Je partage mon quotidien avec l’œuvre de cette femme depuis plus d’un an et je dois vous avouer que je me considère depuis une experte en la matière. Lorsque nous sommes plongés aussi profondément dans le travail d’un écrivain ou d’une écrivaine, il nous arrive de penser que nous connaissons de fond en comble la personne qui se cache derrière les lignes et ce, dans tous ses recoins les plus sombres et les plus secrets. Or, la rencontre des corps suffit souvent à nous prouver le contraire.
Il y avait déjà sept ans que la prolifique auteure belge, Amélie Nothomb, n’était pas venue nous rendre visite au Québec. Étant invitée d’honneur au Salon du livre de Québec, cette dernière n’avait d’autre choix que de faire un passage obligatoire par Montréal. Le jeudi 6 avril, j’ai donc eu la chance de faire la file au Renaud-Bray de la rue Saint-Denis pour faire signer son petit dernier, Riquet à la houppe, et par le fait même, de rencontrer ma majestueuse sorcière bien-aimée.
Arrivés bien en avance, nous étions dans les premiers impatients de la ligne. Nous pouvions sentir la fébrilité dans l’air. Les lectrices (en grande majorité) ne pouvaient plus attendre. Il pleuvait à grosses gouttes. Cela dit, le mauvais temps n’a pas empêché les admiratrices de Nothomb d’envahir la librairie. À 18 h 30, je ne voyais plus la fin de la file. J’étais au bon endroit, au bon moment, entourée de son œuvre qui compte plus d’une vingtaine de romans. Bref, comme à la maison.
La belle est arrivée une vingtaine de minutes en retard sous les applaudissements de la foule. Elle portait comme à son habitude un de ses extravagants chapeaux. Pas question que le personnage quitte la dame. Elle s’est excusée de son arrivée tardive et a spécifié avoir amené avec elle le temps gris de son pays, la Belgique. Vêtue de noir de la tête aux pieds, les lèvres rouge sang et le teint d’une blancheur pure, elle était exactement comme je me l’étais imaginé. Intimidante, mais timide. Nothomb et ses éternels paradoxes.
Après quelques photographies avec les organisateurs de la soirée, elle s’est assise au joli bureau vintage qu’on avait installé pour elle sur lequel figurait un magnifique bouquet de fleurs qu’on lui avait offert. Connaissant bien à qui ils avaient affaire, les organisateurs de l’événement avaient pensé à la fameuse bouteille de champagne, élixir de prédilection de l’auteure. Elle prit un instant de délectation lorsqu’elle savoura sa première gorgée. Elle ferma les yeux et leva le menton vers le haut. C’était orgasmique à voir, cette satisfaction dans ce visage épanoui sous les bulles qui roulaient dans sa gorge offerte à la vue de tous. Pas question que le personnage quitte la dame.
Elle prit le temps d’échanger quelques mots avec chacun de ses lecteurs malgré le fait que les échanges soient d’assez courte durée dans l’ensemble. Je dois vous avouer que je ne suis pas une grande habituée des séances de signature, que je trouve plutôt conventionnelles et robotiques. Malheureusement, celle-ci ne m’a pas prouvé le contraire. Rien de bien personnel, mais bon…
Cependant, une chose s’est confirmée pour ma part : Amélie Nothomb est une obsédée des corps. Je le dis déjà dans mon mémoire alors que je traite de l’imaginaire du corps dans son œuvre, mais notre rencontre aura servi à confirmer que le sujet de l’énonciation et la dame au stylo bille ne sont pas si loin l’un de l’autre. D’emblée, elle m’a abordée de la façon suivante :
« Quels jolis tatouages! »
Avant de rencontrer mon copain et de s’exclamer stupéfaite :
« Vous êtes immense! Vous mesurez combien? »
Je concède, un homme de 6 pi 6 debout devant vous alors que vous êtes assise à une table, cela a quelque chose d’impressionnant. Ce qui est certain, c’est que les apparences ne demeurent pas indifférentes pour l’écrivaine. Comme je le mentionnais précédemment, la rencontre des corps est parfois très révélatrice. D’ailleurs, même l’acte d’écrire est pour elle un processus physique. Cette dernière n’arrive pas à créer à partir d’un clavier. Tout doit être inscrit à la main.
Notre rendez-vous aura servi à confirmer mon hypothèse des corps et des apparences. En somme, j’avais bien su lire entre les lignes, mais son regard dans le mien aura été le sceau de la confirmation.
Rien de tel qu’une rencontre des corps.
« Qu’on le veuille ou non, nous vivons dans le monde platonicien des apparences. On a beau vouloir s’attacher à la profondeur, ce sont les apparences qui mènent le monde. Le physique d’une personne, c’est ce qu’on voit en premier et c’est de prime abord ce sur quoi nous la jugeons. »
— Amélie Nothomb en entrevue avec Nathalie Petrowski dans La Presse +
Crédit photo : Michaël Corbeil