Littérature québécoise
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Morceaux d’ongles et de sang de bien d’autres filles, par Josée Yvon

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Avec un titre comme Travesties-kamikaze, Josée Yvon m’avait d’ores et déjà intriguée, charmée, semi-choquée. Mais je n’avais encore rien lu. Encore d’aujourd’hui, je me sens choyée d’avoir découvert l’autrice, qui demeure bien présente dans le portrait culturel québécois actuel: célébrée par le milieu littéraire, notamment par Martine Delvaux, revivant à travers des poètes qui s’en inspirent, comme Marjolaine Beauchamp ou Chloé Savoie-Bernard, reliée selon certain.e.s à l’œuvre de Nelly Arcan et réintégrée dans les nouveautés littéraires par les éditions Les Herbes rouges.

Très moderne 1980

Alors que je commence la lecture du recueil, une vague de bonheur monte en moi à partir du ventre: revendications poétiques, colère habillée de froufrous, ambiances tamisées de bar crados et instants bien trash.

Quelle fut ma surprise alors que, avare de plus de Josée Yvon, j’ai appris qu’elle était décédée en 1994 à cause du sida! Pourtant, ce texte est tout à fait pertinent en 2020 et j’ai tendance à croire qu’il en choquera encore plusieurs.

À noter que rien ne semble inventé et d’ailleurs la préface nous met en garde:

«Toutes les situations et personnages mis en scène dans ce livre ne font aucunement partie de la fiction et toute ressemblance avec des personnes vivantes ou mortes et lieux réels est voulue et écrite pour les représenter. Quiconque se reconnaîtrait dans un des passages suivants a raison de le croire.»

Travestissement essentiel

Ce souci de la précision pour rendre sa lumière à la marginalité très bien ressentie dans le recueil m’a évidemment rappelé, avec grand plaisir, Nan Goldin, qui côtoyait cet univers au quotidien et tendait dans son travail photographique vers un reflet fidèle de la réalité: aucune retouche avant ni après ses photos.

Ce parallèle me fait toutefois réfléchir, puisque Josée Yvon elle-même dira qu’il faut se travestir et changer sa personnalité pour vivre dans une société. Est-ce qu’on peut alors parler de fidélité à la réalité? Ce qui est sous-entendu ici est que la réalité est un construit, qu’elle l’est toujours de toute manière, et qu’il est donc possible d’être fidèle à sa propre réalité.

Dans une vie où les coups durs à accuser sont récurrents et où la douceur et la quiétude sont rares, parfois il semble essentiel de transformer son apparence pour avoir le contrôle, du moins sur soi et sur comment les gens nous perçoivent. L’accès au for intérieur devient un privilège à accorder.

Univers d’apparences absolument pas artificielles

Les châles en mohair, le mobilier de bois riche et les talons des Gina, Gilles et Brigitte de ces pages sont contrebalancés par les bières, les cannes de spaghetti et les draps tachés d’urine et de sperme.

Bienvenue dans l’univers non-genré de ces individus au cœur immense, quoique parfois égoïstes par dépit, et au mode de vie marginal revendiqué comme le leur, où ils trouvent le réconfort d’être ensemble.

Comme le disent plusieurs articles sur le sujet, Josée Yvon aborde le sujet des transgenres avant l’existence du mot et permet de rendre compte d’une certaine complexité, dans un monde bien particulier.

Les illustrations qui apparaissent au tournant de certaines pages nous rappellent à la réalité de certaines rues-clés de Montréal (ou autres lieux réels) et cela, combiné à la collision entre les mots doux amers et les photos choc, m’a donné des émotions.

Lire, lire, lire encore

Parfois, des citations, comme celles de Gilles Deleuze et de Claire Parnet, précèdent des phrases telles que:

«Sa mère elle est morte avec son tablier. Elle avait quand même eu le temps de faire deux brassées de lavage, d’éplucher son blé d’Inde et de faire des tartes.»

et permettent d’approfondir la lecture en donnant plus d’un niveau au texte et en provoquant des réflexions qui continuent de nous suivre.

Il faudra certainement que je replonge un jour dans ce recueil qui nous berce vers le wild side pour assimiler toute la profondeur des textes poétiques de l’autrice. J’ai avalé d’un coup l’entièreté de Travesties-kamikaze sans avoir envie d’en recracher une seule miette.

Et vous, quel.le auteur.trice avez-vous découvert grâce à une réédition?

Le fil rouge tient à remercier chaleureusement Les Herbes rouges pour le service de presse.

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