La nécessité de dire, d’écrire sur soi, sur l’expérience, le ressenti, la douleur, le bien-être, pour comprendre, essayer du moins.
L’autofiction. Un genre qu’on associe au contemporain, car on y mélange réel et fiction. On parle de soi pour parler de l’autre. Et on s’inspire de l’autre pour parler de soi. Différent de la biographie et même de l’autobiographie, l’autofiction se crée une niche bien personnelle et féminine en littérature. Quoi que pas exclusive aux auteures, on remarque une attirance pour cette littérature qui s’inspire de soi, de l’intériorité pour raconter des histoires.
J’avoue que je suis une grande lectrice de ces oeuvres autobiographiques. Je trouve qu’elles ont à leur façon une véritable essence et un réalisme envoûtant. J’ai l’impression en lisant une oeuvre d’autofiction d’entrer quelques instants dans la vie réelle, rêvée ou inconsciente d’un auteur et d’avoir accès à des parcelles de véracité.
Voici donc mon top 4 de mes autofictions préférées.
Rien ne s’oppose à la nuit, Delphine de Vigan
Ce roman raconte l’histoire d’une femme qui vient de perdre sa mère d’un suicide. Elle tente donc par l’écriture de reconstruire l’existence de sa mère et de comprendre, un peu, ce geste posé. Delphine de Vigan se met en scène dans ce très beau roman qui offre un réel hymne à la relation maternelle. C’est par l’écriture qu’elle recomposera l’existence entière de sa mère. Toutefois, ce qui est vraiment intéressant dans ce roman est la sincérité de Vigan face à ses lecteurs. Elle avoue la complexité du travail de mémoire et de reconstitution. Elle rencontrera les membres de la famille de sa mère pour mieux cibler et assimiler les côtés sombres de cette famille. Néanmoins, la mémoire est une faculté qui oublie, il sera donc ardu pour Delphine de Vigan de réellement nommer la douleur de sa mère et c’est de cette manière que l’écriture et l’autofiction prend tout son sens.
« Pourtant, toute tentative d’explications est vouée à l’échec. Ainsi devrai-je me contenter d’en écrire des brides, des fragments, des hypothèses. L’écriture ne peut rien. Tout au plus permet-elle de poser les questions et d’interroger la mémoire.»
Interroger la mémoire, comme de Vigan le dit, est un engagement littéraire fortement difficile, mais oh combien libérateur. L’écriture dans ce cas-ci prends tout son sens, car on sent que l’auteure se délivre au fil des mots de ses maux personnels et de sa douleur face à la perte de sa mère et vis-à-vis le geste commis. Rien ne s’oppose à la nuit est un livre que j’ai dévoré en deux temps (!), mais qui m’a dès les premières lignes frappée par sa sincérité, sa douceur et sa puissante envie de nommer, donc d’écrire. L’autofiction dans le cas de ce roman est toute bénéfique, car on sent en refermant le roman qu’on a bouclé une boucle face à cette Lucille et surtout, que les mots ont ce si grand pouvoir de libérer, auteure comme lectrice.
Folle et Putain Nelly Arcan
Dans Putain de Nelly Arcan, l’histoire raconte la vie d’une jeune étudiante en littérature, Cynthia. Cette dernière raconte sa vie de putain à Montréal en expliquant de quelle manière elle a commencé à se prostituer et pour quelles raisons. Elle passe énormément par son enfance et par sa relation avec ses parents pour expliquer ses tourments intérieurs. Cynthia est une étudiante somme toute normale, mais qui cache au fond d’elle un grand mal de vivre. Elle entretient une relation malsaine avec les apparences, car elle est obsédée par l’image qu’elle projette, mais elle renvoie une image autre de celle qu’est elle vraiment. Le jeu des apparences dans ce récit est fort important tout comme la question de la beauté, de la séduction, de l’apparence, de l’esthétique, etc. Les mêmes thèmes sont communs à Folle d’Arcan. Je dois avouer que j’ai un léger coup de coeur pour ce dernier, car il nous fait percevoir un peu plus de sensibilité, puisqu’il raconte la folie amoureuse d’une femme pour un homme. Ces deux romans écrits au JE m’ensorcelent par le style d’Arcan. Elle crée des phrases interminablement belles et si puissantes. Nelly Arcan est une auteure québécoise incontournable de la littérature moderne et ce, à l’image de Vickie Gendreau.
« Ce dont je devais venir à bout n’a fait que prendre plus de force à mesure que j’écrivais, ce qui devait se dénouer s’est resserré toujours jusqu’à ce que le noeud prenne toute la place, noeud duquel a émergé la matière première de mon écriture […] »
L’occupation, Annie Ernaux
Du côté de l’oeuvre L’occupation d’Annie Ernaux, on ne parle pas tout à fait d’autofiction. Annie Ernaux est en quelque sorte une sociologue de sa propre existence. Elle écrit des textes qui veulent être le portrait d’un monde et d’une époque. Plusieurs de ses textes sont basés sur ce désir de décrire et d’écrire la vie des autres. Elle veut atteindre dans l’écriture une vérité qui viendra toucher les lecteurs, et ce, sans différence de classe sociale. Elle écrit de manière objective et veut arriver à nommer les choses sans jamais faire de jugement de valeur.
Dans son texte L’occupation, elle raconte l’histoire d’une femme extrêmement jalouse à la suite d’une rupture. Cette femme, toujours amoureuse de W, est obsédée par la nouvelle conquête de son amant. Elle décrit son délire et son désir de connaitre l’autre femme. Sa douleur, son mal-être et l’insurmontable difficulté de survivre à une rupture sont les thèmes principaux de cette courte oeuvre d’Ernaux. Toutefois, elle raconte ces tourments en parlant de soi, mais dans une optique collective. On décrit cette écriture comme une autosociobiographie, car elle intègre la sociologie à son oeuvre. Elle traite des événements qui lui sont déjà arrivés, mais avec l’optique de les rendre communs à tous. Lorsqu’elle explique son obsession pour la nouvelle amante de son ancien amoureux, elle le fait d’une façon à ce que toutes celles qui ont été aux prises avec un sentiment de jalousie se sentent concernées. Il y a une intemporalité et une universalité dans la manière d’Ernaux de raconter les épreuves et les douleurs. Chaque oeuvre que j’ai eu la chance de lire d’Ernaux a su me charmer, car elle arrive réellement à nommer LES émotions dans leur grande universalité.
« Je m’efforce seulement de décrire l’imaginaire et les comportements de cette jalousie dont j’ai été le siège, de transformer l’individuel et l’intime en une substance sensible et intelligible que des inconnus, immatériels au moment où j’écris, s’approprieront peut-être. Ce n’est plus mon désir, ma jalousie, qui sont dans ces pages, c’est du désir, de la jalousie et je travaille dans l’invisible »
Bordeline, Marie-Sissi Labrèche
Tout d’abord, le roman de Marie-Sissi Labrèche, Borderline raconte la vie du personnage principal Sissi. Les rapports maternels sont au centre de cette oeuvre québécoise. La mère et la grand-mère de Sissi étant « folles » , elles viennent influencer la vie adulte de Sissi. Cette dernière multiplie les relations sexuelles pour mieux se retrouver. L’écriture de Bordeline représente tout à fait les thèmes reliés à l’autofiction ; l’intime, le personnel, le privé, l’intériorité. Dans un style langagier propre à Marie-Sissi Labrèche, on entre dans les folies et les tourments de Sissi.
Je suis borderline. J’ai un problème de limites. Je ne fais pas de différence entre l’extérieur et l’intérieur. C’est à cause de ma peau qui est à l’envers. C’est à cause de mes nerfs qui sont à fleur de peau. Tout le monde peut voir à l’intérieur de moi, j’ai l’impression. Je suis transparente. D’ailleurs, tellement transparente qu’il faut que je crie pour qu’on me voie.
Au début du blogue, nous avons eu la chance d’avoir une entrevue avec l’auteure, c’est à lire ICI.