L’hiver, temps qui s’allonge
L’hiver est officiellement installé depuis le 21 décembre. Une nouvelle année débute. Dans mon coin du pays, presque chaque matin, au réveil, après le museau de mon chat, je vois tomber la neige sur Percé. Ailleurs, ce sont les grands froids qui perdurent.
Depuis quelques années, je m’associe à la saison hivernale. Le paysage blanc, immaculé et pur, qui se renouvelle chaque jour, me touche et me rejoint dans ma personnalité. J’ai besoin d’un silence nouveau pour apprendre à me recomposer. J’ai l’impression que le temps prend son temps et qu’il me laisse le saisir, le regarder et l’habiter. J’aime sortir dehors et marcher entre les arbres ou sous la lune brillante et vive en pleine nuit. Je sens le vent pousser mon corps et le froid pointer mes joues. J’habite le paysage, je suis entourée et traversée par lui. Enfin.
Avec l’hiver, de nouvelles lectures
Avec l’hiver, de nouveaux projets, de nouvelles lectures et de belles découvertes. Même si je lis des bandes dessinées depuis quelques années, les romans graphiques, c’est quelque chose de tout à fait neuf dans ma vie. Je sens que quelque chose germe et s’ouvre en moi. Tout comme le début de mon histoire d’amour pour le genre littéraire de la poésie, qui poursuit son chemin en moi, me voilà saisie d’un besoin de consommer des romans graphiques et même de m’y mettre moi aussi.
Je retrouve dans les romans graphiques un grand nombre de trucs que j’aime profondément ou qui font partie de ma manière de vivre et de survivre depuis l’enfance :
– le besoin d’illustrer le quotidien pour le marquer
– la manière de remplir les silences de l’écriture par des images (et vice versa)
– le mariage de l’écriture et du visuel
– le journal intime, parfois très intime, et la nécessité de partager avec autrui parce que c’est totalement humain de le faire
– une sorte de bilan de la vie, de recherche, de compréhension de certaines choses et surtout, surtout de questionnements sur l’existence
Les romans graphiques, un nouvel amour est né
Ils semblent parler aux parties frêles de nos âmes. Ces espaces qui frissonnent sans cesse au-delà des vertiges superficiels de la vie quotidienne. Mais cette manière d’être frêle, ces frissons ne disent, en fait, que la fragilité, la sensibilité, la grandeur et la richesse de notre monde intérieur sont notre plus beau trésor.
Je trouve dans cette forme de langage, alliant arts visuels et littérature, récits et traces de journaux intimes, une intimité du silence en suspens, cette impression que le temps s’arrête pour mieux se recomposer, pour que je le sente, comme l’hiver, me passer à travers.
Les arts visuels, le journal intime, la littérature, cette forme de poésie du quotidien, cette singularité dans le trait de chacune des illustratrices et dans les mots sont justes, ils questionnent et nous transcendent.
Moi aussi je voulais l’emporter par Julie Delporte, un coup de cœur nécessaire
L’automne dernier, une amie, que j’aime beaucoup pour sa sensibilité et sa présence humaine sincère, m’a montré le nouveau livre-objet qu’elle venait d’acquérir. Il s’agissait de Moi aussi je voulais l’emporter de Julie Delporte. J’ai tout de suite été curieuse par le travail, d’abord visuel, de l’artiste. La liberté dont Julie Delporte a fait usage dans la présentation de ses images me fascine. Je ne connaissais encore rien de cette artiste. Peu de temps après, je suis tombée sur le livre à la librairie et je me le suis offert. Je ne savais pas ce jour-là que je me faisais un aussi beau cadeau!
Je l’ai lu une première fois, avec la tête préoccupée. Puis une deuxième fois dans une nécessité de fuite, et une troisième fois. Même si j’ai grandement aimé mes deux premières lectures, c’est la troisième que j’ai trouvé la plus marquante. C’est incroyable à quel point j’avais besoin de ce livre dans ma vie.
Il est si difficile de tracer les lignes de son identité, en fait c’est presque impossible puisque nous, comme le monde dans lequel nous évoluons, sommes en constant changement. Mais, se retrouver chez quelqu’un d’autre aide beaucoup, sentir cet effet de communauté par le fait de ne plus être seule. Julie Delporte ouvre les portes de son univers intime, de ses questionnements en tant que femme et de sa sensibilité. Comme je sais que force et fragilité s’allient pour nous permettre d’être toujours plus près de notre intégrité, j’ai été extrêmement touchée! Dans Moi aussi je voulais l’emporter, il y a une multitude de silences nécessaires, qui semblent tomber sur moi comme les flocons de neige légers, je les sens sur ma peau, je les vois et je les laisse m’habiter même s’ils ont fondu depuis longtemps.
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C’est aussi ce que j’ai ressenti en traversant les ouvrages de Mélodie Vachon-Boucher, Le meilleur a été découvert loin d’ici et Le dernier mot de Caroline Roy-Element et Mathilde Cinq-Mars.
Il y a, dans ces deux ouvrages, cette capacité de saisir le temps, de le sentir ralentir. Personne n’a le pouvoir de réellement ralentir le temps et même s’il est vécu différemment par chacun, il y a des manières, on dirait, de sentir son passage dans son corps et dans sa vie. Comme s’il s’effectuait un léger, mais aussi grandiose changement le temps de la lecture.
Le meilleur a été découvert loin d’ici par Mélodie Vachon-Boucher, un voyage en noir et blanc
Le meilleur a été découvert loin d’ici, nous amène aussi sur les traces d’un voyage identitaire, celui de l’artiste. La complexité des rapports à l’amour, à la famille, à la spiritualité, à l’art et à l’autre est mise de l’avant. Dans la force des traits de crayons de Mélodie Vachon-Boucher et dans l’absence de couleurs, on sent qu’il y a parfois une nécessité de retourner dans le passé, d’aller creuser en soi pour se relever et continuer; le besoin de s’isoler, d’aller se confronter ailleurs, cette nécessité de se rejoindre quelque part.
Ouvrage d’une grande intimité et d’une douceur parfois déchirante.
Le dernier mot par Caroline Roy-Element et Mathilde Cinq-Mars, la beauté du langage
La famille est au cœur du roman graphique Le dernier mot de l’auteure Caroline Roy-Element et de l’illustratrice Mathilde Cinq-Mars; la famille, oui, mais encore plus, et une fois de plus, l’identité et ce besoin d’appartenance. La narratrice nous confie un moment marquant de sa vie, l’instant où elle et toute sa famille (parents, oncles, tantes, cousins et cousines) se rendent compte que le pilier, le grand-père, est analphabète. Toute leur réalité en est alors ébranlée. Pour tous ces gens, le temps semble s’arrêter et ils rebroussent le chemin de leurs souvenirs. Dans un univers marqué par le rêve, la poésie, la création et l’amour, nous sommes amenés à avoir une vision différente du langage.
La poésie comme mixte des langages
Pour moi, le roman graphique renferme une forme de poésie très puissante en alliant mots, images et espace, beaucoup d’espace, pour laisser le temps à la respiration de prendre son propre rythme. C’est un langage nouveau et personnel qui trouve en même temps une résonance universelle. Tout n’a pas à être nommé, mais tout se ressent et se retranscrit dans les souvenirs des lecteurs et des lectrices.
– Moi aussi, je voulais l’emporter, par Julie Delporteé, Éditions Pow Pow
– Article de Martine Latendresse Charron sur le blogue : https://chezlefilrouge.co/2018/01/09/survivre-a-novembre-grace-a-moi-aussi-je-voulais-lemporter/
– Rencontre avec l’artiste, ici : https://editionspowpow.com/2017/10/25/rencontre-avec-julie-delporte/
– Le meilleur a été découvert loin d’ici, Mélodie Vachon-Boucher, Mécanique Générale
– Le dernier mot, écrit par Caroline Roy-Element et illustré par Mathilde Cinq-Mars, Mécanique Générale
Êtes-vous aussi amoureux fous ou amoureuses folles de romans graphiques? Quels sont donc vos coups de cœur? Je suis bien curieuse d’en lire davantage. 😉
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