Littérature québécoise
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Dans une ombre très sombre

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Bien que le nom d’Adolf Hitler soit familier, celui de celle qui a été à ses côtés durant quinze ans demeure assez méconnu. Pourtant, Eva Braun a occupé une place pour le moins importante dans la vie du chancelier du troisième Reich. Les deux livres du Québécois Jean-Pierre Charland que j’ai lus, soit Un jour, mon prince viendra et Une cage dorée, relatent la vie de cette Allemande ayant côtoyé celui qui a changé l’histoire de l’Allemagne et celle du monde.

Depuis le début

Le premier tome débute avec un passage se déroulant en 1944, mais quelques pages plus tard, la chronologie reprend durant l’enfance d’Eva. Je me suis d’abord questionnée sur ce choix de l’auteur. Pourquoi parler de l’enfance de la femme, alors que c’est surtout sa vie de jeune adulte durant la montée du nazisme qui caractérise son existence? En lisant, je me suis rendu compte que ce retour en arrière était très pertinent. Il nous permet en fait de comprendre certaines choses qui ont pu mener cette jeune femme venant d’une famille banale, non politisée, à s’enticher d’un homme comme Adolf Hitler.

Eva a deux sœurs, une plus âgée et une plus jeune. Sa position dans la lignée des sœurs Braun lui donne l’impression d’être la moins importante. Son manque d’intérêt pour l’école et ses notes moyennes la placent bien loin derrière Ilse, sa sœur aînée, avec qui elle a une relation assez difficile. Lorsqu’elle se met à travailler pour Heinrich Hoffmann, celui qui deviendra le photographe officiel du Parti national-socialiste des travailleurs allemands, elle rencontre Adolf Hitler, qui aime alors se faire appeler Herr Wolf. Elle a dix-sept ans, lui, quarante. Malgré cette différence considérable, la jeune fille s’entiche de l’homme politique. Elle n’est pas tellement informée des activités de son prétendant, mais elle est certainement flattée qu’un homme plus âgé, important de surcroît, s’intéresse à une fille complexée comme elle. Au cours des années, elle gagnera une position de pouvoir évidente, qui sera finalement enviée par tous ceux qui la regardaient de haut.

«L’idée d’impressionner ces gens lui plaisait. En réalité, elle souhaitait parader devant toutes les personnes qui l’avaient vue adolescente, mauvaise élève, traînant quelques kilos en trop. Elle n’irait pas jusqu’à lancer « En avez-vous autant? », mais ce n’était pas l’envie qui lui manquait, surtout devant celles de ses camarades qui l’avaient traitée de vache stupide.»

Une cage dorée

Le deuxième tome, Une cage dorée, porte très bien son nom. Lorsque Eva accède au cercle rapproché d’Hitler, elle est confinée à une toute petite place. Le Fürher souhaitant montrer à la population allemande qu’il est «marié à l’Allemagne», impossible pour lui d’être vu en compagnie d’une femme qui n’est pas mariée. Seuls les membres très importants du Parti connaissent le réel rôle qu’occupe Eva, en théorie toujours l’assistante du photographe. Consciente qu’elle ne peut rien exiger de la part du chef de l’Allemagne, elle n’a d’autres choix que de prendre la place qui lui est concédée. Elle ment donc à ses parents pour le rejoindre lorsqu’il est disponible, passe des soirées près du téléphone pour être certaine de ne pas manquer ses appels, qui ne viennent pas toujours, et attente à sa propre vie lorsque la jalousie et le sentiment d’abandon se font trop forts.

Malgré tout le luxe auquel elle a droit en étant une proche du chancelier, Eva a un quotidien malheureux. Les vêtements, les chaussures griffées, les voyages en Italie, les après-midi de farniente près d’un lac alors que la guerre fait rage ou les repas bien arrosés ne pallient pas l’absence de celui qu’elle aime. Elle n’aura jamais pu vivre une vie de couple normale, elle n’aura jamais pu sortir de l’ombre. Bien que le couple se soit lié par le mariage la veille de leur suicide, Eva n’aura jamais pu être présentée comme Mme Hitler, malgré qu’elle l’ait ardemment souhaité.

Histoire inversée

Les romans traitant de la Deuxième Guerre mondiale mettent souvent en scène ceux qui sont perçus comme étant du «bon» côté de l’histoire. Les livres finissent par la Libération, la signature de l’Armistice ou le retour des soldats. Dans les romans de Jean-Pierre Charland, c’est plutôt l’inverse. Le début de la guerre est une série de victoires, la consécration du génie d’Hitler. Par contre, plus le récit avance, plus l’Allemagne s’enfonce. Comme les gens près du pouvoir ne manque de rien durant la guerre, ils ne vivent un grand coup dur qu’en 1945. C’est toute la guerre qui les rattrape. Cela fait en sorte que la fin du roman est très lourde, avec plusieurs trahisons chez les SS et les membres du Parti, et une vague de suicides dans le Fürherbunker.

Pour ce qui est du lien entre Eva et celui qu’elle surnomme Adie, et de leur histoire d’amour, elle est surtout bizarre au début. Il est d’abord vraiment difficile de comprendre ce qu’elle peut trouver à un homme qui pourrait facilement être son père. Mais plus le livre avance, plus on oublie qu’Hitler est un dictateur. Les horreurs perpétrées durant ce second conflit mondial ne sont mentionnées que quelques fois seulement. Mine de rien, on éprouve de la sympathie pour Eva, qui espère toujours plus d’attention de son Fürher et qui défend bec et ongles cette relation. Lorsque sa sœur Ilse remet en question certaines tactiques d’Hitler et la relation que sa sœur entretient avec lui, le point de vue d’Eva est tellement prédominant dans le livre qu’on en vient à trouver Ilse envieuse et défaitiste.

Bref, ces deux romans montrent d’abord comment l’Allemagne a pu mettre toute sa confiance en cet homme, mais surtout comment Eva Braun a choisi de se complaire dans son rôle de maîtresse confinée à vivre dans l’ombre. C’est une lecture que j’ai trouvée très instructive, car elle traite d’un aspect de la situation qui est beaucoup moins connu et discuté.

Quels autres livres montrent un pan de l’histoire d’un point de vue différent?

Un commentaire

  1. J’ai lu « The plum tree » malheureusement non traduit. Le roman s’inspire des réalités de la famille de l’auteure qui les intègre dans la fiction de ce premier roman magnifiquement écrit, raconté du point de vue d’une allemande non juive vivant les privations de la guerre et la peur grandissante des nazis.
    Les descriptions vivantes du roman aident le lecteur à sentir qu’il fait partie de la période et des lieux. Tous les non-Juifs vivant en Allemagne dans les années 1930 n’étaient pas des nazis. L’histoire du roman relate la vie quotidienne d’une famille déchirée par les sentiments de patriotisme envers son pays et par la terreur croissante des nazis assombrissant leur seuil. L’héroïne du livre, Christine, apprend de quoi est faite la vie dans un camp de concentration quand elle est déportée dans un camp après que les SS découvre qu’elle cachait son petit ami juif.
    Ellen Marie Wiseman tisse une histoire d’intrigue, de terreur et d’amour dans une perspective que l’on ne voit pas souvent dans les romans de l’Holocauste.

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