La poésie est un genre littéraire que je connais très peu, pour ne pas dire trop peu. Dans une chronique parue en mars dernier, j’avais d’ailleurs exposé mon souhait de lire davantage de poésie en 2018 afin d’élargir mes horizons littéraires. La découverte du dernier recueil de Daria Colonna, intitulé Ne faites pas honte à votre siècle et finaliste au prix des libraires 2018, s’inscrit dans cette quête.
D’emblée, je me dois de souligner le titre judicieux de ce recueil, un titre qui suggère une réflexion sur notre legs à l’histoire et notre inscription dans la longue durée. Bien qu’il soit plutôt rare que j’acquière une œuvre littéraire en raison de son titre, c’est pourtant ce qui s’est produit à l’égard de cette plaquette publiée chez Poètes de brousse. Je me suis dit que si le contenu du livre reflétait la finesse de son titre, l’expérience littéraire en vaudrait le coup. Et je n’ai pas été déçue.
Une poésie d’une violente lucidité
Les textes de Daria Colonna frappent par leur analyse d’une grande justesse à l’égard de multiples franges de la population. Ils traduisent une subtile volonté de destruction afin de mettre fin à l’hypocrisie qui gangrène notre époque. On y perçoit une condamnation des comportements attirant une reconnaissance sociale qui ne sert qu’à maintenir le statuquo. C’est le manque d’audace et l’abandon des convictions profondes chez l’être humain que l’autrice dénonce entre ces pages. Qu’importe notre place sur l’échiquier politique, nous sommes tous et toutes confronté.e.s à nos paradoxes internes ainsi qu’à la malléabilité de nos propres valeurs.
vous votez stratégique
vous êtes séduit par vos convictions
votre compte en banque aussi
vous ne mourrez pas d’audace
ni d’une grenade
vous achevez la race des sages
vos fils aussi
la mélancolie sera leur dernier privilège
ne faites pas honte à votre siècle: «donnez au suivant»
Avec une pointe de sarcasme bien placée, l’autrice termine plusieurs poèmes en reprenant le titre de son recueil sous la forme d’une recommandation ironique qui souligne la médiocrité humaine d’une manière quasi passive-agressive.
Double condamnation
On remarque également une construction intéressante dans ce recueil qui se sépare en deux sections. La première partie, intitulée « Je vous en prie », comprend des poèmes qui interpellent directement le.la lecteur.lectrice par l’utilisation fréquente d’une narration au « vous ». La deuxième partie, intitulée « En paix et jusqu’au mur », se compose plutôt de courts paragraphes lyriques où le « je » et le « nous » sont prédominants.
C’est donc une double condamnation que l’autrice effectue dans son recueil; d’une part, en interpellant « l’autre », le « vous » dont elle dénonce les multiples comportements hypocrites, et d’autre part, en se penchant sur sa propre condition afin d’en critiquer la fourberie :
Je sais que ma honte, elle aussi, est un cliché du siècle. De peur que la foudre ne l’applique à ma petite vie de foyer comme on maquille un mort, de peur que n’en surgissent trop d’armes et que la folie ne déclasse l’eau vitale, de peur de la porter comme une fierté, un vêtement j’ai fait comme si la honte n’avait aucun goût.
Bref, Ne faites pas honte à votre siècle est une lecture coup-de-poing, qui met en exergue les contradictions et l’hypocrisie de notre époque. Souhaitons que l’autrice entretienne ce regard poignant sur le monde et continue de nous partager sa clairvoyance dans une prochaine création littéraire.
Et vous, avez-vous des suggestions de poètes dont la plume vous a subjugués?