Chroniques d'une anxieuse
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Chroniques d’une anxieuse : t’es capable

Elle m’a tout raconté dans tous les plus beaux détails. Moi, j’men souviens pas. J’étais pas très vieille, 5 ans à peine, assise sur mon p’tit lit qui craquait tout le temps avec mes toutous pis mes murs jaunes, je regardais le sol, les yeux pleins d’eau, pleins du feeling incompréhensible du j’veux avancer, mais j’pas capable, j’suis figée dans ma chair avec une brique dans l’estomac qui m’fait sentir toute croche. Elle arrivait dans ma chambre, avec sa joie de vivre, les bras grands ouverts, du soleil dans le regard.

J’aurais voulu être comme elle.

À la place j’avais la mélancolie facile. À la place j’avais le cœur en miettes.

Elle me demandait ce que je faisais là, à pleurer doucement, pourquoi j’avais autant mal et comment autant de peine pouvait se ramasser dans un aussi p’tit corps. Elle s’assoyait à côté de moi avec son plus magnifique sourire de t’inquiète pas j’suis avec toi, ça va ben aller. Et tout d’un coup j’me sentais un peu mieux. Un tantinet mieux. Un peu. Elle récidivait avec ses questions parce qu’elle était pas du genre à laisser tomber. Elle voulait que j’me confronte le dedans, que j’creuse profondément le pourquoi du comment du j’me sens pas bien pantoute.

Faque j’ai réfléchi comme faut, vraiment fort, dans ma tête d’enfant.

« Maman, j’ai perdu ma confiance. »

J’étais toute petite et pourtant j’avais déjà tout compris. J’avais mis le doigt sur le bobo de toute ma vie. À 5 ans.

Ma mère a eu la très bonne réaction de rire, de prendre ça à la légère et de me donner un bec réconfortant sur le front. De prendre ma main. Pis de me proposer d’aller à la recherche de ma confiance. Parce qu’elle devait se cacher en quelque part dans la maison, pas loin. Peut-être même en dessous du lit.

Sous l’oreiller. Dans le garde-robe. Dans l’armoire de la salle de bain. Dans la sécheuse. Dans la laveuse. Dans le four. Dans le lave-vaisselle. Dans le frigo. Dans le cabanon. Sous la table. Derrière l’aquarelle de grand-maman. Sous le chat. Dans’ litière du chat. Sous le char. Dans la cheminée pleine de cendres. Entre les fleurs du jardin. Dans les nuages.

Mais rien. Rien du tout.

On avait farfouillé la maison, le dehors, les plantes et le chat. On l’a trouvée nulle part. Je l’avais perdue pour vrai, c’tait pas des jokes, en tout cas c’est c’que j’croyais. J’étais triste. Je sentais qu’il me manquait de quoi. Je voyais bien que les autres enfants l’avaient, eux, leur confiance. Il y avait quelque chose de différent entre eux et moi.

Et c’est terrible d’en avoir conscience à 5 ans.

Ma mère, elle, avec ses paroles rassurantes de douceur pour le cœur abîmé, me disait que j’allais la retrouver, que ça se retrouvait toujours la confiance. Des fois ça prenait du temps, mais qu’elle allait revenir, c’est sûr, par elle-même. Je l’écoutais attentivement, toute petite, dans ses bras. C’était mon big struggle. Ça va ben aller qu’elle me disait. Elle me le répétait sans cesse, à chaque jour, ou presque.

Elle me disait t’es belle, t’es fine, t’es capable, à chaque jour, ou presque.

Femme merveilleuse qui écoute de la musique du monde et du Alanis Morissette à tue-tête dans son jeep décapotable. Qui éclaire toute une pièce par sa seule présence. Qui a le sourire jusqu’au ciel. Qui a la rage au volant. Une aventureuse. Une combattante.

J’aurais voulu être comme elle. Avoir le bonheur joyeux facile.

Mais j’ai hérité de l’inquiétude heavy de mon père. Pis c’correct. Mon père a toujours tellement compris par où j’passais dans son profond, dans ses souvenirs. J’le voyais dans ses yeux qu’il me disait je sais exactement c’que tu ressens, c’que tu vis, le feeling dans ton ventre déplaisant. Et le regard complice qu’il me lançait valait tout l’or du monde pour la petite fille que j’étais.

Mais la vie avait l’air tellement plus simple dans sa tête à elle, moins compliquée, plus le fun, avec moins de tracas inutiles qui tuent à petit feu ou d’angoisses qui paralysent les muscles du visage. L’ambivalence n’existait pas. Y’avait pas de oui-non. C’était drette devant, marche, cours, enweille. Fonce dans l’tas pis arrête de t’en faire. That’s it.

Je me rappelle qu’en vieillissant je me réveillais avec la boule dans gorge, l’envie de toute crisser là, l’envie de partir ben loin, j’allais dans la salle de bain, je me regardais dans le miroir, je tentais un sourire et je me répétais t’es belle, t’es fine, t’es capable. Selon les sites de psychopop que j’avais lus ça aidait à avoir une meilleure image de soi. J’essayais c’que j’pouvais. D’un coup qu’ça marche. On sait jamais.

T’es belle, t’es fine, t’es capable.

T’es belle, t’es fine, t’es capable.

T’es belle, t’es fine, t’es capable.

T’es belle, t’es fine, t’es capable.

T’es belle, t’es fine, t’es capable.

T’ES CAPABLE, esti.

J’voulais que ça me rentre dans le crâne. Pour tout le reste. Pour tout de suite. J’regardais avec envie les femmes dans le centre-ville de Montréal avec leur démarche de caractère, de force. Moi, tout mon être transpirait la non-confiance, le je suis awkward pis j’peux pas faire semblant que j’le suis pas. Le poker face c’est loin d’être mon truc. Si tu me gosses tu vas le savoir assez vite. Si j’pas à l’aise aussi. Ma voix tremble, c’est physique, tout tremble, toute trempe.

Les mains moites. Le goût de disparaître. La sueur de partout.

J’ai pas envie de porter un masque. De cacher qui j’suis. D’être autre chose que moi pour faire plaisir à l’égo démesuré des autres. Pour fiter dans le moule de l’anxiété c’est bizarre, ça existe pas, c’est pas joli. J’veux trouver ma place dans le monde avec mes rires angoissés, ma détresse non-justifiée et mes catastrophes inventées.

Juste envie de me répéter t’es belle, t’es fine, t’es capable en boucle, sur repeat dans ma tête.

Et pouvoir tout, malgré les tremblements de mon dedans. Afficher à l’univers ma sensibilité trop intense sans en avoir honte. Foncer dans l’tas comme elle, comme lui.

Parce que dans l’fond, les gens anxieux sont beaux en criss.

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Anxieuse à temps plein et insomniaque à temps partiel, Alexandra se nourrit à grands coups de mots, de phrases et de livres qui font rêver. L’écriture lui a toujours servi d’exutoire avec lequel elle pouvait coucher sur papier ses folies et ses nombreux tourments. Elle adore tout particulièrement se perdre dans les couloirs infinis des bibliothèques, mais également dans les corridors de l’Université de Montréal où elle fait un baccalauréat en Littérature comparée et cinéma. Elle se passionne pour les films cultes, les traversées autour du globe, les arts, la musique, la photographie, bref, elle s’intéresse à tout et veut tout savoir! Son but ultime : vaincre ses peurs et aller à la conquête du bonheur!

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