Autour des livres
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Autour des livres : rencontre avec Le bal des absentes

Julie Boulanger et Amélie Paquet, deux professeures de Cégep, veulent mettre en avant, par le biais de leur blogue, Le bal des absentes, le travail d’écrivaines trop souvent oubliées et délaissées par les plans de cours. Elles proposent « de découvrir et de commenter différents titres d’auteures d’ici et d’ailleurs » (La Mèche). Elles tentent de démontrer comment elles s’y prennent en classe pour étudier ces œuvres, et ainsi inspirer leurs collègues à oser enseigner ces textes. Elles viennent d’écrire un essai, qui regroupe plusieurs textes du blogue, sur ces questions. Il paraîtra en mars chez La Mèche. Elles ont gentiment accepté de répondre à notre questionnaire « Autour des livres ».

  1. Quel est ton premier souvenir en lien avec la lecture?

Julie : La première image qui me vient en tête est un peu floue, mais son impression est vive. Je suis toute petite, dans notre appartement à Laval, sur les genoux de ma mère qui me lit un livre. Je ne me rappelle pas ce qu’elle me lisait, mais c’est pour moi un des plus grands moments de joie. J’ai aussi une multitude de souvenirs beaucoup plus clairs de visites avec mes parents dans différentes bibliothèques à différents âges. Ce sont des moments précieux.

Amélie : Je me rappelle qu’avant de savoir lire, je me promenais partout avec mes livres d’enfants et je faisais des piles à côté de moi que j’appelais des « gâteaux ». Ce n’est pas tout à fait un souvenir de lecture, mais de mon œil d’adulte, j’aime y penser. Je me demande ce que les livres représentaient pour la petite fille que j’étais. Et puis, ça m’amuse parce que, encore aujourd’hui, j’aime que mon espace de travail soit rempli de piles désordonnées de livres.

  1. Avais-tu un rituel de lecture enfant ou un livre marquant? Et maintenant, as-tu un rituel de lecture?

Julie : Un de mes grands drames de lectrice est que j’ai beaucoup de difficulté à me concentrer, alors j’essaie de m’isoler dans le silence ou avec une musique qui m’est très familière quand c’est bruyant autour. J’ai absolument besoin d’un crayon afin d’annoter mes livres ou, quand je me résous à emprunter un bouquin, d’un cahier pour prendre des notes. Je panique si je n’ai pas de crayon avec moi : l’idée de perdre mes traces de lecture m’angoisse.

Amélie : Pour la lecture, j’ai plutôt un « anti-rituel » qui consiste à lire dans n’importe quelle condition et à n’importe quel moment.

  1. As-tu une routine d’écriture, des rituels? Dans quel état d’esprit dois-tu être pour écrire?

Julie : Pour écrire, j’ai surtout besoin d’énergie. Il me faut du café ou du thé (beaucoup!) et une musique très entraînante. (J’écoute souvent les mêmes pièces pour écrire que pour courir. Ça donne une idée…) Sinon, j’aime alterner entre la solitude et la foule, passer des heures à écrire dans mon salon avec les chats, puis aller faire un tour dans un café pour capter l’énergie ambiante. Il faut aussi que je passe par-dessus la première phase d’angoisse (« Oh mon Dieu, je n’y arriverai jamais! »), pendant laquelle je reste figée pendant une période plus ou moins longue. Cette phase se conclut le plus souvent de la même façon : Amélie me dit « Bien oui, franchement, tu vas y arriver! », je proteste, puis, quelques instants plus tard, je suis lancée.

Amélie : Je n’ai pas de rituels, mais j’aime le bruit. J’adore écrire toute seule dans un café très bruyant entourée d’inconnus qui ne m’adresseront jamais la parole. Comme Julie, pour moi, le mot d’ordre dans l’écriture, c’est l’énergie.

  1. Quels sont les livres qui t’ont donné envie d’écrire?

Julie : Le journal d’Anaïs Nin. Pour la toute jeune femme que j’étais, il était très inspirant de découvrir les écrits d’une femme en quête de liberté qui réfléchit au monde et partage son expérience de celui-ci. La Cloche de détresse de Sylvia Plath, qui m’a donné l’élan nécessaire pour saisir quelques-uns des fruits du figuier avant de mourir de faim. Les livres de Virginie Despentes aussi. L’énergie de Despentes m’inspire.

Amélie : Depuis toujours, ce sont les livres écrits par des femmes qui me donnent envie d’écrire. Comme si par leur existence, ils me donnaient le droit de le faire à mon tour. À l’adolescence, les œuvres de Lucy Maud Montgomery, de Gabrielle Roy et de Simone de Beauvoir m’ont insufflé cette impulsion.

  1. Quel est le livre qui t’a le plus fait cheminer personnellement et pourquoi?

Julie : Je pourrais reprendre les mêmes titres qu’à la question précédente puisque cheminer signifie pour moi donner envie d’écrire. J’ajouterais Le parfum de la tubéreuse d’Élise Turcotte parce qu’il incarne une fusion parfaite de la pratique de l’enseignement et de l’écriture. Je rêve d’arriver à créer en classe un espace similaire à celui, très poétique, qui est évoqué dans le roman. Pour sa part, Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie a beaucoup aiguisé mon regard sur le monde. J’adore l’esprit brillant d’Adichie et son humour. Elle me donne aussi beaucoup envie d’écrire.

Amélie : J’ai été bouleversée par La maison aux esprits d’Isabel Allende à 19 ans. La découverte du réalisme magique sud-américain a été un grand choc esthétique. À la lecture de ce roman, j’ai réalisé aussi que le viol était d’abord et avant tout un abus de pouvoir qui n’avait à peu près plus rien à voir avec la sexualité. La peur, la colère et le désespoir des femmes de ce livre m’habitent encore aujourd’hui.

  1. Si tu pouvais vivre dans un monde littéraire, ce serait lequel?

Julie : Je ne voudrais assurément pas y vivre, mais je dois avouer que j’aimerais bien séjourner dans l’univers splendide et cruel de La Princesse de Clèves de Madame de La Fayette pour le plaisir des yeux et de l’esprit. J’en profiterais pour essayer de corrompre mademoiselle de Clèves et la sauver ainsi de son destin tragique! J’aurais très envie aussi de plonger quelque temps dans l’univers de La Femme qui fuit d’Anaïs Barbeau-Lavalette pour faire connaissance avec tous ces esprits extraordinaires qui essayaient de s’épanouir malgré cette époque terrible : Suzanne Meloche, bien sûr, si elle se laissait approcher, Marcelle Ferron, Muriel Guilbault, Claude Gauvreau…

Amélie : Je voudrais être avec les personnages de n’importe quel roman de Virginie Despentes, de Baise-moi à Vernon Subutex. Je suis bien avec les marginaux, les laissés-pour-compte et les maladroits qui sont si nombreux dans son œuvre. J’aimerais me plonger dans ce monde pour discuter, pleurer, hurler et rire avec eux.

  1. Quel livre relis-tu constamment sans même te tanner?

Julie : Je reviens toujours avec plaisir à la poésie d’Anne Hébert. Sinon, je dois dire que, même quand j’ai un coup de foudre pour un livre, il m’arrive souvent de devoir m’y prendre à plusieurs fois pour passer à travers celui-ci. Peut-être parce que l’idée de le terminer m’attriste ou parce que je ne supporte pas la force de ce que je lis. C’est ce qui m’arrive avec Ice d’Anna Kavan, un récit poétique situé dans un univers post-apocalyptique. L’atmosphère que crée Anna Kavan est mystérieuse et puissante, sa langue, magnifique.

Amélie : Ces temps-ci, c’est Vivre dans le feu de Marina Tsvétaïéva. J’ai sans arrêt envie de relire des passages. À chaque lecture, je découvre de nouvelles phrases qui me paraissent contenir un triste savoir sur le monde dont je n’avais pas encore appréhendé l’horreur.

  1. Quel est ton mot de la langue française préféré?

Julie : J’ai une affection particulière pour les mots simples. J’adore le mot « mélancolie », à la fois pour son sens et sa sonorité. Je me rappelle avoir été bouleversée par le vers de Nerval « Porte le Soleil noir de la Mélancolie »… et je le suis encore. Je suis fascinée aussi par le mot « silence ».

Amélie : Je suis plus fascinée par des expressions que par des mots en particulier. J’adore « avec force larmes » et « par la force des choses ». Ça fait peut-être de « force » mon mot préféré. J’ai toujours aimé les titres de Simone de Beauvoir : La Force de l’âge et La Force des choses.

  1. Quel livre aurais-tu aimé avoir écrit?

Julie : Souhaiter avoir écrit un livre revient, à mes yeux, à désirer être cette personne, avoir vécu les mêmes choses qu’elle. Je n’aimerais pas être dans les souliers des écrivain·e·s que j’admire. En revanche, je peux dire que j’aimerais beaucoup écrire un jour un livre comme We Have Always Lived in the Castle de Shirley Jackson, une écrivaine américaine, plutôt méconnue ici, qui a écrit des romans d’horreur comme nul autre.

Amélie : Je n’ai jamais envie d’avoir écrit ce que je lis. Ça serait comme être envieux du talent des écrivain·e·s que j’aime. Je ne suis pas du tout jalouse. Bien au contraire, leur talent me stimule. Je voudrais toutefois comprendre de l’intérieur comment Emily Dickinson travaillait ses poèmes.

  1. Si tu écrivais ta propre biographie, quel serait le titre?

Julie : Peut-être quelque chose comme La plus optimiste des désespérées. J’ai une vision assez sombre du monde (comment faire autrement?), mais je suis toujours convaincue que, quoi qu’il arrive en ce moment, un jour tout ira mieux. Ça pourrait aussi être Sur un air de ukulélé! D’abord parce que j’ai une affection profonde pour cet instrument, mais surtout parce que le ukulélé rend tout à la fois plus mélancolique et plus joyeux.

Amélie : En sainte-matraque. C’est une expression fétiche de ma mère pour exprimer la colère, un peu comme « en beau fusil » qui est plus connu. La locution vient probablement de ma Gaspésie natale.

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Vous pouvez continuer de suivre Julie et Amélie sur la page Facebook Le bal des absentes!

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Un commentaire

  1. J’aime beaucoup le blogue Le bal des absentes. Belle idée d’avoir fait cette entrevue entre blogueuses.
    Et puis j’ai pris note des livres dont elles parlent. Fait changement des listes auxquelles nous habituent les médias traditionnels. Merci donc,

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