Pour se rendre dans la ville où j’ai poussé mon premier cri d’existence, il faut manger quelques kilomètres d’asphalte de patience, rouler sur la 117 Nord et traverser la réserve faunique La Vérendrye. Je viens de refaire une ixième fois le périple. Croiser de temps en temps des camions qui transportent le fruit désolant des coupes à blanc. Tourner la tête à droite offrira un meilleur spectacle: un mélange d’images de lacs, de rivières, de gens qui font du pouce plus qu’ailleurs et des épinettes bien fières. Être entouré de l’odeur et du silence des arbres qui se tiennent encore debout. Un parfait trajet pour les contemplatifs.
Enfin le temps aussi d’égrainer ses playlists. Il faut sortir ses meilleures trames sonores pour ces toiles de fond. La récompense au bout du chemin est le ciel d’Abitibi qui a un je-ne-sais-quoi de magnifique. Ça peut paraître loin comme bout de pays, mais c’est là où j’ai vu les gens être les plus proches. Vaste étendue de territoire, les gens s’y resserrent. Mais pour toutes sortes de raisons, l’exploitation des sols miniers peut parfois ébranler des liens tissés serrés et miner sa propre identité.
Pour toutes ces raisons, j’ai lu avec intérêt 117 Nord. Le titre en lui-même me parlait. Native de l’Abitibi elle aussi, l’auteure de 27 ans Virginie Blanchette-Doucet a écrit cette première publication en toute connaissance de cause. Dans son roman, il s’agit de Maude et de Francis (amis-amants, on ne sait trop) qui ont évolué ensemble et aussi chacun de leur côté respectif de la 117. Une mine y fait maintenant son nid: d’un côté les maisons sont épargnées, de l’autre pas. Francis pourra continuer d’y habiter, mais Maude, de son mauvais côté de route, devra céder son bout de terre et son toit.
« Combien de fois déjà avais-je regardé ce spectacle plus loin sur la 117, avec un mélange de fascination et de stupeur, tu sais, comment on peut un matin se lever pour aller regarder de la machinerie lourde détruire les traces qu’on voulait justement laisser? »
Ayant été tous deux témoins de démolition des maisons pas loin de chez eux, Francis et Maude vivent maintenant un petit massacre de leur propre intérieur. Quand le grand moteur économique de la région se trouve dans le sol, c’est une des dures réalités, certains résidents malchanceux y vivent l’expropriation. À moins de céder leurs terrains et maisons en acceptant une compensation monétaire. Bien qu’aucun chèque ne puisse racheter les souvenir coincés entre les murs d’une bâtisse bientôt démolie, Maude a accepté de quitter son territoire occupé pour partir vivre à Montréal. Elle assiste comme triste témoin de ses concitoyens à leur refus de laisser leur passé derrière. Eux partent vers un ailleurs avec comme bagage, leur maison.
« À l’aube, les familles marchaient à côté de leur maison juchée sur une remorque, la vaisselle tremblait dans les armoires aux portes retenues par du ruban collant. Les gyrophares silencieux projetaient leur lumière rouge sur les visages fermés. Une file de voitures attendait derrière, pas de coups de klaxon, pas d’impatience. Cortège. Personne n’a eu le temps de mourir, mais jamais la 117 n’a compté autant de fantômes. »
La douce écriture pleine de ressenti m’a rendue curieuse de lire à nouveau de cette auteure. Un avenir littéraire qui semble plein de promesses. J’ai beaucoup apprécié la plume sans fard de Virginie Blanchette-Doucet. Peu de mots, l’essentiel, on saisit bien l’essence de son 117 Nord. Un premier roman porté habilement par sa sensibilité. Un ouvrage scindé par de très courts chapitres, 159 pages facilement vite lues. Malgré le sujet qui, à première vue peut paraître lourd, une douce poésie finit par s’y infiltrer. On est témoin du spectacle des exilés. La lourdeur on ne la sent pas, on ne la voit que passer. Comme les centaines de kilomètres qui séparent Val-d’Or de Montréal. Ou qui séparent Francis de Maude. 117 Nord vous donnera sûrement l’envie de faire la grande route pour voir ailleurs si vous y êtes.

En roulant sur la 117 Nord quelque part en juin 2016
Le fil rouge tient à remercier Boréal pour le service de presse



cet explosion d’enthousiasme surpassé d’une inspiration tricoté main plus décontracté que le sujet lourd des exilés nous donnent envie de s’enraciner et se deraciner dans ce livres avec courage
merci
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Merci David!
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Beau beau billet sensible, là j’ai vraiment envie de lire le livre. (& il faut manger quelques kilomètres d’asphalte de patience — oh que c’est joliment dit.)
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C’est vraiment gentil, merci!
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Un roman qui ne m’attirait pas aux premiers abords, mais en lisant cet article, j’ai vraiment le goût de le lire.
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Une écriture épurée, mais très sensible. Si tu aimes le non-dit, tu vas aimer. C’est quasi de la poésie, j’ai trouvé. Bonne lecture!
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