J’ai rencontré Kiev Renaud dans le cadre d’un séminaire de création à la maîtrise, séminaire au cours duquel nous devions rédiger de courts textes de fiction qui étaient par la suite lus et commentés par les autres étudiants. J’ai immédiatement été charmée par sa plume singulière, sa manière de créer des images fortes grâce à de petits détails et sa façon de traduire en mots la beauté, les relations humaines, le quotidien, l’imaginaire. C’est pourquoi, quand j’ai appris que le roman par nouvelles Je n’ai jamais embrassé Laure allait paraître chez Leméac, j’ai su qu’il s’agirait pour moi d’une lecture printanière incontournable!
« Laure est belle, Florence ne l’est pas. Pourtant, elles vivent et s’aiment comme des âmes sœurs, peut-être un peu plus. Leur désir et leur affection ne s’atténuent pas avec le mariage de Florence, puis la naissance de Cassandre, qui aura son mot à dire et voudra, elle aussi, tenir un rôle dans cette pièce aux miroirs. »
L’histoire, simple, tient en ces quelques phrases; pourtant, les sujets et thématiques abordés, eux, recèlent une grande complexité, qui procure au lecteur un véritable plaisir intellectuel et poétique. La lecture d’une telle œuvre devrait être contemplative, mais la curiosité pousse à vouloir dévorer vive la prochaine phrase, pour découvrir si elle s’avère aussi marquante, savoureuse que la précédente. Ainsi, à travers onze tableaux répartis selon trois points de vue, le lecteur découvre tour à tour la vie, les souvenirs, l’univers intérieur et les relations troubles de Florence, sa fille Cassandre et sa chère Laure.
Selon moi, il apparaît évident que les héroïnes de Kiev Renaud cherchent à déjouer l’ennui du quotidien en désirant frôler le danger, l’inconnu : elles se figurent certaines situations avec une curiosité un peu morbide, comme la manière dont peuvent se broyer les os du corps après une chute ou la sensation ressentie en étant dans le ventre d’une femme enceinte sur le point d’être poignardée; elles jouent aux prostituées avec grande conviction et moult détails inappropriés pour des enfants de dix ans; elles s’imaginent divers scénarios fantasmatiques, souvent périlleux, toujours troublants… Malgré le caractère parfois atypique de certains passages, ma lecture me laisse avec l’impression que tous peuvent trouver de quoi s’identifier à ces personnages, que ce soit via les idées transmises, les détails exposés ou les émotions véhiculées par le texte. Il y a une telle richesse dans l’écriture et l’imaginaire de l’auteure qu’il est presque impossible qu’ils ne fassent pas (au moins un peu!) écho avec notre intériorité.
Avec ce roman ambigu et incroyablement humain, l’auteure réussit à nous transmettre une vision du monde déroutante… mais tellement crédible et développée qu’il est difficile de ne pas se laisser prendre au jeu. Seul point négatif à noter : j’en aurais pris plus, beaucoup plus, et je suis prête à parier que je ne suis pas la seule à ressentir ce manque avec avidité. Ceci étant dit, les 88 pages de cette petite plaquette en valent grandement la peine. Pour le reste, il me faudra donc attendre avec impatience la prochaine publication de Kiev pour continuer à m’aventurer, à pas lents et feutrés, dans son univers…
_____________________________________
Je n’ai jamais embrassé Laure, Kiev Renaud
Éditions Leméac
88 pages
ISBN : 9782760947269
Ping : Publier un roman à 15 ans : Sors de ta bulle! | Le fil rouge
Ping : Un livre québécois par mois : Avril : Leméac | Le fil rouge