Auteur : Clara Lagacé

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Bec-de-lièvre d’Annie Lafleur, ou comment dévorer le poème

Les taons sifflent, le lièvre se fait dévorer par le chien, l’hirondelle écoute, l’âne obéit, la bête s’évanouit, le cheval s’observe et le pigeon cache le soleil. Bienvenue dans l’univers d’Annie Lafleur, un univers poétique peuplé d’animaux et dépeuplé d’humains, dans lequel les mots s’entrechoquent à une vitesse folle. Dans Bec-de-lièvre, tout un bestiaire se meut avec le sujet poétique, c’est le spectacle de « la marche des animaux en lisière du monde » (p. 31). « J’essore l’oiseau du ciel les digues éclatent en vieux sang je remonte dans l’arbre à l’écart des hommes souffle sur la vermine qui ronge ma veine je vole au soleil sa boue jaune » (p. 51). Quatrième recueil de la poète montréalaise, il a été finaliste au Prix des Libraires 2017, dans la catégorie Poésie. Divisé en trois parties composées de courts poèmes sans titre, préfacés par un plus long poème « On a quitté la région », le recueil de Lafleur, Bec-de-lièvre (Le Quartanier, 2016) suit la voracité du sujet poétique alors que cette dernière se promène en forêt, dévorant et rapiéçant tout …

Allez, on va danser au bal des absentes!

De La femme qui fuit d’Anaïs Barbeau-Lavalette à Mettre la hache de Pattie O’Green, en passant par Autour de ton cou de Chimamanda Ngozi Adichie et Femme, réveille-toi! d’Olympe de Gouges, Amélie Paquet et Julie Boulanger racontent leur amour de l’enseignement de la littérature et leur amour de la littérature tout court dans leur essai Le bal des absentes paru chez La Mèche, ce printemps. Mais il ne s’agit pas de n’importe quelle littérature : la littérature des femmes. Grâce aux voix fortes d’autrices trop peu enseignées par leurs collègues, Paquet et Boulanger essaient de faire réfléchir leurs étudiant.e.s sur de nombreux enjeux : les rapports familiaux, les classes sociales, l’inceste, la place de la femme dans la société québécoise, etc. En commentant ces autrices dans leurs courts chapitres, les deux enseignantes font découvrir des inconnues, dépoussièrent leurs propres histoires de jeunesse et surtout, donnent le goût de courir lire toutes ces femmes férocement vivantes. Divisé en cinq parties (La littérature et la vie; Mésententes; L’étudiant.e vis-à-vis de l’école; Figures de l’absente; La professeure vis-à-vis …

Coup de poing dans le réel : la poésie de Marjolaine Beauchamp

Vous la connaissez parce qu’elle a fait la première partie du show L’existoire de Richard Desjardins? Parce qu’elle a été championne québécoise du slam en 2009? Parce que vous l’avez déjà lue? En tout cas, Marjolaine Beauchamp, originaire de Buckingham en Outaouais, est à découvrir! Collaboratrice assez régulière au blogue Filles Missiles, Beauchamp a aussi un disque de slam disponible sur bandcamp si vous voulez entendre ses textes comme elle les lit. Une poésie abrasive : Aux plexus Aux plexus (2010, Éditions de l’Écrou), qui a été finaliste au prix Estuaire en 2011, offre des poèmes beaux et forts sur des gens ordinaires aux prises avec la misère humaine. Dans une langue joualisante, orale, proche d’une voix entendue lors de soirée de slam, Beauchamp fait exploser les préjugés dans ses poèmes narratifs. Aux plexus ne prend pas de détours pour traiter de sujets lourds comme le suicide, la pauvreté, le bien-être social, l’adultère et d’autres moins « lourds » sans être moins importants ou imposants comme l’amour, la maternité et la famille. Dans une entrevue dans …

Autour des livres : rencontre avec Vanessa Bell

Responsable aux communications pour le buffet de l’antiquaire, chroniqueuse poésie à l’émission Les bouquins d’abord de CKRL et chroniqueuse danse pour Québec, Réveille! de CKIA, Vanessa Bell est une fille pas mal occupée, mais surtout très impliquée dans le milieu culturel québécois. Elle a récemment piloté le (super!) numéro spécial poésie de la revue féministe Françoise Stéréo dans lequel elle propose ses propres textes aussi. Elle a présenté des créations au Musée national des beaux-arts de Québec, dans le cadre du festival littéraire Québec en toutes lettres, à la Maison de la littérature de Québec, et dans le cadre du Off-festival de poésie de Trois-Rivières, entre autres. Vous pouvez écouter ses superbes chroniques radio ici! Et si un besoin de contemplation vous prend soudainement, allez faire un p’tit tour sur son instagram tout en douceur, dépouillé. Elle a publié IMPERMANCE en décembre dernier en collaboration avec le photographe Renaud Philippe. Vanessa Bell vit entre Trois-Rivières et Québec. Heureusement, nous avons eu la chance de l’attraper entre deux envolées pour lui poser quelques questions. Quel est ton premier …

De migrations et d’origines : Outardes de Catherine Côté

L’Abitibi, c’est les mines, la forêt à perte de vue, les camps de chasse perdus dans le bois; c’est Val-D’Or et Rouyn-Noranda; c’est une terre colonisée sur le tard, lors de la crise économique des années 1930; c’est des petits lacs où se saucer l’été pour se sauver des mouches à perte de vue; c’est un hiver interminable avec le lourd silence qui l’accompagne, un « silence [qui] pren[d] toute la place » (p. 38). L’Abitibi, c’est Richard Desjardins et Raoûl Duguay. L’Abitibi, c’est aussi le sujet du premier recueil de Catherine Côté, Outardes, dernier titre parut à la collection poésie des Éditions du passage. Poésie des origines, Outardes raconte l’Abitibi où Côté n’a jamais habité; l’Abitibi qu’elle a explorée à la recherche des traces de ses ancêtres. Montréalaise, Côté a ses racines familiales en Abitibi. Avec son recueil, elle explore l’impossibilité en même temps que la nécessité de prendre racine dans un passé et un territoire inconnu. L’étau se resserre D’emblée, le sujet poétique est situé géographiquement : les vers « je suis fille de fleuve / …

Saint-Henri : quartier de ciels ardents

Hier, j’ai cru sentir l’odeur du varech, que je connais par cœur, dans la ruelle derrière mon appartement sur la rue du Couvent. Mon appartement est pourtant très loin du fleuve salé. Je suis sortie pour confirmer. Un rayon de soleil tendre et frais dissimulait mal la souillure du printemps présente dans la ruelle, sur les trottoirs, dans l’air même. Un rayon d’une lumière matinale, belle, mais sans merci, découpait toutes les ombres avec une précision fanatique. Partout, les déchets laissés derrière par l’hiver abondaient. Aujourd’hui, cela fait deux ans que j’habite le quartier Saint-Henri. Il y a quatre ans, je suis partie de l’Outaouais pour égarer mon futur dans Montréal. Puis, j’ai choisi Saint-Henri. J’ai décidé de me faire bercer** par l’histoire ouvrière, par les trains qui déchirent la nuit et par les carcasses d’usines vides. **Embourgeoisement : je m’installe dans un quartier qu’on a toujours voulu avoir les moyens de fuir; j’utilise le verbe bercer pour décrire mon arrivée. Bordée à l’est par l’autoroute 15, au nord par Westmount et l’autoroute Ville-Marie, à l’ouest …

Le pouvoir de l’imaginaire

Je ne suis pas de ceux qui ont un grand génie de Sévryna Lupien est le dernier roman à paraître chez Stanké et le premier de l’auteure. Cette jeune libraire, également artiste multidisciplinaire, signe un roman drôle et touchant. Auguste est le personnage principal et le narrateur du récit. Dans la lignée des voix narratives de Room, C’est pas moi je le jure, To Kill a Mockingbird ou encore le magnifique La vie devant soi du côté des grands classiques, on a affaire à un narrateur à la voix candide de l’enfance. Cette candeur lui donne aussi une énorme franchise qui lui permet de poser un regard très juste sur le monde, malgré (ou grâce à?) sa grande naïveté : « Je ne suis peut-être pas de ceux qui ont un grand génie, mais je sais que les gens bien, c’est important pour notre existence. » (p. 138) Et les gens bien, Auguste aura la chance d’en rencontrer! Orphelin, Auguste vit au centre Saint-Marie-des-Cieux où des religieuses s’occupent de lui. Il en a marre d’être dans cet endroit sans …

Autour des livres : rencontre avec Clara, collaboratrice chez Le fil rouge

1) Quel est ton premier souvenir en lien avec la lecture? C’est assez tard. Je dois avoir 8 ans. Je suis chez mes grands-parents maternels à Burlington, en Ontario. C’est le soir et avec mon père je lis à voix haute mon premier livre toute seule en anglais : The Twenty-One Balloons de William Pène du Bois (1947). Quand j’y repense, je ne me souviens pas tout à fait de l’histoire du roman, mais je sens très bien l’odeur de chez mes grands-parents, l’ambiance dans la chambre à la tombée du jour et l’euphorie d’être en train de lire les phrases moi-même. C’est le début d’une longue histoire d’amour avec les livres. 2) Avais-tu un rituel de lecture enfant ou un livre marquant? Et maintenant, as-tu un rituel de lecture? En sixième année, tous les mardis, j’empruntais le maximum de livres à la bibliothèque municipale d’Aylmer (10!) et le mardi suivant, je les avais tous lus! Je dévorais les livres : n’importe où, n’importe quand. Surtout les samedis et dimanches matins dans mon lit quand …

S’enfoncer dans l’hiver avec Sébastien Dulude

Avant même d’annoncer leur projet de Fictions du Nord, La Peuplade montrait son parti pris pour des œuvres qui explorent l’imaginaire collectif nordique en publiant, entre autres, le second recueil de poésie de Sébastien Dulude ouvert l’hiver à l’hiver 2015. Son premier recueil chambres est paru chez Rodrigol en 2013. Ouvert l’hiver comporte soixante poèmes, tous écrits en tercets de vers libres, qui racontent la relation amoureuse haletante entre une fille et un garçon au cours d’un hiver. « Obsessivement ficelés » dit la quatrième de couverture. C’est bien vrai. Les poèmes sont aussi délicats à la manière de flocons de neige qui tombent. « L’histoire derrière ces poèmes, c’est celle d’un gars qui reçoit la visite d’une fille. Parfois, c’est lui qui va la voir et vice-versa. Les fenêtres restent ouvertes, mais il n’est pas trop certain de cette histoire. Ce sont surtout des poèmes très courts, des instants d’hiver. Je voulais qu’il se passe quelque chose de très chaleureux, mais que ce soit aussi très froid, un peu comme si tous les objets étaient faits de verre », …

Autour des livres : rencontre avec Le bal des absentes

Julie Boulanger et Amélie Paquet, deux professeures de Cégep, veulent mettre en avant, par le biais de leur blogue, Le bal des absentes, le travail d’écrivaines trop souvent oubliées et délaissées par les plans de cours. Elles proposent « de découvrir et de commenter différents titres d’auteures d’ici et d’ailleurs » (La Mèche). Elles tentent de démontrer comment elles s’y prennent en classe pour étudier ces œuvres, et ainsi inspirer leurs collègues à oser enseigner ces textes. Elles viennent d’écrire un essai, qui regroupe plusieurs textes du blogue, sur ces questions. Il paraîtra en mars chez La Mèche. Elles ont gentiment accepté de répondre à notre questionnaire « Autour des livres ». Quel est ton premier souvenir en lien avec la lecture? Julie : La première image qui me vient en tête est un peu floue, mais son impression est vive. Je suis toute petite, dans notre appartement à Laval, sur les genoux de ma mère qui me lit un livre. Je ne me rappelle pas ce qu’elle me lisait, mais c’est pour moi un des plus grands …