Ma progéniture féminine portera ce nom. L’inspiration ne vient pas de ce fameux personnage de Fanfan La Tulipe. Il s’agit plutôt de la Fanfan d’Alexandre Jardin.
J’ai fait sa connaissance dans ma classe de quatrième secondaire. Il y avait cette petite bibliothèque dans laquelle nous devions choisir quatre livres à lire pour l’année en cours. Lire ne m’a jamais posé problème. Je pense que vous commencez à le comprendre. Or, les choix qui nous étaient proposés ne me rejoignaient pas et les romans dits à l’eau de rose pullulaient les quelques étagères qui nous étaient dédiés. J’ai tout de même laissé mes préjugés de côté et j’ai choisi le livre à la couverture la plus kitsch de la bibliothèque.
Les choix qui nous paraissent les plus insensés se révèlent être parfois les plus importants.
Le personnage principal de ce roman n’est pas Fanfan. Il s’agit plutôt d’Alexandre Crusoé, l’homme qui en tombe amoureux. D’ailleurs, ai-je le droit de parler d’amour? N’est-il pas plus question de passion dans ces 250 pages?
Du moins, à mon égard, c’est l’admiration qui s’opère lorsque je pense à cette majestueuse Fanfan. Il ne peut en être autrement. Nous la rencontrons alors qu’elle n’est qu’une silhouette dans le noir. Et ma pensée rejoint celle de Crusoé:
«Dans ces circonstances inattendues, au milieu de la nuit, notre rencontre tenait du merveilleux.» (p. 28)
Femme fatale. Femme énigmatique. Femme mystérieuse. Il me plaît, le mystère chez l’homme comme chez la femme. Déjà, j’étais séduite. Si ce n’était que cela.
Les mots enrobaient parfaitement Fanfan. Jardin savait les choisir pour les faire fondre sur elle: «grâce solide», «éclatante de vigueur», «la rondeur de ses formes», «l’humour et l’originalité de pensée», «ce vivant chef-d’œuvre». Il est bien difficile de passer outre son physique touchant presque la perfection absolue, mais il est nécessaire de le faire, car Fanfan est tellement plus qu’un corps.
J’admire ce personnage, car elle est pleine de vie. Elle est folle et frivole. Fanfan, c’est la passion. Fanfan, c’est la jeunesse. Fanfan, c’est l’éternel. Et ce qui est bien avec Jardin, c’est qu’il justifie cette personnalité rayonnante par la lignée. Comme si l’âme pur était génétique. Je fais référence ici au personnage de Maude, la grand-mère de Fanfan. C’est un héritage familial légué par Maude qui constitue Fanfan. Maude est tout simplement angélique:
«Maude jaugeait les êtres non à leurs actes mais au poids de leur âme. De grands vices, une transparence exceptionnelle ou des vertus sublimes la touchaient plus que des prodiges. Elle ne demandait jamais aux gens leur profession, comme si elle craignait que leur métier ne les cachât. Elle préférait pénétrer leurs rêves, leurs goûts et leurs sensations.» (p.65)
Or, c’est de sa petite-fille dont il est question et comme métier elle ne fait pas n’importe lequel. Elle est cinéaste. Rien de moins. À peine âgée de vingt ans, elle a déjà réalisé cinq longs métrages tous tournés en Super 8. Elle n’a pas un sou, mais elle a tout.
C’est dans son excès que Fanfan est délicieuse et ce n’est pas pour rien que Crusoé en tombe follement amoureux. Elle provoque l’obsession. Elle nous projette vers une quête de l’impossible, celle de ne pas succomber.
Il est tout de même important de relever l’aspect romantique de l’œuvre d’Alexandre Jardin. Le contexte du roman orchestre tous les détails et les personnages afin que nous tombions sous le charme tout court. Après tout, Fanfan est l’histoire d’un jeune homme qui voulait prolonger la passion à jamais. Que voulez-vous de plus épique dans l’absurde?
Fanfan participe à ce délire collectif des éléments. Or, elle n’est pas une parmi tant d’autres. Elle est la magie. Elle est le point de ralliement de tout. Sans elle, tout s’écroule.
Peut-être que je m’identifie à elle. Je me reconnais dans sa fougue, son assurance et sa curiosité. Je l’envie à la fois:
«Libre par nature, elle osait être elle-même avec désinvolture.» (p.36)
Parce que la liberté c’est difficile à définir et encore plus à obtenir. Parce que la désinvolture est innée et impressionnante.
Fanfan c’est un modèle de féminin. Elle est débordante de vitalité. C’est celle pour qui Alexandre est venu au monde. Ce n’est pas rien, exister pour faire apparaître quelqu’un d’autre véritablement. Pas juste exister, mais le faire vivre, le faire rayonner, lui donner la raison pour laquelle la vie vaut la peine. Et Fanfan mérite beaucoup plus qu’une partie de jambes en l’air ou qu’une relation de cinq ans qui se termine dans l’ennui d’un divorce accepté mutuellement. Elle mérite rien de moins qu’une passion sans fin.
Mais Fanfan n’est pas parfaite. Elle est menteuse. Elle est têtue et parfois trop convaincue. Elle est voleuse. Elle est excessive. Après tout, elle reste humaine. C’est d’ailleurs sa crédibilité qui la rend si désirable.
Ce n’est pas anodin du tout si Fanfan se retrouve dans cette histoire de passion et d’amour éternel. C’est qu’elle en est la raison. Le point d’ancrage est dans la prunelle de ses grands yeux curieux. Le nœud du récit se trouve au creux de son nombril au milieu d’un ventre parfait. La suite logique des mots de Jardin est issue de sa bouche intelligente et peu modérée.
C’est la raison pour laquelle Fanfan sera le nom d’une de mes petites filles. Peut-être pas la première, car mon copain n’aime pas trop ce nom (j’ai encore le temps de le convaincre). Il n’a pas lu le roman spécifions-le. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’il comprenne que Fanfan c’est synonyme de liberté:
«C’était tout Fanfan. Ses chemins étaient inattendus. Sa fantaisie la gouvernait. Elle était libre comme une enfant qui ignore les usages des grandes personnes.» (p.151)
Crédit photo: Michaël Corbeil
Fanfan, Alexandre Jardin. Gallimard, 1990. 248 pages.
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