Je vise la brièveté pour cet article, car le livre dont il est question ici se dévore littéralement. Je n’ai donc pas l’ambition de le décrire en long et en large. Cet ouvrage m’apparaît important dans une ère, et on l’a déjà dit et redit, où la perfection standardisée du corps des femmes (voir de la femme) est le modèle proposé. Je vous suggère de lire ce récit avec sensibilité.
Lynda Dion se présente
Lynda Dion : femme adulte, blanche, occidentale et grosse. Surtout grosse.
C’est à travers ce mot, tantôt insulte, tantôt simple constat, que Lynda Dion planchera pour créer cette autofiction prenante. Elle amène le lecteur dans ses pensées les plus sombres, dans ses soirées de gourmandise aux allures d’autopunition, dans ses rencontres chez le psy et même en plein cœur de son processus littéraire dont le roman lui-même est l’aboutissement.
L’impression qui se dégage de la plume autant que de la mise en forme du récit, à savoir une prose dépourvue de ponctuation et séparée en petits paragraphes, est de lire le journal intime de l’écrivaine. Ce regard excessivement proche du quotidien de Lynda Dion ne la rend jamais pathétique. Je n’ai pas non plus vu poindre à l’intérieur de moi de la pitié. Plutôt, je me suis surprise à m’imprégner de sa colère et à m’inquiéter des discours ambiants autour de la grosseur.
Son corps devient viande : il est disséqué, senti, mangé. Elle se dégoûte, son regard sur elle-même est impitoyable et froid. C’est désarmant.
mais il y a pire encore que le mal de cœur
la honte patchée sur la peau c’est elle le poison c’est elle qui prend les commandes ouvre les vannes condamne encourage assassine confirme paralyse broie enterre
Évidemment, j’ai été inspirée à me questionner sur mon propre rapport à mon corps. Sans vivre moi-même la relation que Lynda Dion entretient avec le sien, j’ai mieux saisi l’espace occupé par mon corps, et surtout, comment moi j’occupe ce corps.
Huit chapitres séparent le roman, tous introduits par un dessin original de l’autrice, où elle se représente elle-même au fusain comme une géante, toujours dans des situations complexées et glauques.
Un mur qui éclate
La vie quand on s’identifie comme grosse se passe derrière un mur parallèle, car ce discours est en général assez absent. Lire Grosse, c’est foncer à toute vitesse dans ce mur. Il explose, et il en jaillit un torrent d’angoisses et de vérités propres à l’autrice, mais avec un potentiel certain d’identification chez beaucoup d’autres qui se battent contre leur propre corps.
l’ostie de grosse vache se meurt d’envie d’expulser sa colère dans un grand flot de phrases détachées rompre les cordons par lesquels l’ennemi grimpe et prolifère comme la peste
la perfection est une exigence meurtrière qui empile ses cadavres dans le garage
J’ai perdu le souvenir d’un livre qui m’avait autant « j’té à terre » de la sorte.
Et vous, quel est le dernier livre coup de poing que vous avez lu?
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