Chronique d’une mort annoncée, de Gabriel García Márquez, est une œuvre beaucoup moins imposante et chargée que L’amour au temps du choléra, que j’ai lu sensiblement à la même période, l’année dernière. Cependant, j’ai retrouvé à l’intérieur de ce court roman de 133 pages tout ce qui caractérise l’auteur colombien.
Pas de suspense
La première phrase du livre l’énonce d’emblée: Santiago Nasar va mourir. Même le titre évoque directement sa mort. L’histoire n’est donc pas une montée du suspense jusqu’au moment où on découvre si le principal intéressé survivra, mais plutôt une reconstitution des moments ayant précédé sa mort, qui était effectivement annoncée.
L’histoire prend place lorsque le narrateur désire comprendre comment Santiago Nasar a pu être assassiné alors que tous savaient que sa mort approchait. Le jour précédant sa mort, le village entier célébrait le mariage du riche Bayardo San Roman et d’Angela Vicario. L’ambiance était à la fête jusqu’à ce que le nouveau marié ramène son épouse chez ses parents en leur reprochant de lui avoir remis une fille ayant perdu sa virginité avant leur union. Lorsqu’elle est questionnée sur le sujet, la jeune fille annonce que le coupable est Santiago Nasar. Il y a donc une question qui amène un peu de suspense: Santiago est-il le réel coupable? Malheureusement, j’ai refermé le livre sans avoir obtenu la réponse.
Ton dérangeant
Le ton utilisé par l’auteur, tout au long du roman, est grinçant. Les événements à venir semblent banalisés tant la mort du jeune homme est prévisible. Tout est un peu tourné à la blague et pris à la légère. C’est un ton qui rend un peu mal à l’aise par moment, car on dirait que l’auteur oublie qu’il parle du meurtre d’un homme potentiellement innocent.
«Les gens qu’il rencontra ce jour-là, lorsqu’il sortit de sa maison à six heures cinq avant qu’il ne fut éventré comme un cochon une heure plus tard, le trouvèrent légèrement somnolent mais de bonne humeur, il dit à chacun, sans y attacher d’importance, que c’était une très belle journée.»
L’ambiance de fête crée aussi une opposition marquée avec le drame qui se prépare. Comme le village entier célèbre encore les noces ayant eu lieu la veille et que tous attendent avec impatience la visite du pape, il semble improbable qu’un meurtre ait lieu lors d’une si belle journée. Le ton utilisé semble donc en réelle contradiction avec les événements racontés.
Annoncée, mais pas évitée
Un autre aspect définitivement bizarre dans ce roman est que la mort de Santiago Nasar a bel et bien été annoncée. Avant de lire le livre, j’avais déjà entendu son nom et je ne croyais pas qu’il était aussi représentatif de la réalité. Les deux frères de la mariée, Pablo et Pedro Vicario, disent littéralement à plusieurs villageois qu’ils partent tuer le jeune homme. Ils trimballent leurs couteaux de boucher dans du papier journal, non pas pour les cacher, mais pour protéger les lames. Après l’annonce officielle de l’objectif des deux frères jumeaux, le bouche-à-oreille débute, mais n’opère pas parfaitement. Le narrateur, dans sa reconstitution des événements, parle à de nombreux villageois. Tous étaient au courant que la fin de Santiago approchait, mais tous prenaient pour acquis qu’il était lui-même au courant, ce qui n’était pas le cas.
Ce meurtre, qui a été annoncé, mais qui n’a pas pu être évité, a ensuite été presque acquitté par l’ensemble du village. Car les frères Vicario n’ont pas réellement tué un homme s’ils l’ont tué pour récupérer l’honneur de leur famille. Ce meurtre était effectivement très symbolique, c’est donc pourquoi il a semblé être rapidement pardonné, malgré l’absence de remords de la part des assassins.
«Pour la plupart des gens, il n’y avait eu qu’une seule victime: Bayardo San Roman [le marié]. On supposait que les autres protagonistes de la tragédie avaient joué avec dignité et même grandeur le rôle privilégié que la vie leur avait réservé. Santiago Nasar avait expié l’outrage, les frères Vicario avaient prouvé leur condition d’hommes bien nés et la sœur abusée était rentré en possession de son honneur.»
L’époque n’est pas vraiment précisée, mais on peut déduire qu’il s’agit d’un passé pas si lointain. Pourtant, toute cette histoire de meurtre symbolique si facilement accepté par l’ensemble de la population est rocambolesque et bien surprenante. Elle rappelle quelque peu le dilemme cornélien, notamment présent dans Le Cid, où retrouver son honneur semble être la seule chose estimable, peu importe le prix.
Par contre, le climat et l’ambiance tropicales ne rappellent pas Le Cid et sortent, en fait, vraiment de l’ordinaire. Même si l’accent n’est pas du tout mis sur la culture, elle transparaît un peu partout à travers le roman, et c’est un aspect qui m’a beaucoup plu. J’ai apprécié cette lecture surtout à cause du lieu où l’action prend place, qui est sûrement fortement inspiré par la Colombie, d’où l’auteur est originaire. Le fait que cet aspect m’ait autant marquée en dit long sur la diversité des romans que je lis, mais probablement aussi sur la diversité des romans publiés en général. La grande majorité se déroulent dans un paysage occidental et, donc, connu, et peu de romans nous font voyager comme ceux de Gabriel García Márquez.
Quels autres auteurs campent leurs histoires dans des pays qui occupent des places peu importantes dans la littérature?
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