Quiconque a déjà ressenti l’aliénation du travail de bureau se retrouvera à merveille dans les pensées cyniques de Bureau Beige.
Bureau Beige, c’est le nom de plume d’une employée ayant œuvré dans la fonction publique au cours de sa carrière, et qui fait bien sûr référence au cubicule, ce lieu symbolique du travail de bureau plate selon l’autrice. Pensées pour jours ouvrables est un recueil de courtes maximes — extraites du blogue portant le même nom — où l’autrice dénonce, avec un ton moqueur et semi-acrimonieux, la bureaucratie administrative et ses règles parfois incohérentes qui gangrènent l’efficacité et la satisfaction des employé.e.s au travail. Critique de la psycho pop et de l’industrie de la croissance personnelle, l’autrice y ridiculise un discours administratif qui utilise des termes que personne ne comprend (comme « démarche itérative incrémentale ») et invente des libellés d’emploi complètement déphasés par rapport à la réalité du travail décrit (comme « coordonnateur de services » au lieu de « réceptionniste »). Elle souligne par ailleurs le paradoxe existant entre l’incapacité des milieux de travail de modifier leurs façons de faire et le discours ambiant valorisant la « gestion du changement ».
Un livre court, mais efficace
De par sa petite taille, Pensées pour jours ouvrables semble être un candidat parfait pour la catégorie « lecture de salle de bain » (soit les livres qui, par leur petit format et leur style littéraire léger — pensées, proverbes, citations, etc. — sont parfaits pour les moments de solitude que confère cette pièce). Qu’on ne s’y méprenne pas néanmoins; les pensées ont beau être courtes, leur impact est bien ressenti, et l’autrice, par son style concis et décomplexé, réussit autant à nous faire rire — et rire jaune, bien souvent — qu’à nous faire réfléchir sur l’incongruité de certains codes du milieu de travail. Bien que le sentiment global qui se dégage du livre soit plutôt négatif, on n’en ressent pas moins le bien-être découlant de la similarité des expériences vécues; tout.e employé.e s’est déjà senti.e aussi « à bout » dans son travail que Bureau Beige, ne serait-ce que temporairement. L’extravagance désespérante de certaines situations nous porte à croire que l’expression « vaut mieux en rire qu’en pleurer » prend tout son sens dans ce livre.
Intitulée « L’air du vide : travail et langage dans le monde contemporain », la postface de Simon-Pierre Beaudet (Fuck le monde, Moult Éditions, 2016) complète à merveille l’ouvrage avec une réflexion qui théorise davantage le texte de Bureau Beige, en ajoutant du contenu et du contexte au sentiment de désillusion du travailleur moderne.
Des perles de sagesse
Voici quelques extraits de ce petit ouvrage qui m’ont bien fait rire :
« Avoir une plante verte dans mon bureau me réconforte autant que de trouver une brocheuse dans une forêt. »
« Gérer le changement par courriel. Y’en a qui pense que ça marche. »
« J’ai su que mon travail avait finalement réussi à ponctionner mon âme le jour où j’ai inscrit Wikipédia comme source de fond dans un rapport d’analyse pour le bureau. »
Bref, une lecture légère, mais adroite, qui fera du bien à tout.e travailleur.se momentanément désabusé du 9 à 5.
Et vous, y a-t-il des recueils de pensées ou de citations qui vous ont fait du bien?
Merci Carolyne pour ce bel article sur Les Pensées Pour Jours Ouvrables! Merci d’en avoir saisi les nuances et la force des paradoxes observés ou vécus… Précisons d’ailleurs que le poste de « coordonnateur de service », ce n’est (malheureusement) pas moi qui l’ai inventé. Il a bel et bien existé et été présenté comme tel sur un site d’offres d’emploi. Ouf!
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