J’ai la même coupe de cheveux depuis des années. Ma tentative de les faire pousser est aboutie à un retour à la même tête, car pourquoi changer une formule gagnante? Pourtant, j’ai toujours trouvé ça plate, d’avoir la même coupe, et de ce fait, je me suis souvent entendu dire: « Ah, je me raserais tellement les cheveux, ce serait moins compliqué! » Mais après ma lecture du récit D’où je me trouve, ma réflexion a bien changé.
Alexandra Gendron-Deslandes avait initialement l’intention de faire un documentaire sur les femmes ayant subi une perte de cheveux, ou celles qui ont pris la décision de se raser la chevelure. C’est après avoir elle-même traversé cette réflexion, puis avoir décidé de passer à l’action, que l’auteure a voulu rencontrer d’autres femmes afin de connaître leurs sentiments, leurs perceptions et leurs questionnements pour, écrit-elle, « sonder comment l’absence de cheveux avait fait événement dans [leur] vie ». Alexandra a ensuite reconstitué ces entretiens sous forme de fragments, par séquence, tel un montage documentaire. Or, ce montage est demeuré papier, est devenu un « documentaire littéraire », pour reprendre ses mots.

« Sans avoir à ouvrir la bouche, ça permet tout de suite à la réflexion sur l’identité sexuée de surgir »
Avoir ou ne pas avoir de cheveux, là est la question
Le livre d’Alexandra est un objet hors du commun, et c’est là que réside sa force. Nous n’avons pas entre les mains un essai, ni un roman, ni un récit, mais bien un documentaire. Les paroles des femmes sont restées intactes, et, dès lors, authentiques. Rassemblées, elles dégagent un propos fort intéressant, mais aussi très touchant. En effet, si ces témoignages portent à la fois sur le choix de se raser les cheveux aussi bien que la perte de cheveux des suites d’une maladie, cela se confond dans la profondeur des propos, qui nous confrontent nous aussi à toutes sortes de pensées et de remises en question: à plusieurs reprises pendant ma lecture, je me suis demandée si je ne le ferais pas, moi aussi. Mais après, qui suis-je pour choisir de perdre mes cheveux face à toutes ces femmes qui voudraient tant les ravoir? Par ailleurs, les réflexions des femmes recoupent celles des lectrices elles-mêmes: de quoi j’aurais l’air? Qu’est-ce que les autres penseraient? Comment me percevraient-ils?
Plusieurs extraits m’ont particulièrement marquée, notamment l’histoire de la coiffeuse qui a choisi d’offrir sa coupe à la femme qui est passée sur sa chaise, au salon. La femme raconte qu’elle a cru que la coiffeuse lui offrait la coupe gratuitement parce qu’elle était atteinte du cancer, alors que ce n’était pas le cas, et qu’elle a cru bon rebrousser chemin pour lui dire la vérité et insister pour payer… Ou encore celle qui s’exclame, après s’être vue la tête rasée dans le miroir: « C’est weird en tabarnak! » Et je pourrais retranscrire tant de passages des mots de femmes malades. Mais la réflexion de l’une d’entre elles m’a émue. Elle parle de se raser comme d’une forme de résistance à son cancer :
« Et c’était la première étape, pour dire au cancer tu m’auras pas. C’est correct, je comprends que tu vas venir gruger, mais tu ne m’auras pas. Je te contrecarre en état proactive. »
Le sujet est, certes, original, mais il est surtout d’une grande importance dans la vie des femmes, à qui l’on impose des standards de beauté. Ils remettent également en question notre perception des femmes malades, celle des relations que nous entretenons avec elles, mais aussi le rapport à notre propre image. Ce que c’est d’avoir des cheveux, ou pas, ce que c’est d’être une femme; est-ce que c’est d’avoir des cheveux?
À celles qui n’ont pas choisi de perdre leurs cheveux: vous êtes belles, avec ou sans perruque. À celles qui ont troqué le peigne pour le rasoir: je salue votre résistance face à ce monde qui nous dicte à quoi on doit ressembler. Nous sommes toutes belles. ❤
Le fil rouge remercie l’auteure pour le service de presse.