L’Abitibi, c’est les mines, la forêt à perte de vue, les camps de chasse perdus dans le bois; c’est Val-D’Or et Rouyn-Noranda; c’est une terre colonisée sur le tard, lors de la crise économique des années 1930; c’est des petits lacs où se saucer l’été pour se sauver des mouches à perte de vue; c’est un hiver interminable avec le lourd silence qui l’accompagne, un « silence [qui] pren[d] toute la place » (p. 38). L’Abitibi, c’est Richard Desjardins et Raoûl Duguay.
L’Abitibi, c’est aussi le sujet du premier recueil de Catherine Côté, Outardes, dernier titre parut à la collection poésie des Éditions du passage. Poésie des origines, Outardes raconte l’Abitibi où Côté n’a jamais habité; l’Abitibi qu’elle a explorée à la recherche des traces de ses ancêtres. Montréalaise, Côté a ses racines familiales en Abitibi. Avec son recueil, elle explore l’impossibilité en même temps que la nécessité de prendre racine dans un passé et un territoire inconnu.
L’étau se resserre
D’emblée, le sujet poétique est situé géographiquement : les vers « je suis fille de fleuve / fille de banlieue » (p. 11) ouvre le recueil. On sent déjà l’emprise qu’aura la géographie sur la quête identitaire. L’Abitibi s’affiche rapidement comme un spectre qui poursuit le sujet poétique, et que le sujet poursuit à son tour, pour tenter d’en saisir les contours, la texture. Or, les terres abitibiennes prennent rapidement le dessus sur cette « fille de banlieue ». Bien vite, « le territoire s’aiguise et se referme / sur moi » (p. 15) et, vers la fin, « la forêt me reprend / dans une violence / reconnaissable » (p. 77).
C’est en suivant les outardes – « quand j’ai quitté Montréal, j’ai vu les outardes » (p. 12) – que Côté remonte le territoire et la mémoire. Sur l’héritage familial, particulièrement la difficulté de comprendre la part qu’un territoire jamais habité a dans la composition d’une identité, Outardes résonne par son ton doux et prosaïque. La figure du grand-père décédé, Jean, hante le recueil et celle de la grand-mère en perte d’autonomie vient rappeler l’importance de retracer la mémoire familiale avant qu’elle ne se perde. Or, on apprend que sa grand-mère a délaissé l’Abitibi pour fuir une relation conjugale violente. Côté n’est pas à la recherche d’un Eden perdu dans son recueil – « on peut deviner / à quel point les gens ont été malheureux ici » -, mais bien à la recherche d’une mémoire familiale qui serait inscrite dans le territoire, dans le but de mieux comprendre, voilà tout. Or, elle doit faire vite avant que l’Abitibi ait raison d’elle :
« je vois une grande forêt qui dévale les pentes
et engloutit le monde
en un seul élan
adieu Montréal, adieu Québec
plus de villes
plus personne, rien
que cette énormité noire et verte
qui nous avale » (p. 30).
Une démarche un peu trop personnelle?
En trois parties, dont les titres sont toujours un lieu qui devient plus précis à chaque fois (Rouyn, Cala, Maison morte), Outardes reste un projet très personnel qui n’a pas toujours réussi à me faire croire que je lisais autre chose qu’un compte rendu de type journal personnel de son voyage en Abitibi. Certes, il y a de très beaux passages qui amènent d’intéressantes réflexions, mais les passages (poèmes?) en prose m’ont paru superflus et sont venus empiéter sur mon expérience de lecture.
Bref, Outardes est à lire pour la sérénité des vers et pour explorer l’Abitibi sans faire tous les kilomètres!
[Et en fait, si vous avez envie de poursuivre votre lecture sur l’Abitibi, Stéphanie a fait la critique du roman 117 Nord, de Virginie Blanchette-Doucet ici.]
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