Littérature québécoise
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Couronne Nord : cartographie de la périphérie

Cartographies II : Couronne Nord

J’ai grandi dans un des creux de la Baie des Chaleurs, près de l’embouchure de la rivière Restigouche. Ma maison n’était pas située dans une municipalité mais dans une uncharted community, un bout de territoire en périphérie d’une petite ville dont la population, encore aujourd’hui, dégringole inexorablement en-dessous de la barre des 10 000 habitants. En se forçant un peu, on pourrait presque dire que c’était une banlieue.

Les nouvelles de Cartographies II : Couronne Nord ont ce don de nous ramener à nos recoins de mythes fondateurs, ceux qui dorment dans les lieux où on n’a pas choisi de grandir. Le recueil se pose sur la rive nord de Montréal, mais le projet est porté par une préoccupation pour les territoires oubliés, aplanis parce que traversés trop vite ou quittés à la hâte. Il ne s’agit pas ici d’idéaliser les municipalités mises en scène (les pamphlets touristiques des Basses-Laurentides et de Lanaudière peuvent dormir tranquilles), mais bien de les investir d’un sens et d’y déterrer des récits.

Six nouvelles se déploient ainsi en bordure de l’autoroute 15, de la 640, de la 25 : à Saint-Eustache, Laval, Mascouche, Sainte-Anne-des-Plaines et Rosemère. On y revisite souvent les lieux de l’enfance et de l’adolescence, ceux qui forment les premières couches de notre identité. On explore le tracé des rues, on circonscrit les limites d’un quartier, on entre dans des espaces (école secondaire, clinique dentaire, stationnement d’église, forêt millénaire) qui cèdent quelques-unes de leurs histoires. Celles-ci sont lancées dans le monde sous des formes multiples, d’une diversité saisissante.

Parce qu’au-delà des visages de la banlieue, ce sont aussi les potentialités de la nouvelle que Couronne Nord explore : le ton, la forme, l’impact recherché varient d’un bout à l’autre du recueil. La pêche aux mouettes de Mathieu Poulin, irrévérencieux et parsemé de fins détails sur le mystérieux monde des chars montés, grossit le trait pour qu’entrent en collision un revendeur de pot en mal de clients, un faiseux de sandwichs au Subway et une toxicomane réformée. L’humour s’adoucit et penche vers le tragico-comique dans Miss Mascouche, où Patrick Isabelle raconte une jeunesse pleine d’avenir qui, après s’être vidée de ses promesses, se reprend sur le tard. Dans Île Jésus (H7L), Marilou Craft propose une suite poétique : la nostalgie involontaire (mais peut-être inévitable) qui accompagne le trajet jusque chez le dentiste, dans un quartier quitté depuis longtemps, y est auscultée avec une finesse puissante. La poésie s’invite aussi chez Mélanie Jannard, où l’ambiance anxiogène d’une polyvalente située au milieu de nulle part, l’amitié toxique de deux adolescentes pognées l’une avec l’autre et l’absurdité d’un onze septembre vu de loin sont rendus avec tout le réalisme désinvolte et mordant du hip-hop. On n’entend plus crier au loup, la « dérive sociographique » un peu confuse de Simon-Pier Labelle-Hogue, dessine une carte mentale foisonnante d’un quartier de Sainte-Anne-des-Plaines. Le recueil se termine avec Les églantiers, inquiétante nouvelle de Catherine Leroux : fragmentée, magnétique, elle remonte le temps pour y chiper les histoires qui se superposeront au squelette oublié d’une narratrice inconnue.

La longueur des textes, qui ne sont pas confinés aux huit-dix pages auxquels on pourrait s’attendre dans un collectif, permet à chacune de ces six voix de se déployer et de redéfinir les contours des territoires investis. Mais au-delà de la qualité certaine de ses nouvelles, Couronne Nord est enthousiasmant dans les possibles qu’il laisse entrevoir : l’idée d’une cartographie de la périphérie qui attache les fictions, les souvenirs et les dérives en un bouquet bien frais de mythologies faites maison.

Collectif. Cartographies II : Couronne Nord. La Mèche, 2017, 232 pages.

Le fil rouge tient à remercier les éditions La Mèche pour le service de presse.

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