Thomas est perdu. Il ne voit plus l’utilité de son travail comme concepteur de jeux vidéo. Il ne sait plus à quoi il sert. Il fait un retour aux études à temps partiel en littérature et vit en colocation avec des jeunes très fêtards et fuyant la vie rangée. Il ne comprend pas vraiment où il s’en va. Il est en transition, mais ne sait pas comment embrayer vers la prochaine étape. Alors, il ne fait que sortir constamment et boire trop de bières avec ses nouveaux colocs.
J’ai pensé « Ma gueule de bois est la seule chose qui me tient en vie. »
J’ai tout de suite connecté avec son spleen, vivant moi-même une période de transition. Mais je ne pense pas être la seule. J’ai l’impression qu’on est tous un peu comme ça autour de moi. En tout cas, beaucoup d’entre nous. Nous nous cherchons. Nous avons, pour la plupart, étudié dans le domaine de notre choix (contrairement à des générations antérieures qui se voyaient imposer des choix d’études par leurs parents). Mais nous nous rendons vite compte que les jobs offerts à la fin des études choisies ne correspondent pas à ce que nous attendions de la vie. Ou alors ils y correspondaient peut-être à vingt ans, mais dix ans plus tard, ce n’est plus le cas. Et c’est normal, non? Évoluer, changer. Se rendre compte qu’on n’a plus les mêmes valeurs ou les mêmes désirs. Mais pourquoi devrions-nous toujours nous contenter de la même situation alors que nos goûts et choix changent tant au cours d’une vie?
On devrait tous avoir le droit de s’ouvrir un nouvel onglet.
Thomas se cherche. Il veut donner un sens un peu plus grand à sa vie que seulement gagner de l’argent et développer des jeux vidéo que tout le monde finit par oublier. Guillaume Morissette n’aime pas qu’on lui dise que son livre est le portrait d’une génération. Pourtant, c’est bien le cas. Évidemment, c’est parfois énervant de se rendre compte qu’on n’est pas tant unique qu’on le pensait. Mais je dois bien constater que les personnages qu’on retrouve dans le roman ressemblent à tant de gens autour de moi, y compris à moi-même. Dans la dernière année, j’ai eu beaucoup de conversations avec des proches qui, même s’ils semblaient avoir trouvé leur voie, dans des domaines pourtant considérés attrayants (Web, marketing, jeux vidéos, graphisme…), n’étaient plus aussi satisfaits et se demandaient bien à quoi cela pouvait bien servir d’aller travailler le lundi matin. Et puis, on passe tant de temps au travail dans une semaine et encore plus dans une vie entière. Alors que faire quand celui-ci ne nous apporte plus rien ou ne correspond plus à la personne qu’on est devenue?
Thomas est non seulement incertain face à son avenir professionnel, mais il est aussi une personne constamment mal à l’aise en société. Il a perdu toute confiance en lui. Il ne supporte pas de parler aux autres, par peur de toujours dire quelque chose qui ne plaira pas. Il craint constamment de se faire juger.
Je suis nul, ma personnalité est nulle, il faudrait que je puisse modifier ma personnalité avec Photoshop.
Il est beaucoup plus anxieux que je ne le suis et je ne me reconnais pas dans son extrême, mais il m’est souvent arrivé d’avoir le même genre de pensées; cette sensation de ne pas me trouver à la bonne place et le besoin constant de me comparer beaucoup trop aux autres.
C’est très thérapeutique d’avoir accès aux pensées si intimes et sarcastiques du personnage; il réussit à décrire parfaitement sa solitude, son malaise et son absence de motivation. Guillaume Morissette a assurément le sens des jeux de mots (mais mention aussi au traducteur qui a réussi à transférer en français la poésie percutante de chaque phrase de l’anglais original).
Mais pour finir, je vais laisser l’auteur illustrer lui-même parfaitement, ce que j’ai ressenti en lisant son livre :
Je lisais de la fiction contemporaine pour trouver des réponses à mes questions. Ça me faisait du bien de constater que d’autres gens étaient habités par mes préoccupations : des problèmes de communication et d’anxiété, des problèmes d’Internet. Il y a un avant et un après les livres, dans ma vie. Ken Baumann a déjà écrit sur Twitter : “Books will fuck you up”, et c’est vrai! Les maisons d’édition devraient l’utiliser comme slogan.
À boire avec une bière en se sentant un peu moins seul. Nous sommes tous un peu perdus.
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