Littérature québécoise
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Madame Victoria : écrire l’effacement

Tout ce que je savais en ouvrant le roman Madame Victoria de Catherine Leroux, c’est qu’il était inspiré d’un fait divers : à l’été 2001, le cadavre d’une femme est retrouvé dans le stationnement de l’hôpital Royal-Victoria. Après de multiples enquêtes et recherches, son identité n’est toujours pas connue à ce jour, ni les circonstances de son décès. Que des hypothèses. On décide donc de la surnommer « Madame Victoria », en référence à l’hôpital d’où, selon certain.e.s expert.e.s, elle se serait enfuie.

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Crédit: Éditions Alto

Le roman débute alors qu’un infirmier retrouve le corps. Or, la suite est d’un tout autre ordre : Leroux s’est affairée à imaginer qui a pu être cette Victoria. Il s’agit d’une série de douze portraits, d’une galerie de personnages qui cherchent à coller une identité à cette femme. On croise une itinérante, une esclave d’une époque révolue, une femme devenue invisible à la suite d’expériences scientifiques, une femme allergique à la chaleur humaine. Toutes héroïnes des petits récits de l’auteure, elles proposent de multiples points de vue, à travers des époques qui varient, des conditions sociales différentes. La lectrice a l’impression de lire de courtes nouvelles, des récits qui passent du conte à la science-fiction, du drame à l’humour, mais tous aussi bien écrits les uns que les autres. Le seul trait commun de tous ces portraits : la Victoria dont on lit l’histoire terminera ses jours dans la forêt de l’hôpital Royal-Victoria. Comment s’y rendra-t-elle? Chacune des histoires, par la plume parfaitement maîtrisée de Leroux, nous le dira, d’une manière ou d’une autre.

 

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Crédit: Éditions Alto

Ce qui m’a frappée, après avoir terminé le bouquin : comment une femme peut-elle mourir sans que personne s’en inquiète? Comment a-t-on pu la laisser enterrée dans ce stationnement pendant deux ans? Cette histoire m’a rappelé toutes les femmes invisibles, celles qu’on ne compte que par un décompte, celles qui meurent, mais dont il ne reste qu’un chiffre, celui des femmes assassinées ou disparues… Par la mécanique inverse, c’est-à-dire que cette fois, on retrouve le corps, mais on ne connaît pas l’identité de cette femme, l’auteure met en lumière tous les enjeux qui entourent la condition sociale féminine, la tragédie derrière toutes ces disparitions. C’est l’histoire de l’effacement des femmes, que Catherine Leroux, ironiquement, écrit; elle donne de la visibilité à une femme invisible. Elle a voulu, à travers tous ces visages, ces incarnations d’une Victoria invisible, donner une identité à cette femme anonyme.

C’est d’ailleurs ce qu’elle explique :

« […] au-delà de la mort anonyme comme telle, il lui importait d’aborder la condition féminine sous l’angle de l’effacement. C’est-à-dire « la façon dont nos sociétés parviennent à effacer les femmes, à travers la violence, l’indifférence, à travers certaines inégalités et injustices qui continuent à exister aujourd’hui« . »

Pour moi, Leroux a réussi. Elle sort le fait divers de sa catégorie : s’il reste une excellente source d’inspiration pour écrire le mystère, j’ai trouvé, dans Madame Victoria, une sensibilité qui cherche à livrer un message beaucoup plus profond. Son « enquête littéraire » redonne une vie à Victoria, sans montrer ce qui s’est réellement passé, mais en l’imaginant. C’est d’ailleurs ce qu’un des personnages reproche aux « gens qui lisent » :

« Je ne me ferais pas d’illusions, à ta place. C’est un liseur, ton maître. Les gens qui lisent ont de drôles d’idées, mais ils ne font pas grand chose. » (p. 119)

Ce passage m’a fait rire! Parce que Catherine Leroux, elle, fait beaucoup, à mon avis. Sans simplement relater les faits, elle arrive à aborder un sujet délicat, mais ô combien important à travers l’imagination, ce qui permet à la lectrice de s’adonner à une lecture à la fois plaisante et réfléchie.

*Pour en savoir plus sur Madame Victoria, visionnez le reportage de l’émission Enquête.

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5 Comments

  1. Tous les livres de Catherine Leroux méritent le détour! La finesse de sa prose me plaît infiniment. «Madame Victoria» est sur ma table de chevet… je suis impatiente de le commencer!

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    • Gabrielle Doré says

      De mon côté, c’est « Le mur mitoyen » qui est sur ma table de chevet! J’ai très hâte de le lire, encore plus en lisant votre commentaire!

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