En 2015, je tombais sous le charme de l’auteure, linguiste, et j’aimerais lui ajouter le titre de vulgarisatrice, Anne-Marie Beaudoin-Bégin (vous pouvez (re)lire l’article que j’ai écrit concernant son premier essai La langue rapaillée). C’est donc avec beaucoup d’enthousiasme et d’excitation que j’ai accepté d’écrire au sujet de son nouveau bouquin!
Dans La langue affranchie : se raccommoder avec l’évolution linguistique, Beaudoin-Bégin poursuit sa mission d’encourager les Québécois à utiliser la langue française telle qu’ils la connaissent et à ne plus en avoir honte. Tout’qu’une mission, n’est-ce pas? Je vous promets que ce livre n’a rien de lourd, bien au contraire : on sort de chaque chapitre avec l’envie de crier « Je parle le français-québécois! »… Mais comme je lis principalement dans le métro, je me garde une p’tite gêne.
Les facteurs d’évolution
Plusieurs chapitres sont consacrés à l’Histoire de la langue française, à son évolution et surtout aux différents facteurs qui influencent une langue (peu importe laquelle). Anne-Marie Beaudoin-Bégin explique avec précision comment ces différents aspects ont affecté notre langue, non pas dans les dernières années, mais bien dans les siècles passés. Ces facteurs sont l’économie linguistique (raccourcir les mots pour sauver du temps), le changement dans le milieu (les gens de différentes régions utilisent des expressions différentes), les contacts sociaux (l’influence d’une autre langue et l’intégration de mots extérieurs) et les interventions humaines (éducation, application de règles strictes). Chacun est accompagné d’exemples réels qui se sont produits à différents moments de l’Histoire.
Encourager la nouvelle vague
Après avoir expliqué aux lecteurs non-linguistes ces différents facteurs, Beaudoin-Bégin s’intéresse aux changements qui surviennent depuis quelques années. Bien entendu, un changement complet dans une langue ne se fait pas du jour au lendemain. Il est donc faux, selon l’auteure, de dire que la langue française est en danger au Québec. Du moins, pas sous le sens qu’on accorde à cette pensée présentement.
Anne-Marie Beaudoin-Bégin encourage les plus jeunes à ne pas se laisser taper sur la tête par les institutions qui dénoncent la moindre « faute ». Tant que les gens avec qui tu communiques partagent les mêmes codes de base que toi, si tu es certain.e de te faire comprendre, pourquoi devrait-on te chicaner d’avoir transformé ce nom commun en verbe alors que ce verbe n’existe pas? C’est justement en répétant à un jeune qu’il « parle mal » qu’on lui enlève tout plaisir d’utiliser la langue française. Pourquoi devrait-il s’entêter à communiquer dans une langue qu’il ne maîtrise pas, même s’il la parle depuis son plus jeune âge?
J’étudie en impression textile, un domaine peu connu en général, et nous-mêmes (étudiant.e.s) avons dû apprendre un nouveau vocabulaire afin de bien nous faire comprendre. Si j’ai besoin de dire que mon cadre de sérigraphie est en processus d’insolation, je peux dire qu’il est « dans l’insolateur » même si c’est n’est pas un vrai mot (Google me le souligne d’ailleurs comme étant une faute) et tout le monde sait exactement de quoi je parle. Est-ce que je suis en train de mettre la langue française en danger?
Il serait plus juste de dire que notre langue est en danger parce qu’on la met dans une boîte très droite et rigide et qu’on shame (oui oui, je me permets un mot emprunté à l’anglais) quiconque tente d’élargir les limites de cette boîte.
Le franglais
Dans n’importe quel contexte de communication en langue française, il serait mal vu d’inventer un mot à partir d’une expression que je voudrais raccourcir (comme insolateur). C’est probablement pourquoi les générations plus jeunes préfèrent utiliser l’anglais : personne ne te chicane quand tu inventes un mot en anglais. Tu peux ajouter -er à la fin d’un mot pour dire que le sujet est plus important qu’un autre, tu peux mettre un to avant n’importe quel mot pour le transformer en action, tu peux contracter I am going to en imma et personne ne t’en tient rigueur.
Mais bien sûr, ces transformations ne sont acceptées qu’en langage familier, n’importe qui discutant en anglais en est conscient. Pourquoi, donc, devrait-on être parfait lorsqu’on parle français, peu importe le contexte? Pourquoi devrait-on utiliser des mots soignés et réfléchis dans un contexte familier et détendu? Ma question ne vise pas à mettre l’anglais sur un piédestal, mais bien à dédramatiser les changements qu’on souhaite apporter au français à l’oral.
Je parle français (vous l’aurez deviné) et la langue maternelle de mon copain est l’anglais. Bien que nous conversions tous deux de manière assez fluide dans les deux langues, il se peut qu’en plein milieu d’une phrase structurée et complète en anglais, on y glisse un mot français qui ne nous venait pas à l’esprit en anglais à ce moment précis. On continue notre conversation comme si de rien n’était, on n’en fait pas de cas. Est-ce que je mets l’anglais en danger pour autant? Si mon interlocuteur m’a comprise, il me semble que mon but de communication est atteint (et je crois qu’Anne-Marie serait d’accord avec moi).
Je sais, je sais, mon exemple ne fonctionne pas parce que c’est le français qui est en position précaire au Québec. Mais l’est-il vraiment? Oui, le français était menacé lorsque les Anglais ont gagné la bataille des plaines d’Abraham et se sont installés au Québec. Oui, le français était menacé lorsque les pro-confédération voulaient faire de l’anglais la langue officielle. Mais en 2017, le français est-il toujours en position précaire? La loi 101 a bien sûr été bien utile à redonner de l’importance au français sur les lieux de travail, dans les écoles et dans les établissements de services publics. Mais l’anglais n’est plus le gros méchant. L’anglais est maintenant synonyme d’ouverture sur le monde, de divertissement et d’apprentissage universel. L’anglais permet de communiquer avec des gens de partout dans le monde, peu importe leur langue maternelle.
Protéger le français sans empêcher son évolution
J’ai de nouveau été conquise par l’écriture rafraîchissante et sans détour d’Anne-Marie Beaudoin-Bégin. On sent que cette femme est amoureuse de sa langue et veut étendre ce sentiment partout autour d’elle. Encore une fois, son essai m’a charmée et j’ai aussi envie d’encourager notre belle langue québécoise, malgré ses imperfections et ses difficultés.
Les influences extérieures ne doivent plus être vues comme des menaces, les mots empruntés d’autres langues sont la preuve d’une flexibilité du français et d’une ouverture sur les autres. Le français n’est plus la langue noble parlée à la cour, c’est le langage de la rue et de la culture. Il faut le laisser prendre sa place et l’accepter tel qu’il est, et ça commence par laisser ses locuteurs s’amuser avec lui comme ils l’entendent.
N’êtes-vous pas fiers de continuer de parler français, plus de deux siècles après la victoire des Anglais, qui ont tenté tant bien que mal de nous assimiler? N’avez-vous pas envie de perpétuer cette magnifique langue? Ou au contraire, est-ce que vous n’en pouvez plus de vous faire reprendre pour un si -rait ou un chevals? Laissez vos impressions en commentaire!
Le fil rouge tient à remercier les éditions Somme toute pour le service de presse.
Une lecture intéressante. Merci pour ce partage.
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J’ai toujours trouvé la langue française beaucoup trop stricte comparé à l’anglais. Peut-être que ça vient de la volonté de préserver le français alors que l’anglais en tant que langue internationale est forcé de s’adapter. Et j’ai toujours trouvé tellement dommage que les Français de France se moque autant des accents et différences dans le français du Québec, de Belgique, de Suisse, etc. A mon avis c’est à force de vouloir s’attacher trop fort à un français « correcte », rigide et immuable que le langage risque de disparaître. Comme tu dis, c’est tellement moins versatile comparé à l’anglais.
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