J’ai toujours aimé les méchants. Du plus loin que je me souvienne, Barbe Bleue a été mon premier amour du côté obscur. C’est probablement troublant qu’une jeune fille de six ans soit intriguée à ce point par un protagoniste tueur de femmes, mais je ne pouvais m’empêcher de vouloir le comprendre. Je relisais donc sans cesse cette histoire, qui pourtant, me troublait au plus haut point. C’est que l’inquiétant pique la curiosité et que le manteau de mystère qu’il revête fièrement me charmait tout en animant violemment mon imagination.
En vieillissant, je n’ai pas trop changé. Aujourd’hui, j’apprécie toujours les méchants, peut-être même davantage puisque je suis en mesure de mieux les saisir.
J’ai eu pitié de Darth Vader et de Drago Malefoy qui se sont avérés des victimes. J’ai adoré détester Dolores Ombrage, Bellatrix Lestrange et le comte Olaf. Parce qu’ils sont pleins de vie, mais pleins de mort à la fois. Fragmentés par milliers, bouillonnant de rage et de haine, ce sont des êtres divisés qui représentent bien la rupture qui subsiste en chacun de nous. La limite entre le bien et le mal est très mince et il nous arrive de ne pas être en mesure de ne pas la dépasser. J’aime que les méchants soient humains.
C’est pourquoi Rogue est devenu mon personnage favori.
Je n’ai jamais trouvé le professeur de potions banal. Dès sa première apparition (souvenez-vous, il était assis à la table des professeurs de la Grande Salle et il discutait avec professeur Quirrel), sa description m’a immédiatement charmée:
[…] «un homme aux cheveux noirs et gras, le nez crochu, le teint cireux.» (Harry Potter à l’école des sorciers, p.100)
«Ses yeux étaient aussi noirs que ceux de Hagrid mais ils n’avaient pas la même chaleur. Ils étaient vides et froids comme l’entrée d’un tunnel.» (Harry Potter à l’école des sorciers, p.108)
Cette idée de noirceur me fascinait. Sous mon oeil, il apparaissait comme l’être énigmatique qui me plaît tant. En plus, c’était le maître des potions doublé du directeur de la maison Serpentard (tsé!). En même temps, il n’aimait pas Harry Potter. Puis bon, j’avais onze ans, le héros, c’était Potter. Je ne voulais pas non plus me faire lancer des roches dans la cour d’école en avouant mon amour pour Rogue. Donc, j’ai fait comme toutes les petites filles puis j’ai aimé Harry Potter. Or, au plus profond de moi, je n’oubliais pas l’entrée en scène plus que fulgurante du maître des potions:
«Ici, on ne s’amuse pas à agiter des baguettes magiques, je m’attends donc à ce que vous ne compreniez pas grand-chose à la beauté d’un chaudron qui bouillonne doucement en laissant échapper des volutes scintillantes, ni à la délicatesse d’un liquide qui s’insinue dans les veines d’un homme pour ensorceler peu à peu son esprit et lui emprisonner les sens… Je pourrais vous apprendre à mettre la gloire en bouteille, à distiller la grandeur, et même à enfermer la mort dans un flacon si vous étiez autre chose qu’une de ces bandes de cornichons à qui je dispense habituellement mes cours.» (Harry Potter à l’école des sorciers, p.108)
Plus belle entrée en matière, vous ne pouvez pas. J’ai donc attendu. Par moments, je ne pouvais pas croire qu’il était simplement exécrable. Après tout, Dumbledore avait mon entière confiance et il croyait en Severus Rogue. Or, il se voulait à la fois détestable. Cette instabilité qui l’habitait nourrissait l’ambivalence de mon sentiment pour lui, et ce, jusqu’au tome trois. C’est dans la cabane hurlante accompagnée de Black, Lupin, Pettigrow, Harry, Hermione et Ron que j’ai enfin compris que Rogue était une victime:
«Le professeur Rogue était un de nos condisciples de Poudlard, reprit-il [Lupin]. Il s’est battu avec acharnement pour que le poste de professeur de Défense contre les forces du Mal ne me soit pas confié. Tout au long de l’année, il a répété à Dumbledore qu’on ne pouvait pas me faire confiance. Il a ses raisons… Un jour, Sirius lui a fait une farce qui a failli le tuer, et à laquelle j’ai participé malgré moi…» (Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban, p.380)
Rogue avait donc été une victime. Derrière son excès de confiance et ses traits imperturbables se cachait un être humilié. Je ne pouvais pas en vouloir à Sirius. C’était le parrain cool duquel j’avais toujours rêvé. Cependant, dans mon for intérieur, je prenais Rogue en pitié. J’ai toujours détesté l’intimidation. J’ai tourné mon déplaisir vers James Potter. Je n’aimais pas sa popularité. Au fond, je pensais comme Rogue.
Ma sympathie pour lui a pris encore plus d’ampleur alors que nous accédions à ses souvenirs grâce à la Pensine:
«Un deuxième éclair de lumière plus tard, Rogue se retrouva suspendu dans le vide, les pieds en l’air. Le bas de sa robe était tombé sur sa tête, révélant deux jambes maigres et un caleçon grisâtre.
Des acclamation s’élevèrent de la petite foule des élèves. Sirius, James et Queudver rugissaient de rire.» (Harry Potter et l’ordre du phénix, p.726)
La haine, elle se développe. Elle est souvent nourrie par tout le mal qui nous est fait et nous cumulons celui-ci jusqu’à l’éclatement. J’ai appris sur le tard, grâce à WikiHarry, que Rogue avait eu une enfance malheureuse. Du moins, jusqu’à ce qu’il rencontre Lily Evans, mais nous y reviendrons plus tard. Le père de Severus était un homme violent et le jeune garçon a été victime de négligence parentale, ce qui pourrait expliquer son tempérament froid et solitaire. À la lumière de cette information, mon amour pour lui se justifiait d’autant plus.
Or, Rogue avait été Mangemort dans le passé. Tout méchant a ses faiblesses. Vader avait été la victime de Lord Sidious. Rogue était celle de Lord Voldemort. Je continue de compatir, mais mon amour a des limites.
Rogue s’est mis à fraterniser dangereusement avec l’ennemi au tout début du sixième tome, Harry Potter et le prince de sang-mêlé. Comment se faisait-il qu’il entretenait une relation avec Bellatrix Lestrange et Narcissa Malefoy? Sous mes yeux, Rogue devenait celui que j’avais toujours craint qu’il soit véritablement, un traître:
[Bellatrix Lestranges] «Où étais-tu lors de la chute du Seigneur des Ténèbres? Pourquoi n’as-tu jamais tenté de le retrouver quand il a disparu? Qu’as-tu fait pendant toutes ces années où tu as vécu dans le giron de Dumbledore? Pourquoi as-tu empêché le Seigneur des Ténèbres de se procurer la pierre philosophale? Pourquoi n’es-tu pas aussitôt retourné auprès de lui lorsqu’il est revenu à la vie? Où étais-tu, il y a quelques semaines, quand nous nous sommes battus pour essayer de récupérer la prophétie que voulait le Seigneur des Ténèbres? Et pourquoi, Rogue, Harry Potter est-il toujours vivant, alors que tu l’as eu à ta merci pendant cinq ans?»
[…]
[Severus Rogue] «-Avant de te répondre – car je vais te répondre, Bellatrix! Tu pourras répéter mes paroles aux autres, à tous ceux qui chuchotent derrière mon dos et colportent des histoires fausses sur ma trahison du Seigneur des Ténèbres! Avant de te répondre, dis-je, permets-moi à mon tour de te demander quelque chose. Crois-tu donc vraiment que le Seigneur des Ténèbres ne m’a pas déjà posé chacune de ces questions? Et crois-tu vraiment que si je n’avais pas été capable de lui donner des réponses satisfaisantes, je serais assis là à parler avec toi?» (Harry Potter et le prince de sang-mêlé, p.35)
Tous les soupçons du trio (Harry, Ron et Hermione) se révélaient véridiques: Rogue était un méchant. Mais qu’est-ce qu’il avait fier allure! Je le répète, sa complexité nourrissait la confusion de mes sentiments à son égard. Le chapitre L’impasse du Tisseur est des plus importants pour comprendre en profondeur le personnage de Severus Rogue. De surcroît, nous apprenions également dans ce tome (l’un de mes préférés, vous comprendrez pourquoi) que Rogue était le prince de sang-mêlé, soit un élève ultra intelligent. Il n’y a pas mieux pour séduire une fière Serpentard. Or, la fin de ce tome m’a tout à fait foudroyée, un peu comme sous l’effet d’un Avada Kedavra:
«Rogue observa Dumbledore un moment, et l’on voyait la répugnance, la haine creuser les traits rudes de son visage.
-Severus… S’il vous plaît…
Rogue leva sa baguette et la pointa droit sur Dumbledore.
–Avada Kedavra!
Un jet de lumière verte jaillit de la baguette de Rogue et frappa Dumbledore en pleine poitrine.» (Harry Potter et le prince de sang-mêlé, p.654)
Je détestais Rogue. Dumbledore, c’est plus qu’un personnage. Dumbledore, c’est une entité en soi. Même Rogue ne pouvait pas se permettre de lui toucher. Dès lors, j’ai détesté Rogue. Par après, j’ai détesté Ron, mais ça, c’est une autre histoire.
Dans les premiers chapitre de Harry Potter et les reliques de la mort, Rogue était plutôt absent. Oui, il était devenu directeur de Poudlard, mais après… le néant.
Puis, le tout.
Vous savez, j’ai lu des milliers de livres dans ma vie. Je suis tombée follement amoureuse de plusieurs personnages fictifs. J’ai rêvé de casser la gueule à de nombreux enfants d’écrivains. Par contre, jamais un passage de récit n’aura autant heurté mon âme que la mort du prince Severus Rogue:
[Severus Rogue] «-Prenez-… les… Prenez-… les…
Quelque chose d’autre que du sang ruisselait du visage de Rogue. D’un bleu argenté, ni gaz, ni liquide, la substance jaillissait de sa bouche, de ses oreilles, de ses yeux. Harry savait ce que c’était, mais ne savait que faire…
Hermione glissa alors dans ses mains tremblantes une flasque, surgie de nulle part. À l’aide de sa baguette, Harry y versa la substance argentée. Lorsque la flasque fut pleine et que Rogue sembla ne plus avoir en lui une goutte de sang, l’étreinte de sa main sur la robe de Harry se desserra.
-Regardez-… moi, murmura-t-il.
Les yeux verts de Harry croisèrent les yeux noirs de Rogue mais un instant plus tard, quelque chose sembla s’éteindre au fond du regard sombre qui devint fixe, terne, vide. La main qui tenait encore Harry retomba avec un bruit sourd et Rogue ne bougea plus.» (Harry Potter et les reliques de la mort, p.702-703)
Je le relis à l’instant et j’ai à nouveau mal. Les larmes, les souvenirs. Je suis le prolongement de Severus Rogue.
Le chapitre 33 du dernier tome, Le récit du prince, est le plus formidable que J.K Rowling ait imaginé dans toute sa sainte vie (sainte parce qu’elle est divine cette femme). Rogue a aimé. Éperdument. Rogue a aimé la mère de Harry Potter, Lily Evans. Rogue n’a jamais été un traître. Rogue a tout simplement aimé. Mais pas tout simplement comme tout simplement. Rogue a aimé naturellement et le plus profondément qu’il est concevable de le faire. Et sous la mort, cet amour est devenu une protection. Le plus bel hommage qu’il pouvait lui faire à elle:
[Severus Rogue] «-Vous l’avez maintenu en vie pour qu’il puisse mourir au bon moment?
[Albus Dumbledore] -Ne soyez pas choqué, Severus. Combien d’hommes et de femmes avez-vous vu mourir?
[S.R] -Récemment, seuls ceux que je n’ai pas pu sauver, dit Rogue.
Il se leva.
[S.R] -Vous vous êtes servi de moi.
[A.D] -Que voulez-vous dire?
[S.R] -Que j’ai espionné pour vous, menti pour vous, que j’ai couru des dangers mortels pour vous. Tout cela devait assurer la sécurité du fils de Lily Potter. Et maintenant, vous m’annoncez que vous l’avez élevé comme un porc destiné à l’abattoir…
[A.D] -Voilà qui est très émouvant, Severus, remarqua Dumbledore d’un ton sérieux. En êtes-vous venu à éprouver de l’affection pour ce garçon?
[S.R] -Pour lui? s’écria Rogue. Spero Patronum!
De l’extrémité de sa baguette jaillit alors la biche argentée. Elle atterrit sur le sol, traversa la pièce d’un bond, et s’envola par la fenêtre. Dumbledore la regarda s’éloigner et lorsque sa lueur d’argent se fut évanouie, il se tourna à nouveau vers Rogue, les yeux pleins de larmes.
[A.D] -Après tout ce temps?
[S.R] -Toujours, dit Rogue.» (Harry Potter et les reliques de la mort, p.734)
Rogue était plus qu’un personnage. Il est une entité en soi, et ce, à jamais.
Severus Rogue est probablement le plus beau personnage jamais créé au sein de toute la littérature.
Harry Potter à l’école des sorciers, J.K Rowling. Gallimard, Novembre 1998. 306 pages.
Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban, J.K Rowling. Gallimard, Octobre 1999. 360 pages.
Harry Potter et l’ordre du phénix, J.K Rowling. Gallimard, Juin 2003. 975 pages.
Harry Potter et le prince de sang-mêlé, J.K Rowling. Gallimard, Juillet 2005. 720 pages.
Harry Potter et les reliques de la mort, J.K Rowling. Gallimard, Juillet 2007. 809 pages.
Très bon article. J’ai pensé les mêmes choses au fil de mes lectures. J.K. Rowling a réussi à en faire un personnage des plus attachants et des plus intéressants, alors qu’au début je le percevais juste comme « le prof qui déteste Harry ».
J’aimeAimé par 1 personne
Merci beaucoup! J’espère toujours rejoindre le plus de gens possible en écrivant mes réflexions littéraires. Je suis heureuse de constater que mes tentatives portent fruit. D’ailleurs, Rogue est tout ce que vous dites à la fois, un personnage attachant et intéressant, mais également le prof qui déteste Harry. 🙂
J’aimeAimé par 1 personne
J’adore Rogue
J’aimeJ’aime
Merci pour ce beau texte hommage qui souligne à quel point le maitre des potions, en apparence froid, est sans aucun doute le personnage qui m’a le plus ému de la saga à travers ses multiples facettes. Quel destin tragique: une droiture presque parfaite, un talent exceptionnel, un puissant sens du devoir, un amour sans faille, et le personnage vieillit dans la tristesse et la solitude, refusant que quiconque connaisse son secret et ne parvenant jamais à dire ni à Harry ni à Lily combien il les aime.
J’aimeAimé par 1 personne
Je suis en accord avec tout ce que vous dites. Merci pour le commentaire et l’appréciation.
J’aimeJ’aime
Ping : Portrait d’un être fictif: Le cas de Prétextat Tach | Le fil rouge