C’est à l’occasion d’un congrès que j’ai découvert cet auteur français, exilé volontaire, adepte de la piraterie éducative (autrement dit, réinventer l’éducation en dehors du système et des murs de l’école). Thierry Pardo présentait alors un ouvrage sur L’éducation sans école et il y avait, sur le coin de sa table en dédicace, ce petit essai de géopoétique à la couverture blanche, comme une invitation à un nouveau départ, un lieu de tous les possibles…
La métaphore de l’ailleurs
L’ouvrage est fin, une soixantaine de pages à peine, le texte aéré, la plume imagée. Je suis rapidement conquise. Il faut dire que je suis venue à ce congrès pour trouver des solutions alternatives, découvrir un ailleurs, m’évader… fuir ?
Je parcours les premières lignes, comme je le fais à chaque fois avant d’acheter un livre, et je sens soudain comme un appel au voyage à travers les mots sur d’autres maux.
«Le monde manque d’espace libertaire, du souffle épique de l’aventure (…) Le labyrinthe est dense, les itinéraires compliqués par nature. On y devine Icare au détours d’un passage, on voudrait s’envoler.»
Plus qu’un appel, en poursuivant ma lecture, je me rend compte combien ce texte vient chercher en moi des réponses à mes questions, une vision de la fuite que je voudrais possible et que je cherche à divers degrés de mon existence. Car, oui, nous avons tous des questionnements, des vies tumultueuses que nous souhaiterions changer ou juste laisser derrière nous. La mienne ne fait pas exception. Alors je me laisse littéralement emporter sur ce bateau-pirate, qui insuffle un vent de rébellion en moi et m’ouvre les yeux sur d’autres horizons…
S’identifier ou se reconnaître
Ce que j’aime, à la lecture de cet essai, c’est l’aspect géographique, la métaphore permanente autour du voyage, de la marche, de l’errance, du départ… peu importe les termes, tout ce qui invite simplement à PARTIR.
Et pour cela, l’auteur dresse le portrait de « fuyards », tels qu’il se plait à les nommer. Des portraits dans lesquels il est bien facile de se reconnaître, pour qui veut jouer le jeu.
Nous voici donc en compagnie d’un déserteur qui décide du jour au lendemain de prendre le chemin inverse et de littéralement désobéir. Mais aussi d’un pirate qui choisi, lui, de «livrer bataille» et de reconstruire. Un exilé volontaire pour qui seul le départ compte et qui n’a de cesse de parcourir le monde. Et enfin, un ermite en quête de silence et de paix intérieure, qui choisit tout simplement de se retirer du monde.
L’esprit nomade et aventureux que je suis se reconnait presque dans chacun de ces portraits. Je me sens à la fois habitée par le déserteur, l’exilé volontaire et l’ermite, toujours en quête d’un ailleurs, d’une sorte de Terre Promise où je serai libre, en paix aussi bien avec moi-même qu’avec le monde qui m’entoure. Mon âme voyageuse reconnait avec affection des auteurs comme Nicolas Bouvier, Michel Vieuchange, H.D. Thoreau et se souvient du sable du désert, foulé il y a quelques années de cela.
Ce livre que je tiens entre mes mains, je ne pourrais dire combien de fois je l’ai déjà parcouru. Parce qu’il est comme une ancre, il semble me connaître, me suivre partout tout en me gardant présente là où je dois être. Comme l’exilé, j’écris mon carnet de route, je suis ce « passager du vent », toujours en mouvement.
«Fuir vers soi, prendre le chemin d’un ailleurs sans carte ni boussole, prendre le nord et côtoyer l’abîme d’une totale mise en congé des disciplines exige un courage de fou dans notre époque sensée. Alors courage, fuyons!»
Savourer les mots
Au-delà de l’essai qui nous amène à la réflexion, j’ai personnellement savouré la poésie du texte, intimiste, sensible, émotif. C’est le genre de livre qu’il fait bon ouvrir un soir d’hiver au coin du feu, alors que la tempête fait rage au dehors. C’est le genre de livre qui vous fait voyager et percevoir les senteurs de contrées lointaines. Celui qui nous amène à nous poser pour regarder notre vie, l’observer avec le regard de ce marcheur qui, lui, prend le temps de «s’asseoir sur une pierre, de poser son bâton et de bourrer sa pipe pour dessiner dans le ciel ces petits bouts de nuages qui viendront relier entre elles les étoiles du crépuscule.»
Je ne m’en lasse pas!
Cet essai nous invite à ralentir, prendre une pause, faire une halte dans nos vies trépidantes et surchargées. Il nous invite à fuir, mais pas à prendre la fuite. On sent l’importance des mots chez Thierry Pardo, l’importance de la terminologie, du mot juste. Et finalement, quand on y pense, il a raison. Je m’aperçois que je n’emploie pas toujours le mot juste dans mes conversations. Pas vous?
C’est un peu comme lorsqu’on dit aux enfants de ne pas traverser la route. Eux, la seule chose qu’ils entendent est «traverser la route». Alors qu’il suffit juste de leur dire qu’on souhaite qu’ils restent à côté de nous.
À la lecture de cet essai, je repense ma vision, mes valeurs, ma petite géographie personnelle. Parfois je suis le déserteur, parfois le pirate. D’autres jours je suis l’ermite et puis encore cet exilé volontaire. Mais une chose est sûre, je suis toujours cet esprit en quête de liberté et d’aventures!
Et vous? Lequel de ces fuyards pensez-vous être ?