Dimanche, le 20 novembre.
Pour la seconde fois ce week-end, on se retrouve au Café Les oubliettes, après un arrêt au Salon du livre de Montréal. C’est la faim dans les talons qu’on arrive, en avance, au café, pour casser la croûte en attendant les participantes.
Pour cette troisième session, nous avions deux livres à l’étude, deux romans d’Annie Ernaux ; La femme gelée et L’événement.
C’était, pour certaines, un premier contact avec l’auteure.
Alors, avez-vous aimé? Qu’en avez-vous pensé?
C’est assez unanime, Ernaux a plu à toutes. Nous avions suggéré de commencer les lectures avec l’ouvrage qui fut publié en premier, soit La femme gelée, et ensuite lire L’événement, pour ainsi comparer l’évolution dans l’écriture de l’auteure, mais…
Peut-on comparer les deux œuvres?
Comparer deux œuvres d’une auteure, nous ne sommes pas les premières à le faire. Pourtant, ce n’est pas véritablement ce qui nous intéresse, finalement. Nous en venons à la conclusion que, outre les questions de forme, les deux livres ne se comparent pas.
« Non, il y a trop de différences dans les émotions ressenties », dit l’une des participantes.
Alors que L’événement est plus personnel et intime, La femme gelée semble être celui des deux ouvrages qui touche le plus les participantes. Les émotions y sont plus complexes, le ressentiment est palpable et nous porte plus au questionnement.
La femme gelée, encore d’actualité?
Pour toutes, ce récit écrit en 1981 est encore d’actualité. Bien sûr, certaines choses ont changé, mais les questions de la charge mentale et émotionnelle, le sentiment de fond qu’apportent les obligations et le conditionnement social, sont encore des thématiques actuelles.
Plusieurs participantes ont d’ailleurs ressenti elles-mêmes le sentiment dont fait part Ernaux dans La femme gelée. S’en est suivie une longue discussion plus personnelle sur nos propres relations, sur nos conditionnements, nos vécus. Avec un roman tel que celui-ci, c’est évident que ce type de discussions, enrichissantes compte tenu des différents âges et vécus de chacune, allait prendre une grande place durant notre rencontre.
« Elle ne choisit pas sa vie, elle la subit », dit l’une des participantes. Nous sommes toutes étonnées de voir comment, malgré son enfance atypique, la femme se retrouve tout de même «gelée» dans sa condition de femme et de mère. Elle subit, croyant suivre le chemin de vie qu’il faut suivre et se rendant rapidement compte qu’elle n’y trouve que très peu de satisfaction.
Les écrits d’Ernaux, autofiction sociologique
Côté écriture, on note que L’événement est beaucoup plus concis; on part d’un point A à un point B de manière plutôt linéaire, sans pour autant perdre le ton et le style d’Ernaux. Dans La femme gelée, on sent qu’il y a moins d’aboutissement, davantage de détours; les phrases sont plus longues, le rythme est plus essoufflant. Peut-être que cet aspect contribue à cet effet de ressentiment qui émane de nos lectures.
Ernaux cherche toujours à être le plus juste possible et ça, on le ressent dans son écriture et dans ses propos. Elle parle d’elle pour parler du monde. Elle passe par l’intime pour aller au collectif. C’est, comme Martine l’indique, une écriture blanche. Ernaux elle-même utilise ce qualificatif dans son essai L’écriture comme un couteau.
Justement, les notes sur l’écriture que l’auteure se fait à elle-même dans ses écrits est un élément qui a plu aux participantes. C’est un ajout intéressant, quelque chose qui joue dans cette idée de reconstruction du souvenir, qui est au cœur des écrits d’Ernaux.
Finalement, on peut dire que ce passage de l’intime au collectif a bien fonctionné avec nous. Grâce à ces deux romans, nous nous sommes questionnées sur nos propres vies, nos conditionnements, nos relations. C’est justement pour ce type de discussions enrichissantes et variées que nous avons voulu créer un club de lecture féministe, et je crois qu’on peut se le dire : mission accomplie.