– Tu es vraiment si écoeurée? demande l’une à l’autre.
– Écoeurite aiguë, totale et absolue. […]
– O.K. T’as le droit de plier bagage. Mais avant, accorde-moi une faveur. Aide-moi à faire la liste des trucs chouettes qu’on aura jamais faits.
J’étais sur le bord d’une piscine publique à Montréal, à la recherche d’un peu de fraîcheur, mais surtout, d’un endroit où me détendre et lire sans voir passer les heures. J’avais amené un petit livre avec moi et je l’ai entamé dès ma première « saucette » terminée. Le temps défile et je m’arrête enfin, presque à la fin, à ce passage.
La « liste des expériences trippantes qu’elle aurait voulu faire avant de quitter cette planète », qui comprends entre-autres « foncer vers l’aéroport et prendre le premier vol qui décolle », « prendre le thé au Sahara » et « revoir Cyrano de Bergerac pour la millionième fois », est peut-être ce qui convainc une Dominique Demers très écoeurée de garder le cap et de poursuivre ses traitements contre son cancer du sein. Au moment où elle n’en pouvait plus, c’est en se rappelant tout ce qu’elle avait encore envie de faire qu’elle trouve le courage de revenir à la raison. Non, ce n’était pas terminé. Elle voulait encore vivre! Mais si, pendant sa maladie, le moral de l’auteure n’est pas toujours à son plus haut, il est loin d’avoir été aussi bas et c’est ce que nous raconte Chronique d’un cancer ordinaire. Ma vie avec Igor. De l’expérience de la proximité avec une possible mort fait surgir un sentiment de puissance et un nouveau souffle de vie dans lequel nous entraîne l’auteure au coeur de ses mots.
À 52 ans, Dominique Demers attrape ce qu’elle appelle un « cancer ordinaire ». Ordinaire, parce qu’une femme sur neuf, dit-on, en sera atteinte. Découvrant une bosse dans son sein, elle se dépêche d’entreprendre les traitements qui permettront peut-être d’anéantir ce cancer qu’elle nomme Igor, à la fois pour mieux le dompter et le haïr en même temps.
Dominique Demers délaisse donc le roman, genre pour lequel nous la connaissons, pour nous offrir une chronique de ce qu’elle vit, sous forme de billets et de réflexions. Elle nous entraîne dans les déboire des hôpitaux et des salles d’opération, dans certains moments de sa vie passée, notamment la mort de son ex-mari qui a frappé la jeune femme et ses trois enfants, ou même à ses expériences avec ses amis ou le personnel des cliniques.
Malgré que notre lecture suive d’assez près le cheminement et les déboires de la femme à travers les différentes étapes de sa maladie, il ressort surtout de ce livre un éclatante célébration de la vie. Il décrit avec force la faim vorace qui prend d’assaut ceux qui se rendent compte que la vie ne tient qu’à un fil.
En gros, c’est tout simple: en gros, Igor m’a transformée en me révélant combien j’aime la vie. Je l’aimais déjà avant, bien sûr, mais je n’en avais qu’épisodiquement conscience. Igor m’a brutalement mise devant un scénario surprise: je pourrais mourir bientôt. Du coup, je me suis mise à recevoir la vie avec une gourmandise nouvelle. J’étais soudain affamée d’elle. J’avais férocement envie d’y mordre à pleines dents.
La lecture de cette chronique nous fait passer par une véritable gamme d’émotions. Parfois, c’est de la peur, alors qu’on attrape d’un coup celle de l’auteure qui craint pour ses proches, sa famille, son futur, sa rémission. D’autres fois, c’est de la tristesse, mais c’est surtout beaucoup d’espoir et de joie féroce, contagieuse par son désir qu’elle nous transmet de prendre nos souliers et de courir dans notre vie sans plus nous arrêter.
En songeant à tous les livres dormant sur des rayons dans les bibliothèques et les librairies, j’avais envie d’allonger les jours, d’abolir les nuits. Tant d’oeuvres avaient le pouvoir de me transporter, de m’émouvoir, de m’ébranler, de m’allumer, et je n’aurais peut-être jamais le loisir de les ouvrir. Cela me semblait odieux, inacceptable, effrayant.
Il faut dire que Dominique Demers est une personne qui sait parfaitement ce qu’elle veut, ou presque. Elle est déterminée, forte et parfois dérangeante. Et par cela, le petit livre qu’elle écrit devient parfois un manifeste qui dénonce ou questionne certains comportements ou pratiques. Ce à quoi elle est confrontée dans les hôpitaux nous est livré aussi dans le but de faire changer les choses dans les services sociaux et médicaux.
Cela dit, c’est peut-être avec le mot « force » que l’on peut le plus caractériser le livre de Dominique Demers. Et c’est par cette force que l’on apprécie le plus le bouquin et qu’il nous en apprend le plus sur les épreuves, sur la résilience, sur l’empathie et sur la vie.
Je lis toujours tes articles avec beaucoup de plaisir. C’est pour moi une pause privilégiée dans le temps, comme un mini dimanche matin à chaque fois.
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