Poésie et théâtre
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Une chose très précieuse : voir et lire J’aime Hydro

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Au tout début du mois de mars, j’ai pris la 40 déjà picotée de son trafic de milieu d’après-midi et je suis montée jusqu’à Trois-Rivières. J’avais manqué toutes les représentations montréalaises de l’intégrale de J’aime Hydro et il restait encore des places au balcon de la salle J. Antonio-Thompson, sous le doré et le faste d’un plafond Art Déco. J’ai coincé mes longues jambes dans l’espace qui m’était réservé (de biais, pour ne pas accrocher les épaules de la madame devant moi) et j’ai passé les quatre heures suivantes à regarder Christine Beaulieu parler d’enjeux énergétiques, de biens collectifs et d’amour.

J’ai tout aimé de la pièce: la belle folie de s’engager dans une représentation de quatre heures, justement; l’idée d’une enquête citoyenne menée par une non-initiée; le procédé de mise en abîme, par lequel la construction de la pièce fait aussi partie de la pièce; les illustrations de Mathilde Corbeil projetées sur scène. Et j’ai aimé le texte, que j’ai eu envie de lire aussitôt ressortie sur la rue des Forges.

Des réponses qui sont des questions 

Dans J’aime Hydro, Christine Beaulieu jette les bases d’un dialogue ouvert, une conversation qui invite et informe à la fois. Avec intelligence, mais sans opacité, elle pose une question et passe quatre heures à y répondre: pourquoi un complexe hydroélectrique sur la Romaine? Pourquoi de nouveaux barrages alors que la société d’État engrange chaque année des surplus d’électricité?

La posture de Beaulieu est citoyenne: au début de la pièce, elle n’est ni une experte des enjeux énergétiques, ni une professionnelle de l’hydroélectricité, ni même une militante environnementaliste. Poussée par Annabel Soutar, connue pour son travail en théâtre documentaire, elle va au bout d’une curiosité qui devient rapidement une forme d’engagement. Elle s’investit dans cette démarche, portée par un sentiment grandissant d’urgence; elle fouille, gratte, interroge. Elle arrive à des réponses nuancées qui sont elles-mêmes des questions, complexes et expansives. Les conclusions auxquelles elle arrive débordent de partout: il s’agit moins de trancher que d’échanger.

De cette façon, J’aime Hydro tisse aussi une réflexion autour de la notion de responsabilité: qui, dans nos sociétés, doit explorer ces grands enjeux? Qui est le mieux habilité pour le faire? À qui donne-t-on d’emblée cette légitimité, à qui la refuse-t-on? Et est-ce qu’on ne survalorise pas parfois l’expertise aux dépens de la curiosité?

S’adresser à tout le monde

Mais surtout, je m’étais dit que c’est incroyable, l’immensité des structures que les humains ont mises en place pour arriver à faire bouger des électrons. On a construit des barrages hauts comme la Place-Ville-Marie pour faire bouger des particules élémentaires, imperceptibles, infiniment petites. C’est capoté! (p. 59)

Sur scène comme sur papier, il y a dans J’aime Hydro un enthousiasme qui infuse tout le texte. Mais il y a aussi autre chose, une chose très précieuse: la pièce est accessible. Beaulieu s’adresse à tout le monde. Elle le fait sans condescendance, sans présumer que nous, le public, connaissons d’emblée ce dont elle va nous parler. Elle nous donne les moyens de l’accompagner dans sa réflexion, étape par étape. Elle revient aux bases et, dans un passage particulièrement délicieux, nous explique même ce que sont l’électricité et les électrons.

Et dans la salle J. Antonio-Thompson, à Trois-Rivières, il y avait tout le monde. À côté, devant et derrière moi: une madame et son monsieur qui venaient au théâtre pour la première fois en vingt ans; trois cégépiennes en Blundstones; une grande fumeuse au toupette crêpé; un homme en veston qui n’a pas du tout apprécié les pointes lancées à François Legault. Il me semble rare et remarquable que des personnes aussi différentes se réunissent autour d’une même conversation. Je me suis dit que c’était une belle démonstration: ce à quoi une citoyenne intelligente et curieuse peut arriver, sans que rien dans son parcours ne l’y ait prédestinée.

Pour écouter les trois premiers épisodes en balladodiffusion, c’est juste ici.

Aimez-vous lire du théâtre? Quelles pièces sont aussi de belles expériences de lecture?

Christine Beaulieu, illustrations de Mathilde Corbeil. J’aime Hydro. Atelier 10 (2017), 253 pages.

2 Comments

  1. Salut! Merci pour cet article, je ne connaissais pas Beaulieu mais ça m’intrigue. Y a-t-il des ouvrages que tu conseillerais pour commencer chez cette écrivaine?
    Par ailleurs tu as une très jolie plume!

    J’aime

    • Amélie Panneton says

      C’est la première pièce qu’elle écrit! J’espère qu’il y en aura d’autres, mais pour l’instant, il n’y que ‘J’aime Hydro’ pour la découvrir.
      & merci pour les bons mots, ça fait vraiment plaisir ❤

      Aimé par 1 personne

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