Bande dessinée et roman graphique
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Quand les filles prennent les armes

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Il y a près d’un an, je suis embarquée dans un projet incroyable au sein duquel j’ai rencontré des personnes exceptionnelles. Ce projet donne la parole à des femmes talentueuses qui souhaitent parler de sujets divers en lien avec l’univers geek… Il s’agit du podcast Les Amazones qui est diffusé sur choq.ca. C’est durant l’une des émissions et grâce à la chronique d’une de mes collègues (en écoute libre juste ici) que j’ai découvert l’une de mes plus belles révélations de 2017, à savoir la bande des Rat Queens.

img_6216.jpgRat Queens est une bande dessinée qui prend la forme, en quelque sorte, d’une partie de Donjons et Dragons. Pour celles et ceux qui ne connaissent pas le fonctionnement des jeux de rôle, il suffit de vous imaginer une troupe de personnages, lesquels détiennent très souvent des capacités extraordinaires dans des domaines spécifiques tels que la magie, le combat, le stratège, à qui on offre des quêtes dangereuses dans lesquelles ils pourront mettre à profit leurs qualités. Dans Rat Queens plus précisément, on met en scène quatre protagonistes féminins qui constituent un groupe de justicières inimitables. Le premier membre du quatuor est Violet Forgenoire, la naine guerrière dont la phrase fétiche est : «BAAAAASTOOOON!!!». Par la suite, nous avons Delilah, appelée Dee, la seule humaine de la bande. Puis, nous avons droit à l’adorable gnome Betty qui a plus d’un tour dans son sac. Finalement, la dernière, mais non la moindre, Hannah Vizari, la mage semi-elfe au caractère explosif. À elles quatre, elles forment le groupe le plus rafraîchissant que j’ai eu la chance de rencontrer depuis celui que nous a offert J.K. Rowling.

Ce qui impressionne particulièrement avec le travail de Kurtis J. Wiebe et Roc Upchurch, c’est leur façon diversifiée de représenter les femmes, et ce, sous toutes leurs facettes. Nous avons la tumultueuse et la vulgaire Hannah, leader du groupe, l’introvertie et empathique Dee, la déterminée et têtue Violet et l’amoureuse absolue Betty. Bien qu’elles aient chacune leurs spécificités, elles ne sont jamais réduites uniquement à celles-ci. Elles sont complètes, différentes, imparfaites, vraies, bref, elles sont des femmes dans tout ce qu’il y a de plus crédible. On ne cache rien. On y présente, entre autres choses, la joie et la complicité de la sororité entre les justicières de cette troupe. Et on ne néglige nullement la colère qui réside dans chaque femme. Et non pas cette sexy colère qui nous est donnée à voir dans plusieurs représentations, mais bien cette colère envahissante et laide dont font preuve également les figures féminines.

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Ce qui m’apparaît comme original dans les deux tomes de Rat Queens, c’est précisément le fait qu’on ait choisi des personnages féminins pour ce genre de rôle. On le sait, un sexisme évident existe encore au sein de la culture geek, au sens large du thème. Qu’il s’agisse de jeux vidéo, de comics ou de jeux de rôle, il arrive très souvent que les filles intéressées par ces divers médiums soient rejetées ou considérées comme moins expertes en la matière. La preuve, c’est qu’il est aujourd’hui encore nécessaire de se donner des safe spaces, comme le font les filles des Amazones, pour partager en toute sécurité notre intérêt pour le sujet. En ce sens, personne n’aurait été surpris de voir des hommes incarner le quatuor principal de Rat Queens. Bien entendu, plusieurs des autres groupes de mercenaires de la petite ville de Palissade sont masculins. Par contre, il demeure que les personnages centraux sont exclusivement féminins et que la parité au sein de la bande dessinée est assez bonne.

Hormis la représentation des femmes dans l’univers de Kurtis J. Wiebe, nous retrouvons aussi la grande présence de diverses cultures. Évidemment, nous sommes dans un monde appartenant à la fantasy, ce qui fait en sorte que nous sommes mis en contact avec plusieurs races issues du jeu de rôle. Cependant, nous avons aussi droit à une très bonne représentation de personnages à la couleur de peau et à la culture différentes. D’une part, nous avons Dee qui vient d’un clan religieux, dont l’origine serait africaine si le continent existait dans l’histoire, qui prête foi à N’rygoth, une sorte de dieu poulpe. On apprend qu’elle a quitté celui-ci parce qu’elle remettait en doute les rituels et les idéaux véhiculés par la religion de sa famille. D’autre part, nous avons Violet, qui vient d’une famille importante de nains dont les valeurs traditionnelles sont très ancrées. L’une d’entre elles est l’importance de la barbe portée par l’homme comme par la femme. Or, bien que les deux genres portent le poil au menton, il reste que la femme est très souvent rabaissée et catégorisée dans le monde de Violet, ce que cette dernière n’accepte pas. En somme, Dee et Violet sont des exemples parfaits de la non-conformité qui fait du bien. Elles sont de fières représentantes de la liberté de s’affirmer.

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Dans le même ordre d’idées, on éloigne la femme de son rôle « traditionnel », à savoir celle de la magnifique princesse qui doit être sauvée. Au contraire, dans le deuxième tome, c’est l’homme, celui aimé par Hannah, qui a besoin de l’aide des guerrières pour s’en sortir. Qui plus est, comme je le mentionnais ci-dessus, on donne vie à des femmes qui n’ont pas la langue dans leur poche et qui se balancent de la façon dont elles sont perçues. Elles sont irrévérencieuses et elles l’assument pleinement. D’ailleurs, rien de cela ne les empêche de sauver la ville de Palissade, et ce, même si l’opération ne se passe pas sans quelques embûches créées par les aventurières elles-mêmes.

En plus de l’excellente représentation féminine, Rat Queens n’hésite pas à aborder les thèmes de l’homosexualité, de la sexualité, des relations interraciales et de la consommation de drogues et d’alcool au sein de ses pages. Betty est ouvertement lesbienne et grande consommatrice de champignons magiques. Hannah, la semi-elfe, a des relations sexuelles avec un homme dans lesquelles on montre le corps tel quel, avec ses défauts et ses qualités. Violet s’entiche d’un orc alors qu’elle est d’origine naine. Les filles font la fête. Les filles se battent. Les filles aiment et détestent. C’est un amalgame d’émotions que l’on retrouve dans Rat Queens et c’est précisément cela qui est représentatif de la vraie vie dans un monde fantastique. Pour cette raison, il est possible pour nous, les lectrices et les lecteurs, de s’identifier aux personnages de cette histoire.

 

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J’attends avec impatience la folle suite de mes nouvelles héroïnes favorites. La date de sortie du tome trois en français n’est pas encore divulguée, mais je suis persuadée que le chemin emprunté par les créateurs de l’œuvre se verra aussi juste que les précédents. En attendant, mes copines et moi envisageons d’incarner le quatuor lors de l’une des conventions à venir. Il est si bon de pouvoir enfiler le costume de personnages féminins complexes et vrais.

Et vous, à quels personnages féminins vous identifiez-vous? Pour quelles raisons?

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Crédit photo : Michaël Corbeil

 

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Mais qu’importe l’éternité de la damnation à qui a trouvé dans une seconde l’infini de la jouissance?» (Charles Baudelaire, Le Spleen de Paris) Les vers de Baudelaire auront été la source de son épanouissement en tant que bizarroïde de ce monde. La poésie, Marika la vit au quotidien à travers tous les petits plaisirs qui s’offrent à elle. Une grimace partagée avec une fillette dans le métro, la fabrication d’un cerf-volant dans un atelier strictement réservé aux enfants, un musicien de rue interprétant une chanson qui l’avait particulièrement émue par le passé, lui suffisent pour barbouiller le papier des ses pensées les plus intimes. Chaque jour est une nouvelle épopée pour la jeune padawan qu’elle est. Entre deux lectures au parc du coin, un concert au Métropolis et une soirée au Cinéma du Parc pour voir le dernier Wes Anderson, elle est une petite chose pleines d’idées et de tatouages, qui se déplace rapidement en longboard à travers les ruelles de Montréal. Malgré ses airs de gamine, elle se passionne pour la laideur humaine. Elle est à la recherche de la beauté dans tout ce qu’il y a de plus hideux. Elle se joint au Fil Rouge afin de vous plonger dans son univers qui passe des leçons de Star Wars aux crayons de Miron en faisant un détour par la voix rauque de Tom Waits et le petit dernier des Coen. Derrière son écran, elle vous prépare son prochain jet, accompagnée de son grand félin roux, d’une dizaine de romans sur les genoux et d’un trop plein de culture à répandre

Un commentaire

  1. Amélie says

    Très. très envie de les acheter pour le plus jeune de mon chum (16 ans)! Lui qui passe son temps dans les univers virtuels, il adirera, et ça lui changera des stéréotypes associés généralement à tout ça 😉
    Merci!

    Aimé par 1 personne

    • Marika Guilbeault-Brissette says

      Quelle bonne idée! Je suis persuadée que ça lui fera découvrir un autre côté de la fantasy. Si vous êtes de Montréal, la librairie Planète BD sur St-Denis vend les deux tomes en français. 😉

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