J’ai découvert Ariane Gélinas à tout hasard, en tombant sur son roman Transtaïga sur les tablettes d’une librairie. Je venais tout juste de terminer ce livre lorsque j’ai visité la Côte-Nord pour la première fois. Je me rappelle très bien avoir contemplé la route, les forêts et les tourbières avec un regard différent. Comme si les images du livre se superposaient à la réalité. Quelle sensation étrange et libératrice. Et maintenant que je lis Quelques battements d’ailes avant la nuit, je me remémore à quel point j’ai souhaité tout laisser derrière pour m’établir sur la Côte-Nord, à l’instar de Séverine, le personnage principal de l’histoire.
On tombe rapidement en amour avec cette façon dont Ariane Gélinas nous fait découvrir l’arrière-pays québécois. Elle possède un don pour concevoir des ambiances à la fois fantastiques et inquiétantes. Elle dépeint la beauté d’un endroit tout en y insérant une touche obscure, créant parfois un certain malaise. Les lieux sont toujours des éléments importants dans ses histoires. Ils peuvent même prendre vie, être habités d’une volonté, comme c’était le cas dans son roman Escalana. On peut dire qu’elle écrit des romans du terroir, mais d’un genre nouveau, qui lui est propre.
Mystères de la fosse du Labrador
Quelques battements d’ailes avant la nuit est un thriller avec une touche de fantastique. Ce roman s’adresse à un public mature en quête d’intrigues dans les vastes espaces du Nord. On y suit Séverine, une éternelle nomade, qui décide de s’établir pour de bon dans la ville minière de Fermont. D’emblée, elle sait qu’elle va se plaire dans ces grands espaces qui lui offrent maintes possibilités d’aventures et d’excursions. Mais le meurtre récent d’une femme ainsi que la disparition d’une autre la rendent anxieuse. Accablée par des visons morbides, Séverine va tenter d’en découvrir plus sur les circonstances entourant ces événements.
Dès les premières pages, je constate une évolution dans le style d’Ariane. Un ton plus léger et des phrases plus précises qu’à l’habitude. Bien que ça m’ait surprise, je ne déteste pas du tout ce changement. Une autre nouveauté pour moi : c’est la première fois que je m’attache à ses personnages. Leur personnalité est développée de façon à les rendre humains, réels. Ils ont tous leurs petites manies, leur histoire et leurs secrets. Ces détails permettent de mieux comprendre leurs motivations.
Tout au long du roman, ce sont le mystère et la suggestion qui sont prédominants. Sans jamais nous donner trop d’indices, l’atmosphère sombre laisse présager un événement grave. Pour ceux qui s’attendent à une histoire fantastique et surnaturelle, vous ne serez pas laissé en reste avec une fin grandiose et énigmatique qui laisse place à l’interprétation. Une finale lovecraftienne qui plaira certainement aux amateurs de littérature de l’étrange.
Trouble du nomadisme
J’ai apprécié les différents contrastes abordés dans ce livre. Celui qui oppose le nomadisme à la sédentarité m’a particulièrement accrochée. Séverine ne peut jamais rester longtemps au même endroit. Ses pieds doivent toujours fouler un sol qu’ils ne connaissent pas. Dès qu’elle commence à s’habituer, à créer des liens, elle se sauve. Après plusieurs années d’errance, elle ressent le besoin de se bâtir un chez-soi, d’entretenir des relations solides. Elle choisit la ville de Fermont pour s’établir, une ville où plusieurs habitants ne font que passer.
Comme le personnage principal, j’ai souvent souhaité m’enfuir, laisser derrière moi les problèmes et les responsabilités. M’émerveiller devant de nouveaux paysages chaque jour. Par contre, comme Séverine nous l’apprend, le courage, ce n’est pas que de partir. Le courage peut aussi être de rester, d’affronter le quotidien, la routine, l’angoisse. Le nomadisme est une thématique importante dans ce récit et amorce une réflexion intéressante à ce sujet.
« Solennelle, elle posa ses pieds sur l’asphalte avec le contentement d’y apposer sa marque. Elle pourrait dire qu’elle avait foulé, une fois dans sa vie, exactement cet endroit. Comme tant d’emplacements auparavant. Chacune de ses enjambées la portait jusqu’à un espace précis et inédit, scellait un pacte entre elle et cette zone qu’elle s’appropriait, territoire vierge qui pulsait sous ses semelles. »
— Quelques battements d’ailes avant la nuit, p.19
C’est toujours un plaisir de voyager dans notre arrière-pays en compagnie des mots d’Ariane Gélinas. J’adore voir son écriture évoluer, nous présenter de nouvelles émotions. Sa voix unique transforme des endroits québécois en univers mystérieux. Une agréable façon de voir notre belle province autrement.
Et vous? Quels romans vous ont permis de redécouvrir votre pays d’un regard différent?
Pour en connaître plus sur cette écrivaine, je vous invite à consulter les articles de Kim DL sur le recueil Les murmurantes et de Raphaëlle B. Adam sur le recueil Le sabbat des éphémères.