Littérature québécoise
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La très (trop) courte œuvre de Vickie Gendreau

Ça fera déjà 2 ans le mois prochain que l’auteure Vickie Gendreau a quitté ce monde. Beaucoup trop rapidement suite à une bataille contre une tumeur au cerveau (en forme de nuage, c’est elle qui le disait!) inopérable, car trop proche de son tronc cérébral, à l’âge de 24 ans. Vickie Gendreau aura été perçue comme une étoile filante pour certains, un volcan en éruption pour d’autres, dans le milieu artistique et littéraire québécois. Selon moi, il s’agit certes d’une étoile, mais d’une étoile sombre et magnifique.

En 2012, lorsque le premier roman Testament a été publié,  on parlait énormément dans les médias de cette jeune femme à l’écriture crue et directe. On la comparait (beaucoup) aux auteures Marie-Sissi Labrèche et Nelly Arcan(pour leur style littéraire d’autofiction, le choix de sujets lourds et/ou leur passé commun) ou à la chanteuse Lisa Leblanc (pour son franc-parler, car elle n’a absolument aucun filtre elle aussi). Il y a eu énormément de critiques et de chroniques publiées sur elle et son fameux testament. On peut d’ailleurs encore voir son passage à tout le monde en parle en 2012 ici, et ça vous aidera certainement à comprendre la demoiselle en question avant de poursuivre votre lecture.

Vickie, on ne se le cachera pas, c’est une auteure difficile à aimer, mais moi je l’ai aimée vraiment tout de suite. Je pense qu’avec Vickie, c’est tout ou rien. Son style d’écriture est tellement intense, décousu et par moments totalement incompréhensible que vous aurez fort probablement du mal à vous y retrouver dans tout ça. Ce qu’on ressent dans ses 2 romans, c’est qu’elle en avait des choses à nous raconter et que son temps était si précieux qu’on dirait qu’elle nous lance le tout en plein visage et qu’ensuite il faut juste le digérer. En fait, ce que je veux surtout dire, c’est qu’on sent l’urgence. Oui, l’urgence d’avoir à livrer ce qu’elle devait ressentir à l’intérieur, ne sachant pas quand tout ça se terminerait. En même temps, quand on lit sur elle on apprend que malgré la grande tristesse qui l’a habitée dans les derniers moments, c’était une fille très fleur bleue, une grande romantique et une fille drôle à l’humour noir et grinçant. D’ailleurs, c’est ce qui ressort dans ses romans et qui vient vous chercher là où ça fait mal en nous parlant de la mort, de suicide, de viol (un bout assez violent), de son emploi de danseuse nue (qu’elle a particulièrement apprécié de 2009 à 2012) avec une approche que jamais vous n’aurez lue auparavant. Tous des sujets assez lourds vous remarquerez, alors je vous invite à faire la lecture des romans de Gendreau dans un moment positif de votre vie, car tout ça pourrait vous sembler assez déprimant par instant.

Je me souviens quand j’ai lu Testament à sa sortie, je le lisais le matin, dans le métro en me rendant au travail et c’était si difficile et poignant que j’arrivais au travail la mine basse. J’avais même dû cesser ma lecture matinale pour une lecture plus nocturne tellement c’était lourd. Comme le métro est mon lieu de prédilection pour lire, ça vous donne une idée de l’ampleur de la chose. Testament, ça le dit, c’est un livre qui raconte le testament que Vickie souhaite léguer à son entourage, elle s’adresse à sa famille et ses amis et imagine les réactions de ceux-ci en découvrant le texte qu’elle leur aura légué sur une clé USB. Sa mère apprendra véritablement bon nombre de choses sur sa vie en lisant son livre dans lequel, elle le dit, elle se met complètement à nu. D’ailleurs, elle dira même en entrevue que publier un livre où l’on se met totalement nu est bien plus angoissant que de danser nu, faisant référence à son passé de danseuse. Dans son testament elle parle directement à chacun d’entre eux, à l’amour de sa vie qui ne l’aimait pas en retour, à son frère, son père et à sa mère en particulier. Elle leur lègue entre autres des fennecs (des petits renards des sables très mignons) par centaine pour décrire l’amour qu’elle porte à chacun d’entre eux et d’autres objets assez inusités. Vous remarquerez rapidement qu’elle avait vraiment une fixation sur les fennecs en lisant le livre. Certes, il s’agit d’un roman cru, un roman qui heurte, un roman qui marquera votre esprit si ce n’est que par son style complètement hors du commun, mais en même temps qui vaut la peine qu’on s’y attarde. À lire pour comprendre une parcelle de la vie, soit la fin de celle-ci, et comment on doit apprivoiser la mort quand on sent qu’elle approche. Une pièce a également été montée en 2014 au théâtre Quat’sous sur ce roman inoubliable que je n’ai hélas pas pu voir. On peut en lire les premières pages ici, si vous souhaitez avoir un avant-goût.

Drama Queens, était sur ma liste de lecture depuis un an quand j’ai décidé d’en faire l’achat dernièrement. Son deuxième roman m’avait semblé plus léger, notamment par sa couverture d’un beau rose bonbon et son quatrième de couverture où l’auteure nous parle du livre comme d’une œuvre cinématographique. D’ailleurs, je me suis souvent dit, lorsque j’en faisais la lecture dans le métro, que les gens devaient tous penser: «Oh ce roman doit être un roman si joyeux ou ça doit être un beau petit livre de filles avec sa jolie couleur!».  Alors là, détrompez-vous mes amis! La couverture de ce roman est (très) paradoxale en fait. Paru en 2014, il s’agit non pas d’une suite de testament, mais plus comme d’un prolongement de celui-ci, écrit avec l’aide et l’amour de son ami l’auteur Mathieu Arsenault. Cette fois-ci, Vickie n’a eu d’autre choix que d’aller chercher de l’aide en écrivant l’ensemble de ce dernier livre de son lit d’hôpital. Elle aura d’ailleurs eu la chance d’aller au lancement de son roman, mais elle mourra 8 jours plus tard. Pour ma part, le livre m’a paru moins sombre que son prédécesseur, mais tout aussi déroutant et déstabilisant. Bien honnêtement, je n’ai pas toujours compris où l’auteure s’en allait avec celui-là. C’est peut-être ça justement qui le rend exceptionnel, le fait que ça ne ressemble à rien encore une fois. Vickie Gendreau aura réussi à laisser sa marque comme elle souhaitait le faire, comme une Marie-Soleil Tougas, par qui elle est complètement fascinée et de qui elle ne cesse de parler dans ce deuxième opus. Son livre est rempli d’histoires inventées dont une assez marquante entre Nelly Arcand et Luko Rocco Magnotta, de beaucoup de scénarios de films improbables, d’anecdotes que seules les personnes qui les ont vécues doivent comprendre et on sent vraiment que l’auteure veut nous livrer son ultime œuvre avant de partir en nous lançant encore une fois le tout par la tête. D’ailleurs, elle écrit bon nombre de fois dans ce roman qu’elle souhaiterait écrire 10 livres en 10 ans, ce qui malheureusement n’arrivera point. Elle utilise des faux noms pour parler d’elle-même et de ses amis, elle parle d’elle-même à la troisième personne, ce qui fait que par moments, on ne sait plus trop de qui elle parle exactement et elle s’adresse à nous, lecteur, directement, ce qui donne un drôle de sentiment de malaise quand ça arrive, en nous demandant entre autres de fermer le livre immédiatement.

Bref, pour moi Vickie Gendreau s’inscrit sans aucun doute dans ma liste de classiques québécois. À ajouter à votre bibliothèque ne serait-ce que par le style complètement différent et hors normes de madame Gendreau, mais à lire la tête reposée et l’esprit complètement ouvert, car ce ne sera pas toujours facile. C’est d’une grande tristesse de savoir que nous serons privés à jamais de l’incroyable intelligence de cette jeune femme et de son talent indéniable.

Vickie, nous espérons que quelque part en haut, Nelly Arcan et toi vous prenez un verre à notre santé en vous rappelant les bons souvenirs d’en-bas et nous espérons sincèrement que des milliers de fennecs vous entourent, puisque tu les aimais tellement.

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Caroline est une petite blondinette avec un très grand cœur! Elle croit que rien n’arrive pour rien dans la vie et que ce qui l’a emmenée sur le fil rouge, c’est le destin. Au premier abord, elle peut avoir l’air un peu superficielle avec sa longue chevelure blonde et ses grands yeux bleus, mais c’est bien mal la connaître. Elle a certes un petit côté princesse, mais elle n’a pas peur de grand-chose. Après avoir fait un saut en bungee et s’être fait tatouer les 2 pieds comme premiers gros tatouages, on peut dire que rien ne l’effraie. Adepte des 5 à 7 et des bons restos, on peut facilement la rencontrer dans les nouveaux endroits branchés puisqu’elle est abonnée à tous les blogues gastronomiques ou de découvertes culinaires. D’ailleurs, elle adore cuisiner et est une fan finie des livres de recettes. Caroline ne se passerait pas de 5 choses dans sa vie; son amoureux, ses meilleures amies, sa montagne de livres, voyager et boire de l’excellent vin. Elle a un cerveau très analytique : elle analyse toujours tout, tout, tout et elle essaie toujours (ou presque) de voir la vie du bon côté. Elle a aussi un talent fou pour dédramatiser n’importe quelle situation avec sa grande patience et son mantra qui est « On choisit toujours ses batailles! ». Elle espère apporter au blogue un brin de légèreté, une nouvelle vision de la vie et partager sa passion pour la lecture de romans et de livres de psycho pop/développement de soi (son pêché mignon!).

7 Comments

  1. Martine Chouinard says

    Merci Caroline pour ce si bel article à propos de Vickie & ses œuvres. Je suis certaine qu’elle aurait aimé te lire. Merci pour ton sens du timing, je suis sa mère, elle aurait eu 26 ans demain le 14 avril 2015. Pour ma part j’ai lu ton article avec un doux sourire. Merci!

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    • Bonjour Madame Chouinard, je suis très émue et heureuse de vous lire, ça me touche beaucoup. Ce fût un réel plaisir pour moi d’écrire sur les romans de Vickie. Un gros merci d’avoir pris quelques minutes pour écrire ce petit message.

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