Littérature québécoise
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L’hiver au quotidien chez Réjean Ducharme

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Tout ce qui m’effraie me fait grandir

On me répète souvent que je dois à tout prix lire les écrits de l’auteur québécois Réjean Ducharme, qui malgré l’absence physique dans les médias du temps de sa vie, n’a plus besoin de présentation. Alors je traîne avec moi mes exemplaires de L’hiver de force et de l’indomptable roman L’avalée des avalés. Ils me suivent de lieu en lieu, de ville en ville, dans tous mes déplacements nomades et dans toutes mes résidences temporaires. Il m’arrive d’ouvrir L’avalée des avalés et de lire les premières pages, puis de le refermer, prise d’un vertige aux horizons multiples. Je ne sais pas encore comment respirer les mots de Ducharme. Je plonge, mais je n’y trouve plus l’air que j’ai l’habitude de respirer. Je cherche à entendre sa voix et à l’unir à la mienne. Sa voix, ses émotions, sa respiration. Ce que je ne comprends pas m’attire et m’effraie, tout à la fois.

Avec le temps, je comprends que tout ce qui m’effraie me fait grandir. Je sais d’instinct que les choses arrivent au moment où elles doivent arriver (du moins c’est une forme de croyance que je choisis).

J’ai tendance à donner libre cours à mes émotions et à laisser mes passions soudaines exploser et éclabousser tout mon monde pour trouver l’oxygène nécessaire à la suite de ma survie. C’est souvent parce que mon côté rationnel sait qu’il perdra rapidement sa place qu’il me laisse savourer les vertiges. De ces vertiges, je conserve longuement les saveurs diluviennes.

2018 s’est amené comme un tremplin énergétique et je me suis dit: ça y est, je me lance, je vais ouvrir, lire en entier et refermer mes romans de Réjean Ducharme. Pour me donner une chance, j’ai choisi de débuter par L’hiver de force, qui me semble plus accessible.

Je me suis fait couler un bain avec des huiles essentielles et des bulles et j’ai ouvert le roman pour débuter sa lecture avec une voix en résonance partout dans l’espace de la salle de bain de cette mini maison perchée sur la montagne.

Rencontre avec un monde à contre-courant

C’est la première fois que je vais LÀ. Me voilà face à un monde, tout un monde, campé à même le nôtre, le monde de l’underground, des tassés, des bibittes. Le monde à contre-courant.

Nicole et André, deux personnages qui sont en fait une sorte d’hybride pour n’en composer qu’un seul, avec deux têtes, deux cœurs, mais un seul et même mouvement. Ils vivent à même le quotidien pour l’y dévorer dans ses moindres détails les aspects laissés pour compte, ils sont hyperconscients de tout, au point de s’en faire leur propre idée. L’être hybride décide de s’offrir corps et âme à une tierce personne, une actrice de cinéma, Petit Pois (Catherine). S’il faut, dans la vie, choisir de vénérer quelqu’un ou quelque chose ce sera pour eux cette femme quasi inaccessible. Ils sont prêts pour elle à souffrir, à tout donner, à tout vivre. Si elle les aime, ils sont au paradis, quand elle les ignore, ils meurent et s’enfoncent dans la dépression.

«Là, on est heureux (le bonheur c’est le temps que dure la surprise d’avoir cessé d’avoir mal.) »

Il y a, dans l’écriture de Réjean Ducharme, l’aspect spectaculaire que peut prendre le quotidien si on le regarde sous un nouvel angle. Un grand hurlement identitaire contre ce qui est de mise. Où se trouve le sens dans tout ce non-sens qui parfois nous assommes et nous tire vers le bas ? À quoi s’offrir, pour qui souffrir, pourquoi se battre, comment se définir, qu’est-ce qui réellement a de l’importance, une durée, est une nécessité, une obligation ?

Comment parler de l’écriture de Ducharme sans tomber dans le discours qui vient tout dissoudre du souffle volcanique de l’auteur ? Comment parler avec synthèse et rationalité de L’hiver de force ?

Avec cet ouvrage, j’ai ressenti et vécu quelque chose qui m’est rarement offert lorsque je vais à la rencontre de l’art.

La poésie du quotidien

Je souligne la force de la voix de Ducharme. Un grand constat de la vie sociale contemporaine (avant l’ère virtuelle) et un besoin de dépossession pour enfin s’appartenir. Occuper un lieu. Sortir dans la rue. Faire la révolution. Aimer éperdument. Ressentir très fort les choses.

«Car nous voulons absolument nous posséder nous-mêmes tout seuls, garder ce que nous avons (qui est si fugace qu’il est parti ou qu’il a changé aussitôt que nous croyons l’avoir trouvé, vu, nommé), dont le plus apparent est justement notre haine pour tout ce qui veut nous faire vouloir comme des dépossédés.»

Ducharme, c’est la poésie. Une étincelle qui vient tout illuminer. C’est un grand vent qui déplace tout, pour tout replacer dans un chaos délicieux.

«Mais on a compris que les choses dépendent de notre volonté, qu’elles existent parce qu’on le veut bien, parce qu’on choisit à chaque seconde de ne pas les détruire. Elles existent si peu qu’on peut dire que rien n’existe.»

Point noir

Un seul point vient noircir le tableau presque parfait que je réalise de L’hiver de force. Vers la fin de l’ouvrage, André est violent envers Nicole. Elle retourne immédiatement vers lui, en lui pardonnant. Je ne parviens pas à m’expliquer l’évènement. Peut-être que ça résonne plus fort dans ma tête parce qu’on entend parler de plus en plus d’abus et de violences en tout genre. Mais, j’émets l’opinion que ce n’est peut-être pas nécessaire dans la compréhension de cette histoire. Je comprends la dureté qu’amènent certains des choix de vie des personnages, la ligne sur laquelle ils se tiennent pour ne pas sombrer dans le désespoir, mais ne forment-ils pas une équipe, un couple vivant parmi tous les aléas de la mort? Est-ce un test qu’André fait passer à Nicole ? Est-ce pour lui offrir une réalité physique ou pour affirmer leur personnalité singulière qu’il agit ainsi ? Je ne sais pas. Je reste néanmoins sensible par l’évènement survenu dans l’histoire.

«Je la frappais à tour de bras. Je la frappais, si fort que le sang giclait. Son nez saignait, sa bouche. Quand j’ai vu son chandail plein de sang, j’ai été saisi. Nicole si douce ! Nicole si correcte. […] J’ai eu si peur de perdre ma Nicole que ça m’a comme dégrisé. Quand elle m’a pardonné, qu’elle m’a dit qu’elle ne m’en voulait pas, qu’elle ne pourrait jamais m’en vouloir de rien, je me suis abandonné au silence profond du soulagement, à la bonne chaleur que ça répandait dans tout mon corps.»

Je reste consciente qu’il est difficile, même pour les personnages d’André, Nicole, Petit Pois et tous les autres, de vivre avec force et liberté. N’empêche qu’il est bon d’y goûter par empathie durant la lecture des mots de l’auteur-enfant-fantôme.

L’effet Ducharme

Ce qui s’est passé avec cette lecture : on a corrigé mes yeux à l’aide d’une machine ultra puissante. Avant de lire ce roman, je voyais, mais le monde devant moi restait flou, aujourd’hui, après avoir refermé le livre, je perçois tout avec mes yeux à rayons X. Ma vision va maintenant au-delà de l’objet et de l’image. L’existence même est bouleversée pour donner lieu à une grande mise à jour.

Je sais, je suis intense, mais n’est-ce pas exactement de cette intensité à vivre dont il est question dans l’œuvre de Ducharme ? N’est-ce pas ce que l’auteur veut faire naître chez le lecteur de son texte, ce degré incontrôlable de ressourcement à même la vie ?

J’ai refermé L’hiver de force, après l’avoir dévoré en deux jours. Puis j’ai ouvert L’avalée des avalés et je ne me suis pas rendu très loin dans ma lecture. Le rendez-vous n’aura pas lieu une fois de plus. Chaque chose en son temps ! Et le temps viendra où j’y ferais face.

L’auteur

«Réjean Ducharme, né en 1941 à Saint-Félix-de-Valois (Québec), a fait les métiers les plus divers et a voyagé aux États-Unis et au Mexique. Il a publié six romans, fait jouer quatre pièces, a écrit des scénarios de films et des chansons.»

 

Quelle est ton expérience vis-à-vis l’œuvre de Ducharme ?

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DUCHARME, Réjean, L’hiver de force, Gallimard, Folio, 1997.

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