Je n’ai pas été surprise et vous non plus, j’en suis certaine. La tradition nothombienne n’allait pas faire exception à la règle; pour une énième fois, l’autrice belge allait être de la rentrée littéraire. Pour l’année 2019, Amélie Nothomb nous offre Soif, l’enfant qu’elle a choisi de ne pas cacher dans un tiroir. Car vous savez que l’écrivaine écrit en moyenne trois romans en 365 jours et qu’elle sélectionne celui qu’elle considère le plus présentable alors qu’elle dissimule à jamais les avortons rejetés. Radicale, la Nothomb? C’est peu dire puisqu’elle a même pris la peine de mentionner dans son testament que ces manuscrits bannis ne doivent jamais être publiés posthume.
Résumé
Les quatrièmes de couverture de Nothomb ne sont jamais bien loquaces. On n’y trouve souvent qu’une seule phrase pour décrire ce qui nous attend entre les habituelles 150 pages du livre. Cette fois-ci: «Pour éprouver la soif il faut être vivant.» L’anticipation peut commencer, car cette courte affirmation ne nous en dévoile pas tellement sur le contenu du roman.
Bref, personne ne nous avait préparés à la réécriture de la passion du Christ. En effet, c’est bien de cela qu’il s’agit. Le récit est repris à partir du moment où Jésus est condamné à la crucifixion par Pilate et se poursuit jusqu’à sa mort. Bien que la plupart connaissent l’histoire de la fin du Messie, Nothomb se réapproprie le tout en y ajoutant sa touche personnelle, amalgame de philosophie et d’humanité.
Le divin comme de vieilles chaussures
Ce n’est pas la première fois que Nothomb s’attaque au divin. Rien de surprenant ici. La dualité qui oppose la divinité et l’humanité est omniprésente dans l’œuvre nothombienne. Dans Soif, elle s’inscrit dans un unique être: Jésus. De cette façon, l’autrice s’amuse, une fois de plus, à jouer à Dieu, autant de manière extradiégétique qu’intradiégétique. Après tout, la fonction d’écrivain implique presque toujours de créer des univers et d’y intervenir, un peu comme le ferait un Dieu, en tirant toutes les ficelles.
La question de la divinité entretient également un rapport étroit avec l’ascèse dans le travail de l’autrice, d’où l’importance de la soif, qui occupe une place cruciale dans le récit réinventé de la mort du Christ. Parce qu’on y met en scène un être à part, un être plus qu’humain, un être qui flirte avec la mort, on parle du fait de s’abreuver comme d’un véritable délice, mais encore, on s’extasie surtout de l’effet de la soif, qu’on néglige bien trop souvent au goût du Jésus nothombien:
«Personne n’apprend à différer le moment d’étancher sa soif. Quand celle-ci surgit, on l’invoque comme l’urgence indiscutable. On interrompt son activité quelle qu’elle soit, on cherche de quoi boire.
Je ne critique pas, boire est si délicieux. Je regrette néanmoins que nul n’explore l’infini de la soif, la pureté de cet élan, l’âpre noblesse qui est la nôtre à l’instant où nous l’éprouvons.
[…]
Faites l’expérience. Quelle que soit votre préoccupation physique ou mentale, couplez-la avec une vraie soif. Votre quête s’en trouvera aiguisée, précisée, magnifiée. Je ne demande pas de ne jamais boire, je suggère d’attendre un peu. Il y a tant à découvrir dans la soif.» (p. 116-117)
Somme toute, ce n’est pas le meilleur de Nothomb. Je dois vous avouer que les derniers bébés de l’autrice ne font pas partie de mes préférés. Peut-être que l’audace dont elle faisait preuve durant ses premières années ne me marque plus autant après 27 romans et une pièce de théâtre. Une chose est certaine, ce petit dernier ne laissera personne indifférent. Amélie Nothomb excelle dans l’art de provoquer, et l’on entend déjà les catholiques pratiquants de ce monde s’insurger devant le récit d’un Jésus amoureux, d’un Jésus imparfait, d’un Jésus écrit par une femme. En ce sens, l’écrivaine peut déjà affirmer: «Mission accomplie!».
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crédit photo : Michaël Corbeil
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