J’adore les romans d’anticipation dystopiques et autres visions catastrophiques du futur, génératrices d’angoisses nocturnes! Cependant, après la déferlante des Hunger Games, Divergente et pléthore de séries du même acabit d’il y a quelques années, je croyais avoir eu ma dose de récits post-apocalyptiques «young adults» pour un moment… Jusqu’à ce que je me retrouve Dans la forêt de Jean Hegland.
Je ne sais pas pourquoi, mais les éditeurs francophones ont cru bon de nous faire patienter plus de dix ans avant de traduire ce petit bijou de la littérature américaine, qui avait pourtant connu un succès respectable à sa sortie, en 1996. Loin d’être passés date, les thèmes abordés sont, au contraire, tout à fait d’actualité. Dans la forêt raconte l’histoire touchante et douloureusement réaliste de deux sœurs adolescentes qui se retrouvent seules face à la fin de la civilisation telle que nous la connaissons. Très différent des autres livres du genre, c’est un roman sur la résilience… qui a un subtil arrière-goût de propagande new age!

Girl power et patchouli
On ne se le cachera pas: ce livre est un manifeste prônant un retour à la vie sauvage! C’est à la fois un mode d’emploi détaillé pour apprendre à survivre en forêt, un guide d’herboristerie pour les nuls et un manuel de simplicité volontaire appliquée. Sans être réellement mentionnée, la question écologique est omniprésente. L’autrice, qui a clairement vécu à fond la décennie 70, dénonce le consumérisme américain et nous invite à repenser notre rapport au monde. Sans toutefois verser dans l’ésotérisme, il est évident qu’elle désire nous voir embrasser notre féminin sacré et vivre en communion avec la nature!
C’est une lecture qui fait réfléchir, sans être moralisatrice, aux véritables enjeux de la vie humaine. De quoi avons-nous réellement besoin? Alors que toutes les choses qu’elles tenaient pour acquises disparaissent une à une, que toutes les choses qu’elles croyaient essentielles viennent à manquer, qu’elles sont peu à peu dépouillées de tout ce qui constituait leur vie telle qu’elles la concevaient, Nell et Eva trouvent, dans la forêt entourant leur maison, tout ce dont elles ont besoin pour survivre – du bois pour le feu, des fruits pour se nourrir, des herbes pour se soigner – et, en elles-mêmes, elles découvrent un instinct de survie insoupçonné!
«Petit à petit, la forêt que je parcours devient mienne, non parce que je la possède, mais parce que je finis par la connaître.»
La relation qui unit les deux sœurs est au cœur du roman. Nell, l’intello, incarne la raison, tandis qu’Eva, la sportive, représente le corps. Complémentaires, les deux jeunes filles se suffisent à elles-mêmes et finissent par comprendre qu’elles n’ont nul besoin d’être secourues. C’est cette solidarité sororale, immuable alors que tout bascule autour d’elles, qui leur permet de trouver la force nécessaire pour entreprendre les changements essentiels à leur survie.

Déni, culpabilité, colère, marchandage, dépression, reconstruction et acceptation
Toutes les étapes psychologiques du deuil, nous les traversons avec les héroïnes de ce roman, qui doivent faire le deuil non seulement de leur passé – de leurs proches disparus et de toutes les petites choses qu’elles aimaient –, mais surtout de leur futur. Tous les plans d’avenir qu’elles avaient imaginés, la carrière à laquelle elles s’étaient préparées, les amours qu’elles espéraient vivre: tout ça n’aurait jamais lieu.
L’histoire se déploie avec une lenteur nécessaire, qui permet d’illustrer le long processus du changement de paradigme. L’autrice n’essaie pas de nous dorer la pilule: abandonner ses certitudes, c’est loin d’être facile! Changer demande des efforts et des sacrifices, et devient alors une véritable quête spirituelle. Peu de gens y sont préparés, mais le message est clair: seuls ceux qui sauront accepter le changement et s’adapter survivront.
Si la vie te donne des fraises sauvages, fais-en des conserves de confiture pour survivre à l’hiver! Ainsi, le parcours difficile des deux sœurs se termine sur une note d’espoir et une invitation radicale: laissons tomber nos illusions construites socialement, quittons le confort abrutissant de nos villes et partons vivre tout nus dans les bois!

J’adore faire des excursions en forêt, observer la vie qui m’entoure et photographier la beauté qu’elle recèle, humer l’air frais qui sent bon les feuilles humides, cueillir des framboises sauvages chauffées par le soleil, écouter le chant joyeux des petits oiseaux… La lecture de ce livre est une expérience immersive et profonde, subtilement subversive, qui nous invite à réapprivoiser cette nature, à ne plus parcourir les sentiers en simples observateurs, mais à oser en sortir pour faire partie intégrante de la forêt. Je ne sais pas si je trouverai un jour le courage de tout abandonner pour aller refaire le monde dans une cabane en bois rond, mais si cela se produit, j’emporterai certainement ce livre avec moi!
«Elle a dansé avec un corps qui avait semé des graines, ramassé des glands, donné naissance. Avec de nouveaux mouvements qui n’avaient pas de noms, elle a dansé la danse d’elle-même, tantôt sauvage, tantôt tendre, tantôt pesante, tantôt sautillante. Sur le sol raboteux, elle a dansé au son de notre maison qui brûlait.»

Et vous, quel livre a su réveiller le hippie révolutionnaire qui sommeillait en vous?
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