La collection « Médium », par l’éditeur L’école des loisirs, me suit depuis mon adolescence. Les couvertures minimalistes et les histoires complètement originales n’auront jamais fini de m’envoûter. Aïzan, de Maryline Desbiolles, s’est donc retrouvé dans ma pile de livres à lire et ne m’a pas déçu, au contraire.
Un fil brûlé
La couverture du roman, un fil brûlé qui disparaît vers le lointain et disposé sur un papier au quadrillé presque transparent, laisse une impression de douceur et d’incertitude. Cette incertitude naît aussi du fait que le lien ne se fait pas d’emblée avec le titre du roman. Cependant, lorsqu’on termine l’histoire, cette photographie prend tout son sens.
De la Tchétchénie à Nice
Aïzan est une petite fille de 11 ans, arrivée tout droit de Tchétchénie dans le quartier de l’Ariane, à Nice. Elle se retrouve alors déchirée, dans ce quartier, entre ses souvenirs de voyage migratoire et son point de chute. Son père a disparu. Elles ne sont plus que deux, sa mère et elle.
«Elle ne se souvient pas de la Tchétchénie, pas du voyage en avion, le seul voyage en avion qu’elle ait jamais fait. Mais de l’hôtel où ils ont vécu à Paris, elle se souvient un peu. Des odeurs, par-dessus tout des odeurs de nourriture qui imprégnaient le lit, comme sa mère arrivait à cuisiner, et bien que ce fut interdit, sur un minuscule camping-gaz dans la minuscule chambre. Des odeurs chaudes dans lesquelles on s’endormait comme des bienheureux, comme des petits pains qu’on aurait mis à cuire doucement au four.»
Obsédée par le retour à ce chiffre de «3», qui fait écho au temps où sa mère, son père et elle formaient une famille, Aïzan s’invente une sœur. Une sœur parfaite et toujours disponible lorsqu’elle en a besoin.
Un rituel particulier, presque magique, la fait apparaître : des mots doux et un frottement des bosses entre les jointures de ses petits doigts d’enfant. Alors, elle peut se blottir contre sa nouvelle amie. Cette volonté si inoffensive d’une enfant vivant une solitude immense m’a attendrie, inévitablement.
Cette sœur imaginée porte le nom d’Ariane, comme son quartier niçois. La métaphore avec le fil d’Ariane, rappel de la couverture, est maintenant évidente. Ariane devient la guide invisible qui permet à Aïzan de se repérer dans l’inconnu et le brouillard de son environnement, dans lequel elle ne reconnaît rien qui la rassure.
Mythologie grecque et parcours de vie
Le roman nous fait aussi plonger dans la mythologie grecque avec l’histoire d’Ulysse qui, lui aussi, cherche son chemin et doit braver mers et mondes pour le retrouver. Il nous fait rencontrer un charmant garçon du quartier d’Aïzan, dont elle tombe rapidement amoureuse.
Maryline Desbiolles nous permet de pénétrer dans l’imaginaire d’une enfant perdue et quelque peu délaissée par sa mère, préoccupée par d’autres enjeux qu’on peut facilement imaginer, liés à son parcours migratoire, à ses propres souvenirs de Tchétchénie, à la perte de son mari… Une des forces du roman, c’est justement ça : nous laisser dans le flou, tout en nous donnant quelques pistes, quelques fils d’Ariane à suivre dans le labyrinthe des événements éprouvants et des parcours émotifs des personnages d’Aïzan.
Livre de cœur
Livre de cœur, Aïzan permet certainement d’approfondir sa sensibilité, d’une manière détournée, à l’égard de ces enfants migrants qui vivent des détachements, de l’incompréhension, de la colère, de l’émerveillement, de nouvelles rencontres, des discriminations, et qui, par-dessus tout, cherchent à se reconnaître dans leur nouveau chez-eux.
Et vous, quel livre vous a ouvert le cœur?