Féminisme
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Hunger: laisser les corps se raconter

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Roxane Gay est une auteure qui répond à la plupart de mes dialogues intérieurs. Lorsque mes questions prennent des proportions incontrôlées jusqu’à en devenir étouffantes, j’ouvre un de ses livres et plus rien ne tombe à plat. Ça avait été le cas avec Bad feminist, ce l’est une fois de plus avec son essai Hunger. 

Dans ce dernier livre, elle nous raconte l’histoire d’un traumatisme qu’elle a vécu. Gay aborde comment cet événement a morcelé sa vie et a drastiquement changé son rapport à son corps. À partir de son expérience personnelle, elle pose la question du corps en général : comment celui-ci est disséqué sous l’œil de la caméra et enfermé dans des statistiques. Roxane Gay rappelle que malgré tout ce qu’occultent préjugés, tous les corps ont une histoire. Et en partie à cause de tout ce qu’elle remue, je considère la parole de son livre comme incontournable.

À travers les courts chapitres qui constituent Hunger, c’est un peu plus d’humanité et d’empathie, envers soi et envers l’autre, qui peuvent naître. Ici, la forme du livre sert absolument bien le propos: devant la dureté de certains passages ou affirmations, il faut prendre le temps de respirer entre les pages. Le récit qu’on nous présente n’est pas facile à entendre, il est en fait très cru, mais ce sont les conditions pour qu’elle puisse raconter son corps en ses propres termes.

Une histoire de honte

Roxane Gay nous raconte s’être bâtie une armure de chair, pour se protéger des autres et de soi. En se créant un endroit confortable où sa vulnérabilité serait enfouie, elle aspirait à être inatteignable. Mais bien vite, l’armure que son accumulation de poids représente n’opère pas l’effet escompté : les mots des autres prennent des allures de petites flèches qui la blessent au quotidien.

C’est ainsi que les jugements et regards obliques finissent par dicter sa vie. Peu à peu, elle se met à se refuser certaines actions, certaines libertés. Ainsi, elle avoue avoir cessé de manger des chips ou autre nourriture du genre en public. À un certain moment, la honte devient si forte qu’elle met fin à toute routine la faisant se sentir bien, comme par exemple se mettre du vernis à ongles. Ces habitudes reflètent toute la violence de la honte subie par Roxane Gay : cela se transforme en une négation de soi qui se loge dans les plus petits gestes.

Une histoire de silence et de solitude

Même si elle est dotée d’une famille aimante, l’auteure décrit toutefois son corps comme un sujet épineux lors des rencontres familiales. Toujours en suspens, la question du poids s’insère de toutes les façons possibles. Là où Gay préférerait ne pas aller, ses parents y vont « par amour ». Le problème est que ceux-ci cherchent une solution intellectuelle à un problème senti. De ces incompréhensions, c’est la solitude et le silence qui émergent: l’entourage ne faisant que répéter le discours ambiant duquel elle est bombardée. Lorsque le corps s’inscrit hors des standards, il devient automatiquement matière à commenter, Roxane Gay raconte que souvent, des inconnus l’approchent pour lui donner des conseils… alors qu’elle n’en a pas demandé.

Nier le corps ou lui imposer une autre vérité que le sien, c’est réduire inlassablement les individus au silence et à l’isolement. Car le corps soi-disant « irrégulier » n’a pas droit à sa parole. Comme si l’on n’était pas prêt à l’entendre, qu’on préférait parler par-dessus lui, jusqu’à l’enterrer. Avec son apparence, Roxane Gay affirme qu’elle dérange, car elle a rompu avec les attentes de la société qui dictent qu’une femme doit prendre le moins d’espace possible. Avec Hunger, c’est l’espace de la parole qu’elle investit, faisant un pied-de-nez avec tous ceux qui voudraient la rendre invisible et inaudible.

Une histoire de survie

De toute cette peine, cette colère, cette honte et cette violence, c’est finalement une histoire de survie qui prend forme dans les dernières pages. Car en effet, elle a déjà survécu à un traumatisme, et elle continue de survivre chaque jour à ses contrecoups. À la toute fin, elle écarte momentanément toutes les paroles qui l’ont heurtée pour faire cette constatation : son corps lui a donné une sensibilité particulière. Hunger pourrait donc se lire comme une histoire de faim sur tous les plans : faim pour plus de sensibilité envers les autres, mais aussi pour plus de liberté créative permettant d’exprimer tout ce qui dérange.

Et j’avoue que j’ai faim, moi aussi, pour plus de paroles comme celle de Roxane Gay. Je crois fermement au pouvoir des récits. Je crois qu’en racontant les histoires, aussi multiples soient elles, c’est une forme d’émancipation qui peut apparaître. Et suivant cela, la lecture de ce livre a été essentielle pour moi. Avec ces pages, j’ai reconnecté avec certaines parties de moi. Pas que j’aie un vécu semblable à celui de Roxane Gay, mais plutôt car son propos a une portée universelle: il se campe dans l’intime pour ensuite prendre de l’expansion.

À travers les pages de Hunger, c’est aussi l’urgence d’arrêter de se sentir légitime de commenter l’apparence des autres. Cette affirmation semble peut être convenue, et pourtant, je continue d’expérimenter au quotidien – comme beaucoup d’autres j’en suis certaine- la parole des autres sur mon propre corps. Et ces propos ne font jamais l’effet de baume ou de solutions. Au contraire, ils viennent se loger à l’intérieur de soi tels des parasites.

Et je suis lasse, aussi, de toujours avoir à éduquer les autres sur ce qui se dit ou non en matière d’image corporelle. Lasse d’avoir à le faire dans une situation où l’on vient de me heurter, de m’imposer une vision sur ma propre image corporelle. Ne pas prendre l’autre en face de soi pour acquis, c’est aussi lui laisser le soin de raconter (ou non, car personne n’y est tenu) son propre corps.

Connaissez-vous des livres qui présentent les récits du corps ?

 

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