Rares sont les livres qui font l’unanimité. J’ai pourtant l’impression que celui-ci fait partie de cette catégorie, la catégorie des livres qui marquent chaque et unique lectrice et lecteur qui a le bonheur et le privilège de se faire raconter cette histoire. Par l’universalité qui transcende l’oeuvre et qui la fait briller, un peu plus fort, dans les bibliothèques et les cœurs, je crois que ce roman, N’essuie jamais de larmes sans gant, sera dans le top 5 de mes lectures marquantes de 2018.
Gagnant du prix des libraires du Québec (et d’une tonne d’autres prix aussi!), c’est chez Alto qu’il a été publié au Québec. Cette lecture m’aura fascinée du début à la fin et m’aura donné envie de ralentir le temps, de rester encore un peu plus longtemps dans ce récit qui pourtant n’est pas court. C’est plus de 800 pages que nous offre l’auteur avec ce roman et sincèrement, j’en aurai pris plus. Je me suis tellement attachée aux personnages que j’ai refermé cette brique le coeur pilé et les yeux humides.
« Je veux dans ma vie pouvoir aimer quelqu’un qui m’aime »
Avant tout, ce roman est une grande histoire d’amitié et d’amour. On y suit un groupe d’amis à Stockholm en Suède – rassemblé par le mirifique et plus que charmant Reine – au fil des (trop) courtes années de leur amitié. Or, c’est aux personnages de Benjamin et Rasmus que l’histoire s’attarde davantage. On y raconte leur rencontre amoureuse, un coup de foudre inattendu entre ces deux hommes que tout opposait.
Benjamin est un témoin de Jéhovah qui ne veut qu’aimer quelqu’un qui l’aimera en retour. J’ai beaucoup apprécié en apprendre davantage sur le monde de vie des témoins de Jéhovah pendant l’enfance et sur les cours qu’ils suivent pour apprendre à aller rencontrer les gens. C’était nouveau pour moi de lire un roman avec un personnage témoin de Jéhovah et je dois dire que j’ai appris de nombreuses choses à ce sujet.
Rasmus, quant à lui, quitte son petit village et se rend à Stockholm, endroit où il se permet réellement d’être lui-même. Élevé dans une famille aimante et traditionnelle, Rasmus ressent rapidement le désir de s’éloigner de sa petite vie de famille tranquille pour aller à la rencontre de celui qu’il est réellement.
C’est lors d’une soirée chez Reine que les deux garçons se rencontrent. Ils ne se quitteront plus, et ce, jusqu’à ce que la mort les sépare. Le soir de leur rencontre, ils partent, sous la neige, se perdre dans Stockholm, ensemble. C’était une douce scène qui m’a touchée par sa finesse et sa sensibilité.
Et c’est le sida – «le cancer des gais», comme on le nommait à l’époque – qui vient tout détruire chez ce groupe d’amis, chez ce couple d’amoureux et dans des sociétés entières. C’est aux balbutiements de cette maladie que se plonge le roman, à l’époque où on n’en savait rien, où on en mourrait en l’espace de quelques mois et à l’époque où certains médecins refusaient de traiter les patients atteints. J’ai donc appris de nombreuses choses concernant le sida, des choses révoltantes qui m’ont chavirée et m’ont fait prendre conscience de la résilience de ces hommes vivant l’horreur.
Toutefois, il y a de la beauté dans ce roman et ce ce qui en ressort, à mon sens, c’est la force des relations. La grandiose force des amitiés et de l’amour. Mais, cela n’éloigne et n’enlève pas la grande haine, la violence et la tristesse qui traversent ce roman.
Révoltant, enrageant, voilà les mots qui me viennent à l’esprit en écrivant ces lignes. Il est impossible de lire ce livre sans en être changé. L’auteur a réalisé un travail exceptionnel en réussissant à nous informer et nous éduquer par rapport au sida, aux témoins de Jéhovah, à la discrimination vécue par les homosexuel.les en Suède dans les années 70 et 80, etc.
Ces familles qu’on se choisit
On sait d’emblée que la mort se fracassera dans la vie des personnages. La force du roman est de nous donner envie de voir évoluer les personnages – principalement Benjamin et Rasmus qui auront tous deux des relations conflictuelles avec leurs familles – et ce, même si on sait rapidement que la mort les divisera. Du côté de Rasmus, ses parents qui l’aiment énormément essaieront d’accepter l’homosexualité de leur fils, sa maladie et son amoureux. Il y a quelque chose de touchant dans cette relation et en même temps, quelque chose de tellement révoltant. Pourquoi tant de peur et de haine entremêlées à tant d’amour ? Et pour Benjamin, ses parents, eux aussi témoins de Jéhovah, prendront la décision d’abandonner leur fils, et ce, même si celui-ci continue à leur écrire. Comme c’était difficile de constater la douleur que vivaient ces hommes à cause de la maladie oui, mais aussi de l’homophobie dans la société. Benjamin qui, après son coming-out, n’aura plus de contact avec sa famille est un bon exemple de cette homophobie ambiante qui était bien présente dans la Suède des années 70 et 80.
Il y a toutefois une nouvelle famille qui se crée autour de ce groupe d’amis: eux. Ils deviennent la famille qu’ils n’ont pas ou plus. La famille qui les laisse être ceux qu’ils sont librement et simplement. Cette famille qu’on se choisit et qui nous permet de s’épanouir. Il y avait tellement d’humour et d’amour entremêlés à ce groupe d’amis vivant dans la douleur et la violence et c’est ce qui m’a fait tomber sous le charme de ce groupe qu’on sait bien condamné à exploser. Les dernières pages du roman en sont d’ailleurs l’exemple parfait de cette famille soudée remplie d’amour qui transcende la mort.
Bref, j’ose espérer que vous ressentez dans mes mots l’affection que je porte à ces personnages et à ce roman. Fresque sociologique et puissant roman présentant des personnages que je ne peux oublier et que je ne veux pas abandonner, je vous encourage à offrir votre temps à cette belle brique qui en vaut fortement la peine.
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Le fil rouge tient à remercier les Éditions Alto pour le service de presse.
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