Chroniques d'une anxieuse
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Chroniques d’une anxieuse : je voulais être de toutes les couleurs

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Je n’avais pas été capable de sortir de ma chambre jaune et bleue. Ma meilleure amie m’avait dit que la gang se donnait rendez-vous dans un parc pas loin de chez nous pour engloutir quelques bières. Je souhaitais juste m’engourdir un peu pour être à l’aise avant de les retrouver, mais j’ai dérapé toute seule. Le ciel s’était obscurci, il faisait nuit et j’avais le visage boursouflé d’avoir trop pleuré. J’étais étendue dans mon lit les yeux rivés sur le ciel qui bougeait trop vite. Les nuages noirs dépassaient la lune et moi j’avais la tête qui tournait. Ça tournait à cent miles à l’heure. Ça tournait dans tous les sens.

J’avais bu la moitié de la bouteille de rhum de mes parents.

J’avais 15 ans.

Les premières gorgées avaient lentement glissé en moi. Engourdir mes pensées pour mieux les supporter, c’était tout ce que je voulais. Ça fonctionnait, mais seulement pour quelques instants. Après je ne savais plus quand m’arrêter, plus où se situait la limite du tu-t’enlignes-pour-vomir-dans-la-cuvette-toute-la-nuit. De toute façon je la franchissais tout le temps, la limite. J’avais expérimenté l’alcool un an plus tôt dans un party à la vodka-jus-d’orange. J’avais frenché pour la première fois, mais le lendemain je ne me souvenais de rien. Tout s’était évaporé, comme si rien n’avait vraiment existé. Comme si j’avais pris la fuite. Comme si j’avais pu donner un break à ma tête. C’était ma première brosse et déjà quelque chose s’était illuminé. J’avais réussi à m’évaporer. Pour un moment.

C’était doux de pouvoir s’effacer. D’oublier ses tracas, se détendre les neurones, faire tomber les barrières et se laisser bercer par l’illusion d’être enfin soi-même. Sans inhibition. Sans l’emprise étouffante du regard des autres. Sans limites.

Tout devenait possible. Le monde qui m’écrasait devenait mon terrain de jeu où mes rêves les plus fous se concrétisaient. Je pouvais être celle que j’avais toujours voulu être. Ma gêne n’existait plus, mes peurs disparaissaient et mes angoisses étaient réduites à néant. Je montais sur les toits pour regarder les étoiles et je revenais à vélo pieds nus, criant à tue-tête des niaiseries, parce que j’avais perdu mes gougounes en courant dans un champ. Je laissais aller mon fou. J’avais l’impression d’être de toutes les couleurs. Et le lendemain matin, j’avais oublié. Je cherchais mes gougounes sans comprendre où elles avaient filé.

Ça faisait mon affaire, je disparaissais, enfin. Pour une soirée, je devenais autre. Une autre se glissait en moi. Elle prenait possession de mon corps. Je l’aimais bien. Elle était smatte, drôle et insouciante. Elle oubliait les oraux, les crises de panique, le saignage de nez, les tremblements et les gens qui riaient d’elle. Elle souriait beaucoup. C’était l’fun.

C’était l’fun d’avoir un break de soi. De pouvoir aborder les inconnus sans que ma tête soit encombrée des t’es-donc-ben-conne-d’avoir-dit-ça. Les shots de téquila réchauffaient mon œsophage. Je me sentais mieux avec moins de mal-être. J’étais enfin la femme que je désirais devenir, sans anxiété, pour une soirée.

Je montrais mes vraies couleurs à la manière de Cyndi Lauper.

J’étais de toutes les couleurs. Le monde s’ouvrait.

Je devenais une superwoman. Une justicière prête à tout. Une cowgirl badass. Une guerrière aux mille pouvoirs. Une Michonne sortit tout droit de Walking Dead avec ses katanas pis toute. Plus rien ne me faisait peur et j’aimais cette idée de pouvoir tout accomplir. Parce qu’à jeun j’arrêtais pas de me dire que j’étais capable de rien, mais avec du gin tonic dans l’sang j’avais confiance en moi, pour une fois. Ça faisait changement des tourbillons noirs qui m’embrouillaient la vue.

Plus je buvais, plus je me transformais en Lisbeth Salander.

Comme cette fois où je revenais d’une soirée bien arrosée. J’avais englouti une coupe de bières à la même vitesse que mes chums de gars. J’étais sur le chemin du retour lorsque j’ai aperçu une gang d’abrutis qui battaient à coups de pied un gars en petite boule sur le gazon. Il les suppliait d’arrêter, mais les autres riaient. Leur rire me dégoûtait. Ils étaient dix et j’étais seule, mais je m’en foutais. J’étais une superwoman. L’alcool me coulait dans les veines. J’ai avancé en criant HEY! LÂCHEZ-LE! Ils se sont retournés pour me regarder, ahuris, de voir une petite maigrichonne dégager autant de force. J’ai continué d’avancer en criant encore. LÂCHEZ-LE ESTI! Ils ont déguerpi comme s’ils avaient vu Godzilla. J’ai aidé le gars à se relever, on est allé s’asseoir dans les estrades pas loin et on a parlé longtemps.

Je devenais tout ce que je voulais.

Sur l’alcool, je me sentais à l’aube de tous les possibles. J’avais 16 ans et je continuais à boire en finissant tout ce qui pouvait me tomber sous la main en fouillant dans les armoires de mes parents. Je finissais tout jusqu’à ce que je m’effondre dans ma chambre avec le regard fuyant. Les mains au sol avec l’impression qu’il se dérobait sous moi. Les idées qui se mélangeaient. La vérité qui frappait. Je n’étais pas bien. Je fuyais une partie de moi.

Les années ont passé et j’ai déménagé à Montréal dans un joli appartement sur Beaubien. J’allais à des dates dans des bars cheaps et je calais des bouteilles de vin de dépanneur avant d’y aller. Pour que les hommes qui allaient se tenir devant moi ne puissent pas deviner mes tremblements. Je ne voulais pas qu’ils me voient sous mon vrai jour. Je ne voulais pas qu’ils perçoivent mon anxiété.

Mais l’alcool ça joue des tours. Ça ne suffit plus. Ça arrête de te faire sourire. Ça devient le pire des remèdes. Ça te remet dans face ce que tu as voulu oublier. Même si tu cales un pichet de bière dans un bar pour dissimuler ton malaise pis tes plaques rouges qui te montent jusque dans face, tu commences à être fâchée d’en avoir besoin pour te sentir bien. Les tourments ne s’y camouflent plus, ils en sont juste exacerbés. C’est l’fun de déraper des fois. C’est moins l’fun de déraper pour fuir une partie de ce qu’on est réellement.

J’ai pogné mon trou quand le monsieur du dépanneur a commencé à me faire des rabais sur les bouteilles d’un litre de Marquis de Méricourt. Mes couleurs étaient fades. Je les avais perdues en croyant que c’était l’alcool qui me les rendait belles. Je ne savais pas encore qu’une de mes plus jolies couleurs s’appelait anxiété. Que j’avais souvent voulu la réduire à néant, en miettes, en poudre d’escampette, mais qu’elle avait persévéré à me montrer qu’elle était essentielle à ce que j’étais.

Qu’à force de souhaiter qu’elle disparaisse j’avais fini par croire qu’elle était terne, mais qu’au contraire elle me rendait multicolore.

 

Illustration par Marjorie Rhéaume. 

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