porteuse de mots », elle qui, par son travail de comédienne, a prêté son corps, son cœur et sa tête à de si grands auteurs. Dans Le ciel, elle continue grandement de « porter les mots », dévoilant un immense talent poétique et une magnifique maîtrise du langage et des émotions. Le roman, ainsi, est toujours juste, balancé, et vient nous toucher droit au cœur par la sincérité et la véracité des moments qu’il met en texte.

Y a-t-il des livres qui vous percutent par les mots et la poésie qu’ils proposent?

Le fil rouge voudrait remercier les éditions Leméac pour le service de presse.

 

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