Étant friande de bandes dessinées, je n’ai pas su résister à l’appel de la charmante œuvre La fille dans l’écran, qui me semblait tout à propos après la lecture assez lourde, mais envoûtante, du fameux Ligne de failles de Nancy Huston. En somme, je ressentais le besoin d’appliquer un doucereux baume sur mon cœur et je ne me suis pas trompée en choisissant l’oeuvre de Manon Desveaux et de Lou Lubie. C’est un réel bonheur de tourner les 180 pages de ce livre qui se veut à la fois léger et complexe, notamment par les thèmes qui y sont abordés.
Résumé
La fille dans l’écran raconte l’histoire de deux jeunes artistes, une vivant au Québec, Marley, et l’autre résidant en France, Coline. Cette dernière est une illustratrice qui a pour objectif de publier un livre jeunesse sur les animaux du Nord, particulièrement sur ceux qu’il est possible de retrouver au Canada. Pour ce faire, elle s’inspire de photographies trouvées sur le net dont la plupart sont de l’artiste photographe, Marley. Les deux femmes entrent en contact et une connexion presque immédiate s’établit entre elles. Leur passion commune pour les arts les rapprochera, et ce, plus qu’elles ne pouvaient se l’imaginer.
Le traitement des esthétiques
L’un des aspects les plus fascinants de cette bande dessinée est assurément le traitement des esthétiques propres à chacune des artistes se partageant les planches. Le travail collaboratif effectué par Manon Desveaux et Lou Lubie est rafraîchissant puisqu’il mélange des styles différents, oui, mais parallèlement très compatibles. Desveaux dessine en noir et blanc alors que Lubie parsème ses illustrations de couleurs. De plus, les personnages créés par Lubie ont davantage des traits nets, contrairement à ceux de son acolyte qui préfère les traits organiques et un peu brouillons. Cette manière de faire rend la lecture bien divertissante puisqu’elle semble se renouveler à chaque deux pages.
De plus, cette façon de travailler met en lumière les deux artistes que sont les protagonistes principales du récit qu’on met en scène. Il est tout à fait pertinent, du moins sous mon œil, que Coline soit le personnage représenté en noir et blanc puisqu’elle n’est pas dans une très bonne période de sa vie. Elle manque de confiance en elle et souffre d’insécurité pratiquement de manière constante. Encore faut-il souligner qu’elle est sujette à des crises d’angoisse et de panique liées, entre autres, à une phobie scolaire. De son côté, malgré une existence peu trépidante avec un conjoint contrôlant, Marley est une jeune femme colorée qui détient une assurance marquée, et la palette sélectionnée pour la personnifier l’exprime parfaitement. De fait, on comprend aisément que le traitement des couleurs n’est pas anodin et qu’il sert adéquatement le propos, ce qui est plutôt ingénieux. D’ailleurs, quelle idée géniale que de reproduire la collaboration de deux artistes féminines dans un collectif entre deux femmes! N’est-ce pas un peu comme franchir le quatrième mur?
Crédit photo : Michaël Corbeil
Le traitement des thèmes
J’apprécie particulièrement que le monde de la bande dessinée et du roman graphique travaille sérieusement à mettre de l’avant la communauté LGBTQ+2 ainsi que la réalité de la santé mentale. Je considère que ce médium est l’un de ceux qui s’y engagent le plus ardemment ces dernières années. La fille dans l’écran ne fait pas exception. Bien que le récit raconté ne soit pas celui d’une relation homosexuelle, il met en scène, de façon sensible, la possibilité d’un amour naissant entre deux femmes qui ne se savaient pas attirées par leur propre sexe. C’est un épisode sous-jacent de l’intrigue principale, mais tout de même très important en ce qui a trait au respect de soi et de ses désirs. Car, il faut le dire, le couple de Marley n’est pas au beau fixe. Vincent, le copain de celle-ci, adopte un comportement contrôlant qui ne permet pas à sa conjointe de s’épanouir pleinement, spécifiquement lorsqu’il s’agit de la photographie. Il ne l’encourage pas du tout à se développer en ce sens, contrairement à Coline, et préfère qu’elle travaille dans un petit café pour assurer leur avenir financier. Le sujet est plutôt délicat, mais il est traité avec une grande sensibilité et un réalisme désarmant.
Il ne faudrait pas oublier la finesse avec laquelle la bande dessinée donne à voir les aléas des victimes souffrant de troubles d’anxiété. On y retrouve notamment l’incompréhension des proches, la peur des foules et des lieux trop bondés, l’insécurité constante face à des choix qui peuvent paraître au commun des mortels assez banaux, etc. Bref, on sent que les deux bédéistes connaissent leur sujet à fond et qu’elles prennent celui-ci au sérieux. Il est important de souligner que Lou Lubie a déjà écrit sur la santé mentale par le passé, plus précisément sur sa vie personnelle en tant que bipolaire dans Goupil et face, publié en 2016 chez Vraoum. Le doigté habile n’y est pas pour rien.
Je vous recommande fortement cet ouvrage, et ce, peu importe le type de lectrice ou de lecteur que vous êtes. C’est un délice pour les yeux et pour l’âme qui ne peut que vous apaiser pour les jours à venir. Maintenant, je suis bien curieuse de découvrir les autres créations de ces deux illustratrices. Jamais trop de culture!
Avez-vous découvert des bandes dessinées ou des romans graphiques abordant des sujets complexes et profonds dans les dernières années?
Wow, tu m’as vraiment donné envie de le lire ! Je ne connaissais pas du tout ce livre, merci pour la découverte 🙂
Et puis je dois dire que je suis particulièrement impressionnée par ta description des images, je ne sais jamais comment décrire les bandes dessinées et les illustrations, haha 😛
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