Littérature étrangère
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À la recherche de la mer et du temps perdu

On rêve tous de tomber sur la parfaite lecture de vacances. Celle qui nous permettra vraiment de décompresser, de nous perdre dans un monde qui n’est pas le nôtre, mais surtout d’avoir le sentiment de s’arrêter et de prendre le temps pour s’émerveiller. On a beau arpenter les librairies, les sites Internet et les suggestions de nos amis, rien n’y fait; on ne trouve jamais la perle rare. Car rien n’est moins sûr qu’un excellent livre. C’est notre propre perception qui influence nos choix, nos intérêts. Et ce qui fait un bon livre à bien des égards n’en déçoit pas d’autres pour autant. C’est une entreprise difficile certes, jusqu’au moment où vous le trouvez. Caché dans le fond d’une bibliothèque, ce livre dont vous ignorez tout est sur le point de vous hypnotiser pendant des semaines, et vous ne savez même pas encore dans quoi vous vous engagez vraiment.

C’est cette histoire d’amour que j’ai vécue le mois dernier alors que je suis partie découvrir l’Amérique centrale durant quelques semaines. Ayant angoissé pendant plusieurs semaines à savoir quels livres emporter avec moi, je me suis limitée à trois ouvrages différents pour ne jamais être rassasiée. Armée d’un essai biographique, d’un livre de science-fiction et d’un roman (a.k.a. la brique de mon sac à dos), je suis partie à l’aventure. 
Cinq semaines plus tard, je peux encore affirmer qu’un des plus beaux souvenirs de mon voyage est la découverte du roman qui m’a accompagnée tout au long de mon périple : Toute la lumière que nous ne pouvons voir, d’Anthony Doerr. Récit de guerre unique qui redonne une certaine humanité à une page de notre histoire qui en semblait dénudée.

Sur fond de Seconde Guerre mondiale, il s’agit du récit de deux enfants, Marie-Laure et Werner. Lui est un orphelin allemand surdoué pour les sciences et les mathématiques. Recruté par les jeunesses hitlériennes, il devra s’engager dans une guerre qui n’est pas la sienne avant même d’avoir l’âge légal pour y être. Passionné par les radios, il devra se promener de village en village pour briser les communications secrètes utilisées par les alliés. Elle, Marie-Laure, est une jeune Française aveugle. Accompagnée par son père, serrurier en chef du Musée national d’Histoire naturelle de Paris, elle apprend à vivre avec cette nouvelle réalité par le biais de maquettes construites par celui-ci. Passionnée par les sciences, mais surtout par Jules Verne et Darwin, elle repousse les limites du possible par son imagination fertile et sa soif de connaissance. Lorsque Paris est saisi par les Allemands en 1940, tous les deux fuient la Ville lumière pour se rendre chez un vieil oncle à Saint-Malo pour y trouver calme et paix. Mais l’orage grondant au loin, ils comprendront vite que seule une façon existe de vaincre la peur : la résistance.

Toute la lumière que ne nous pouvons voir est le récit croisé de ses deux enfants et de leur jeunesse volée. C’est une réflexion sur la condition humaine, le partage, mais surtout sur l’héritage. Lauréat du prix Pulitzer en 2015, ce deuxième roman d’Anthony Doerr est sans aucun doute un chef-d’œuvre de la littérature américaine. C’est une œuvre qui s’impose par l’authenticité de son récit, sa poésie et sa lumière constante qui se faufile entre les bribes d’histoires brisées.

Ouvrez les yeux et voyez ce que vous pouvez avant qu’ils ne se ferment à jamais.

D’emblée, il faut l’avouer, la force du récit est sans contredit les personnages. À commencer par la relation de la jeune Marie-Laure et de son père. On est touché par ses ingénieuses façons d’essayer de rendre sa fille le plus autonome possible. Puisqu’il sait que la guerre approche, il lui crée des maquettes de Paris et de Saint-Malo, les deux villes mères du récit de Marie-Laure. Ainsi, la jeune aveugle peut s’orienter, et continuer à nourrir son imaginaire. Certaines scènes ne sont pas sans rappeler le film de Roberto Benigni, La vita e bella. Ce père qui protège son enfant à tout prix, lui cachant la vérité ou encourageant plutôt son imagination pour embellir la réalité, est un vibrant hommage à la paternité. C’est un portrait juste et nuancé. Même chose quant à l’oncle fou. Cet homme, habité par une phobie sociale et une anxiété dues à la Première Guerre mondiale, s’ouvre tout au long du récit. On y découvre une figure paternelle forte, où l’imagination et l’espoir sont au milieu de ses croyances. Tout aussi passionné par les radios et Jules Verne que sa nièce, un monde nouveau les unira et leur permettra de trouver l’espoir d’un avenir différent. 

Les deux personnages principaux sont des portraits justes de l’enfance. Tous deux curieux bien que très différents, ils évoluent tout au long du roman dans cette guerre qui finira par leur voler leurs jeunes années. Marie-Laure est un petit feu follet qui représente l’espoir et la patience. Werner, lui, est plus froid et distant, mais très attaché aux gens qu’il aime. Il est brillant, vif d’esprit et surtout conscient qu’il n’appartient pas à la guerre. Si elle vit dans un monde plus riche, lui est orphelin et n’a pas de maison. Adopté par les jeunesses hitlériennes, il comprendra vite l’étendue de la violence du camp allemand.

Bien que l’œuvre de 600 pages tourne autour de cette rencontre entre les deux jeunes gens, le chapitre dédié à cet évènement n’est que de quelques pages. C’est une rencontre spontanée et marquante qui donnera à chacun l’espoir que la guerre arrive à sa fin. Si ces personnages sont allumés par ce désir commun et cette soif de connaissance dès les premières lignes du livre, il faut s’attendre à être bouleversé par leur rencontre. Car si on cherche trop longtemps le lien entre ces deux personnages, il est pourtant sous nos yeux tout au long des 600 pages. Et c’est ce qui en fait la beauté.


À la rencontre de l’inattendu 


Magnifiquement bien écrit, le livre offre une certaine candeur qui jamais ne nous a semblé aussi sincère. La poésie d’Anthony Doerr n’a pas d’égale. Les actions, les sentiments et les lieux sont si bien décrits qu’on arrive presque à sentir l’odeur de la baie de Saint-Malo.

La mer n’est que le véhicule d’une surnaturelle et prodigieuse existence; elle n’est que mouvement et amour, c’est l’infini vivant.

Bien que roman historique, l’auteur décide d’ajouter de la matière à l’œuvre en offrant une intrigue inattendue. Car il ne s’agit pas seulement de se mettre à l’abri, il s’agit aussi de préserver les plus grands trésors du monde avant qu’ils ne tombent dans les mains des Allemands. Ainsi, on assiste à une chasse tout au long de l’œuvre pour retrouver ce bien précieux, qui évidemment, réunira nos deux personnages principaux.

Malgré le fait que l’œuvre se concentre sur les années 1940 à 1945, une petite partie est tout de même préservée à la fin du livre pour suivre l’évolution des personnages qui ont marqué le roman. Même chose quant aux lieux. Bien que 80 % de la ville de Saint-Malo ait été détruite, l’auteur prend le temps de recoller les morceaux et de situer chaque petit détail. Le rapport à la mer est d’ailleurs au cœur de ses écrits. C’est souvent grâce à elle que l’auteur nous oriente.

Ce dont je désire te parler aujourd’hui, c’est la mer.
 Elle a tant de couleurs.
 Argent à l’aube, verte à midi, bleu foncé le soir. 
Parfois, elle est presque rouge, ou bien elle prend la nuance de vieilles pièces de monnaie.
 En ce moment, les nuages passent au-dessus d’elle, et des carrés de lumière se posent un peu partout. Des ribambelles de mouettes y font comme des colliers de perles.
 Elle semble assez vaste pour contenir tout ce que l’être humain ne pourra jamais ressentir.



Toute la lumière que nous ne pouvons voir est une œuvre marquante des dernières années qui nous permet de regarder dans notre passé et d’y voir certaines choses qui nous ont échappé. C’est un roman lumineux, qui porte l’espoir et qui rend hommage à tous ces gens qui se sont battus pour leur liberté. C’est une ode à la résistance et à l’imagination. Comme quoi une partie de notre enfance doit toujours sommeiller en nous, car elle est bien souvent la voix de la raison.

J’ai beaucoup pleuré à la fin de cette lecture. Pas de tristesse, mais par les mots employés par l’auteur pour décrire une période si sombre avec autant d’espoir et de luminosité. Bien que cette guerre ne soit pas mienne, ni vôtre, elle nous unit et nous interpelle encore 70 ans plus tard. Jamais je n’ai eu autant l’impression de porter les yeux de quelqu’un d’autre, et pourtant les écrits de Doerr ne sont pour la plupart que le fruit de l’imagination. Ce genre de lecture vous repositionne en tant que lecteur, mais aussi en tant qu’humain. Comment ne pas replonger dans les erreurs du passé? Comment devenir et rester bon? Je n’ai toujours pas les réponses à ces questions, mais une chose est sûre, cette lecture a fait son devoir : elle m’a chamboulée. J’aurais pu lire de la chick lit, un roman policier ou un autre John Green pour avoir une valeur sûre. Mais j’ai plutôt choisi ce roman, et j’ai la certitude d’avoir trouvé ma lecture de vacances parfaite.

Et vous? Quels livres vous ont chamboulés?

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par

Amoureuse de la littérature depuis qu'elle est haute comme trois pommes, Marie-Laurence se décrit comme une grande passionnée des mots et de leurs impacts sur la société. Comédienne à temps plein, cinéphile et musicienne à temps partiel, elle ne sort jamais de chez elle sans être accompagnée d'un livre. Elle est chroniqueuse au sein de l'équipe des Herbes folles, l'émission littéraire de CISM 89,3 FM. Elle partage sa vie entre son ardent désir d'écrire, son amour pour le jeu, ses combats constants pour ne pas repartir en voyage, le monde brassicole, la politique (parfois elle s'emporte même), George Gershwin et le café, beaucoup de café.

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