Autour des livres
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Coffret de juin : Entrevue avec Abla Farhoud

Voici l’entrevue que nous avons réalisée avec Abla Farhoud, auteure du livre du mois : Au grand soleil cachez vos filles, ainsi que Le sourire de la petite juive et Toutes celles que j’étais, entre autres.

Nous avons décidé de sélectionner ce roman parce qu’Abla Farhoud est une grande auteure québécoise à la plume exceptionnelle et qu’on avait envie de vous la faire découvrir. Nous avons aussi été touchées par le récit de cette famille qui se cherche, qui s’aime maladroitement, et surtout, le récit d’émancipation et d’affirmation de Ikram, un personnage féminin fort, courageux et superbe, nous a émues et inspirées.

Quel effet a eu sur vous le fait de retourner dans votre passé, plus précisément à vos 20 ans, où vous retourniez dans votre Liban natal?

Pendant longtemps, chaque fois que je pensais à mes années passées au Liban, j’avais beaucoup de peine, j’avais l’impression d’avoir perdu quatre ans de ma vie, et de garder une souffrance qui ne voulait pas s’en aller.
En donnant la voix à plusieurs narrateurs pour écrire Au Grand Soleil cachez vos filles, j’ai été délivrée du poids d’être seule à revivre les émotions du passé. Cela m’a soulagée. Je ne voulais pas sombrer dans le ressentiment et les comptes à régler. (Je n’aime pas les romans revanchards, et je ne voulais pas en faire un.)
En me glissant dans d’autres vies que la mienne, en inventant et en transposant, ça m’a amenée à voir d’autres côtés de la vie au Liban.

D’ailleurs, c’est au moment où j’ai trouvé cette structure narrative à quatre voix que j’ai commencé à écrire. Et je savais que de cette manière, j’irais jusqu’au bout.

Écrire ce retour — une deuxième immigration, en ce qui me concerne — m’a permise de retourner au Liban en imagination et de transformer la souffrance de la jeune fille que j’étais en roman. 226 pages que tout un chacun peut lire pour imaginer à son tour et peut-être même sentir de l’intérieur ce que c’est que de débarquer dans un pays que l’on ne connaît pas; en un mot, immigrer.

Diriez-vous que l’écriture de ce roman a été salvatrice? Vous êtes-vous sentie libérée d’un poids lourd qu’étaient ces souvenirs en les écrivant?


Écrire un roman n’est pas une psychothérapie. Pour se libérer d’un poids, névrose ou autre, ou apprendre à vivre avec, c’est beaucoup mieux d’aller voir un psy.

Cela dit, écrire est un travail. Long, dur, exaltant et parfois salvateur.

Salvateur, du moins, pendant qu’on écrit.

On oublie le monde qui nous entoure et on crée un autre monde, composé de 26 lettres de l’alphabet comme dit Dany Laferrière. D’autres personnes le lisent et on se sent moins seul… si quelque chose traverse le cœur d’un lecteur…

En fait, l’art est là pour rompre la solitude des humains. Car grâce à la fiction, l’autre, qu’on ne connaît pas et qui ne nous connaît pas, peut à travers cette fiction entrer profondément en lien avec un inconnu, un autre être humain…

On écrit pour comprendre le monde dans lequel on vit, on écrit pour saisir ce qu’on  n’est pas arrivé à saisir en le vivant.

Écrire nous permet d’arrêter le temps, de le décortiquer, d’en extraire toute l’humanité que l’on peut y trouver ou que l’on voudrait y trouver;  écrire nous permet de voir la vie sous plusieurs angles, dans son mystère, sa laideur et sa beauté.

Nous avons eu un réel coup de coeur pour Ikram qui est un peu votre alter ego, pour son courage et sa détermination. Nous avons aussi un peu reconnu Aablé de Toutes celles que j’étais, de quelle façon arrivez-vous à vous mettre en scène, tout en créant de la fiction?

Merci pour ce coup de cœur pour Ikram, que j’aime beaucoup moi aussi.

La fiction est une chose bizarre…

Jean Cocteau a dit une phrase que j’aime beaucoup : Écrire c’est mentir vrai.

Pour moi, tous mes personnages sont une partie de moi. Pendant que je fais parler Adib,  je suis Adib, pendant que j’écris Faïzah ou Youssef, je suis Faïzah ou Youssef.

J’irais jusqu’à dire que je ne suis pas plus Ikram que les autres personnages, mais c’est son amour du théâtre qui vous le fait croire.

Biographiquement, Ikram, tout comme Aablé dans Toutes celles que j’étais me ressemblent, parce que j’ai joué et plus tard écrit pour le théâtre.

Mais intérieurement, je suis dans chacun de mes personnages ou mes personnages sont toujours une partie de moi.

S’il n’y a pas ce fil qui lie le personnage à l’auteur, le lecteur a tendance à ne pas croire à ce qui est écrit. Et il a raison : ça sonne faux.

Si vous avez cru à cette histoire, c’est que « j’ai menti vrai ».

Montréal a été une de vos muses, dans Le sourire de la petite juive par exemple, de quelle façon, êtes-vous attachée à cette ville?

Difficile à dire. J’ai écrit Le sourire de la petite juive et pas une fois je n’ai dit « j’aime Montréal » et pourtant je suis sûre que vous l’avez senti, cet attachement, cet amour pour les gens qui m’entourent. Dans Au Grand Soleil cachez vos filles, et même si ça se passe au Liban, on sent l’attachement des personnages à Montréal et au Québec. Dans Toutes celles que j’étais, mon amour pour ce pays et pour les gens qui y habitent traverse le livre d’un bout à l’autre, ou mieux : de bord en bord, expression québécoise de ma jeunesse.

Nous avons appris, à notre grand bonheur, qu’il y aurait un dernier roman qui terminera cette trilogie, pouvez-vous nous en dire un peu plus?

J’ai vécu 4 ans à Paris, ça pourrait faire facilement 40 romans! Mais quel est ce roman que seule moi pourrais écrire?…

Je cherche, mais je n’ai pas encore trouvé comment faire? C’est toujours le même problème quand on écrit : ce n’est pas le sujet qui est difficile à trouver, ce n’est pas le QUOI, mais le COMMENT.

Je vous souhaite une belle lecture!

Quand vous aurez fini de lire, et surtout si vous avez aimé, passez le livre à vos ami.e.s.

Écrivez-moi, si vous en avez envie. Moi aussi, j’aime lire!

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Le fil rouge est un blogue littéraire créé par deux amies, Marjorie et Martine, toutes deux passionnées par la littérature et par les vertus thérapeutiques de celle-ci. Notre approche face aux bouquins est liée à la bibliothérapie, car nous pensons sincèrement que la lecture procure un bien-être et que les oeuvres littéraires peuvent nous aider à cheminer personnellement. Nous tenons aussi à partager notre amour pour les bouquins, l’écriture, la création et sur les impacts positifs de ceux-ci sur notre vie et notre bien-être. Notre mission première est de favoriser la découverte de livres et de partager l’amour de la lecture, car ceux-ci peuvent avoir des impacts sur nos vies et sur notre évolution personnelle. Que ce soit le dernier roman québécois qui fait parler de lui, le vieux classique, le livre de cuisine ou bien même le livre à saveur plus psycho-pop, chez Le fil rouge, on croit fermement aux effets thérapeutiques que peuvent apporter la lecture et la littérature. Voilà pourquoi les collaboratrices et les cofondatrices se feront un plaisir de vous faire découvrir des bouquins qui leur ont fait du bien, tout simplement.

2 Comments

  1. Lise Audet says

    Merci Le fil rouge de partager avec nous des propos aussi touchants qu’inspirants, et surtout, merci à Farhoud pour sa grande capacité à nous émouvoir.
    Une lectrice ébouloise

    J’aime

  2. Lise Audet says

    Correction au commentaire précédent. J’ai effacé par erreur le prénom de l’auteure. On aurait dû lire : … merci à Abla Farhoud….
    Bon, là, je me sens mieux!
    La lectrice ébouloise

    J’aime

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