Mes premières rencontres poétiques, à ce que je me souvienne, étaient avec Nelligan et St-Denys-Garneau. C’était à la fin du secondaire et au début du cégep. On ne peut pas dire que nos premières dates aient été fructueuses. Je n’arrivais pas à ressentir quoi que ce soit au travers leurs images.
Je pense que mon esprit analytique et pragmatique empêchait quoi que ce soit de se produire. Je ne voyais que la surface, déboussolée par des mots que l’on ne pouvait associer ensemble pour décrire une réalité. Il y avait bien peu au-delà du Vaisseau d’or qui s’échoue et j’aurais bien aimé savoir qui était cette joie qui marchait aux côtés de St-Denys-Garneau.
La poésie est longtemps restée bien mystérieuse. Je ne savais comment la définir, je ne savais comment l’apprécier, je ne savais comment l’apprivoiser.
Mais je ne pouvais détacher mon regard d’elle.
Et puis un jour, j’ai repris contact. J’ai participé à un atelier d’écriture. J’y ai mis tout mon cœur, mais l’animateur m’a dit à la toute fin que je n’avais pas respecté les consignes : j’avais écrit de la prose, et pas de la poésie.
Décidément, je n’y comprenais rien.
J’ai abdiqué, et je l’affirmais fièrement : « La poésie, ce n’est pas pour moi. »
Puis, j’ai eu un deuxième rendez-vous avec Regards et jeux dans l’espace, 13 ans plus tard, sous la contrainte d’un plan de cours d’Introduction à la littérature québécoise. Cette fois-là, il y a eu des étincelles entre nous. La douleur de St-Denys-Garneau résonnait en moi, et c’était puissant. Quelque chose venait de se passer. Il a fallu que j’en parle à mes amis poètes : « Je pense que j’ai compris quelque chose ».
J’ai en fait saisi qu’il faut laisser du temps à la poésie. Il faut avoir un peu de vécu pour l’apprécier à sa juste valeur. Il faut avoir pleuré. Il faut aussi avoir ri. Il faut avoir été seul. Il faut avoir aimé. Il faut aussi avoir été aimé.
Et maintenant que « j’ai des chances » avec la poésie, je commence par quoi?
Je ne savais pas trop quoi lire, qui découvrir. J’avais un peu peur de tomber sur un mauvais numéro et que ma relation toute neuve avec la poésie ne s’éteigne d’un souffle.
Or, j’ai découvert Les cent plus beaux poèmes québécois, grâce à un cours de création littéraire — pendant lequel j’ai écrit mes premiers vrais poèmes, croyez-moi! Cette anthologie est une excellente porte d’entrée dans ce monde intrigant – et si peu connu — de la poésie québécoise.
Aujourd’hui, maintenant, combien pourriez-vous nommer de poétesses et de poètes québécois?
Il faut le dire, la poésie est à la littérature ce qu’est l’underground à la musique. Selon la maison de la poésie de Montréal, seulement 1 % des lecteurs achètent des recueils poétiques. Pour cette raison, les petites librairies hésitent à s’en procurer. Là où je vais choisir mes livres (une librairie indépendante de région), il y a à peine quelques centimètres de rayon dédiés à la poésie!
Il y a pourtant de bien belles découvertes à faire. Il y a eu quelques grands noms et des périodes d’or de cette forme d’expression au Québec, et la relève est tout aussi intéressante.
En lisant l’anthologie préparée par Pierre Graveline, j’ai vraiment été surprise par le nombre d’auteures et d’auteurs, mais aussi par la diversité des thèmes et des styles d’écriture. On est parfois bien loin du classicisme de Nelligan!
On y retrouve des morceaux choisis provenant du travail de 75 artistes québécois, soit cent poèmes publiés entre 1879 et 2007. On ne peut pas donc lire ce qui se fait de plus actuel, mais la belle diversité qui s’y trouve nous permet de tomber sur quelques coups de cœur. On y parle d’amour – peut-on faire autrement dans la poésie? – de nature, de désir et d’identité.
Il existe deux versions de cette anthologie dans lesquelles se cachent des détails en noir et blanc d’œuvres de l’artiste René Derouin. C’est d’ailleurs ce dernier qui a invité Graveline à faire ce livre hommage à la poésie québécoise. Je me suis procuré le format de poche — très pratique pour avoir accès à la poésie partout – mais il y a aussi une version « beau livre », que j’ai dénichée dans la bibliothèque de mon amoureux. Quinze œuvres inédites de Derouin y ont été insérées, en couleur. C’est le genre de livre qui donne l’envie d’acheter une maison en campagne pour le laisser y trainer sur une table basse, tout près du feu de foyer et de la couverture de laine…

Le Vaisseau d’or, une oeuvre de René Derouin dans l’anthologie Les cents plus beaux poèmes québecois.
Ce qui m’a charmée le plus dans l’anthologie, ce sont les poèmes qui jouent avec le rythme et les sonorités. Quel plaisir de lire tout cela à voix haute!
Et à genoux si genoux me portent je porte mains
à tes hanches te couvre peau de blanche brune
et blanche
aussi je plie frôle tes pieds de long désir affolé
chaque doigt chaque soie de langue
que corps prenne force de peau
extrait de Bleus de mine (Anne-Marie Alonzo), p. 18
On ne peut pas prévoir pencher si
soudainement vers un visage et vouloir lécher
le corps entier de l’âme jusqu’à ce que le regard
étincelle de toutes les fureurs et les abandons.
On ne peut pas prévoir l’emportement du corps
dans l’infini des courbes, des sursauts, chaque
fois que le corps se soulève on ne voit pas
l’image, la main qui touche la nuque, la langue
qui écarte les poils, les genoux qui tremblent, les
bras qui par tant de désir entourent le corps
comme un univers. On ne voit que le désir.
extrait de Sous la langue (Nicole Brossard), p. 35-37
J’ai été étonnée d’être charmée par l’originalité de Gauvreau :
Mon Olivine
Ma Ragamuche
je te stoptatalère sur la bouillette mirkifolchette
J’acramuze ton épaulette
Je crudimalmie ta ripanape
Je te cruscuze
Je te goldèpe
[…]
je me penche et te cramuille
Extrait de Les boucliers mégalomanes (Claude Gauvreau), p. 100
Maintenant, je le dis fièrement : « J’aime ça, la poésie. Pis la poésie québécoise, en plus! »
Quels sont vos poétesses et vos poètes québécois préférés?

La quatrième de couverture de l’anthologie.
GRAVELINE, Pierre (2007). Les cent plus beaux poèmes québécois. Fides, 235 p.
GRAVELINE, Pierre (2013). Les cent plus beaux poèmes québécois. Biblio Fides, 225 p.
Référence: http://www.maisondelapoesie.qc.ca/fr/mission
J’éprouve une sympathie particulière pour Albert Lozeau, qui vécut paralysé depuis l’âge de 13 ans et dont la poésie symboliste possédait un certain degré de raffinement.
Son poème « Mauvaise solitude » est à mon sens une véritable petite perle poétique, et contient une charge émotionnelle des plus fortes.
Bon jour à vous.
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