C’était il y a deux ans. Je venais de terminer la lecture de La Ballade de l’impossible (dont Martine a parlé ici!) et j’avais été conquise par la plume de Haruki Murakami, la profondeur de ses personnages, la simplicité de ses descriptions, la mélancolie qui traversait son récit. Un de mes collègues libraires, à qui j’avais fait part de mon appréciation du roman, s’était empressé de me mettre entre les mains Kafka sur le rivage, véritable petite brique littéraire. Enthousiaste, il m’avait dit: « Lis ça, tu vas capoter! » (En réalité, il m’avait plutôt servi une des savoureuses expressions absurdes dont lui seul a le secret, mais je sais que c’était précisément ce que ça voulait dire. J’allais capoter.) Il n’avait pas tort. J’ai adoré le roman, j’ai dévoré les 638 pages en quelques heures à peine. Parce que Kafka sur le rivage est, en bon québécois, « quelque chose ».
Là, c’est le moment où je me sens un peu bête. Parce qu’il y a longtemps que je veux écrire une critique sur Kafka, que je veux partager avec les autres lecteurs mon affection pour ce roman atypique… mais je réalise que je fais face à un léger problème.
Je ne me souviens pas du tout de l’histoire.
Bon, ce n’est pas totalement vrai. Grosso modo, le roman retrace le parcours de Kafka Tamura, un adolescent de 15 ans qui décide de faire une fugue pour échapper à une étrange prédiction œdipienne que lui a un jour fait son père, avec lequel il vit seul à Tokyo depuis que sa mère est partie avec sa sœur aînée. Aidé par la voix de sa conscience, une sorte d’ami imaginaire appelé « le garçon nommé Corbeau », Kafka trouve refuge dans une petite bibliothèque, tenue par un androgyne et une belle femme mûre. En parallèle, on découvre la vie de Nakata, un vieil homme devenu « idiot » (et amnésique) suite à un mystérieux accident de jeunesse, qui a la faculté de parler avec les chats et qui décide, lui aussi, de quitter Tokyo pour la première fois de sa vie, après avoir commis un curieux crime. Deux trames, deux récits, l’un plus réaliste, l’autre plus fantastique… qui vont finir par se parasiter l’un l’autre et ne former qu’un.
Ce sont là les grandes lignes du roman. Pour le reste… je ne me souviens que de bribes. Des poissons qui tombent du ciel comme une pluie de printemps. Un road trip en camion à travers le Japon. Des personnages iconiques qui semblent prendre vie. Des crimes dont les coupables demeurent inconnus. Une forêt troublante, comme un labyrinthe où l’on part à la recherche de soi. Des fantasmes plus réels que la réalité. De la musique mélancolique. Et de la littérature, beaucoup de références à la littérature…
Kafka sur le rivage est une œuvre magnifique. Elle m’a émue, m’a dégoûtée, m’a fait frissonner, m’a fait réfléchir. L’histoire, infiniment complexe, se déroule comme dans un rêve, le lecteur ne sait plus trop où se situe la limite entre l’onirique et le réel; il doit en deviner les contours, tirer ses propres conclusions. Parce que la fin du roman, n’en déplaise à certains, n’est pas claire. Elle ne donne pas l’impression de clore l’histoire: on dirait qu’elle l’ouvre encore davantage.
Étrange petite bête que ce roman indéfinissable… Ce qui est certain, c’est que je prendrai grand plaisir à le relire éventuellement, pour le comprendre davantage. Et, si vous avez envie de découvrir un monde complètement surréaliste et une plume tout en finesse, je vous le recommande chaudement. Ce n’est pas un livre « facile »… mais je pense qu’avec un peu d’ouverture d’esprit, on gagne à essayer de l’apprivoiser.
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Kafka sur le rivage, Haruki Murakami
Traduit par Corinne Atlan
Éditions 10/18
ISBN: 9782264056160
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