Littérature québécoise
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Deux auteures, deux visages de la Gaspésie – Partie I

La fille de Coin-du-banc

À travers deux entrevues réalisées via la magie de l’Internet, je vous propose deux portraits d’écrivaines d’origine gaspésienne, Marie-Ève Trudel Vibert, auteure du roman La fille de Coin-du-banc et Joanie Lemieux, qui se cache derrière le recueil de nouvelles Les trains sous l’eau prennent-ils encore des passagers? (retrouvez la critique du livre dans un article paru précédemment). J’ai donc posé une série de dix questions aux deux jeunes femmes dans le but de mieux les connaître, mais aussi d’en apprendre d’avantage sur le métier d’écrivain et sur leur vision du métier.

«Voici mes réponses, peut-être nébuleuses, à tes questions qui m’ont profondément fait réfléchir sur le coup. J’ai choisi, comme d’habitude, de traiter cela par de l’écriture automatique. Alors c’est ce que ça donne! »

1- D’abord, qui êtes-vous? Et quel est votre cheminement en quelques mots?

Je m’appelle Marie-Ève Trudel Vibert et je suis née à Gaspé le 10 septembre 1983. Petite auteure, j’ai grandi à Coin-du-Banc, Corner of the Beach, un village aux portes de Percé bordé par une plage sauvage. Je suis l’aînée d’une famille de 4 enfants. Avec le rêve d’être écrivaine, mais le choix d’être enseignante, j’ai fait un DEC en sciences humaines au Cégep de la Gaspésie et des Îles (2000-2002). C’était avant d’entamer un BAC en enseignement du français au niveau secondaire à l’UQAR. Une session plus tard, je m’inscrivais au BAC en communication des relations humaines – psychosociologie (2003-2006). Diplôme en poche, j’ai travaillé dans un organisme communautaire (Aux Trois Mâts) comme intervenante psychosociale auprès de personnes alcooliques et toxicomanes. Après deux ans de terrain, j’ai décidé de déposer ma jeune pratique à la maîtrise en étude des pratiques psychosociales. En 2010, soit après un an de maîtrise, je me suis offert une retraite au Camp littéraire Félix à Pohénégamook. Cette expérience a réformé ma plume et nourri mon ambition. Après le Camp, il était temps pour moi d’effectuer un retour en terre natale et donc de mettre sur pause une thèse psycholittéraire naissante. Depuis, je suis conseillère au Carrefour Jeunesse-Emploi de Gaspé pour le programme IDÉO 16-17 où j’accompagne les jeunes adultes qui sont en cassure avec le système scolaire et ceux à risque de décrocher vers le chemin de l’autonomisation. De la mise en action. De la persévérance. De l’obtention du DES ou d’autres acquis. Et surtout, de la réalisation de leurs rêves.

En 2013, alors que les cloches de la trentaine tintent sans répit, je décide de réaliser MES rêves. Composés d’amour pour le monde oral gaspésien coloré de français et d’anglais, les actions communautaires et les problématiques sociales. Trop «psychosocio» sur les bords pour aimer l’étude des lettres et trop «écrivaine» en dedans pour être une intervenante psychosociale à temps plein, je choisis de lier ma passion d’écrire à celle d’aider mon prochain pour nourrir mon propre projet de vie: mon premier roman, La fille de Coin-du-Banc.

2- Pouvez-vous résumer l’histoire de votre première parution?

Marine Harbour vit l’arrivée de la quarantaine. Faire le bilan de sa vie, c’est relater les 20 dernières années à la fois vides de temps et pleines d’éternité. Soit depuis l’accouchement des jumelles nées le 10 septembre 1983, à Gaspé. Devenue mère avant l’âge adulte, Marine éduque ses filles avec la connaissance qu’elle a d’elle-même et du monde. Avec Hubert, son amoureux sur le mode longue distance. Avec Madeleine, sa mère, qui se mêle toujours de ses affaires. Avec sa meilleure amie, Catherine, qui habite à Montréal. Marine vit dans l’attente du voyage qu’elle fera pour souligner ses 40 ans. Elle est loin de s’imaginer qu’à force de résister, on tombe en résistance. Ses enfants la mettent en échec. Son conjoint, en état de manque perpétuel. Sa mère, en rupture familiale. La fille de Coin-du-Banc prouve que la mort et la renaissance se partagent souvent le même lit.

2-Expliquez votre sentiment d’appartenance envers votre région en tant qu’auteure. Avez-vous un mandat ou un besoin de clamer cette appartenance?

En fait, je ne crois pas être cette auteure – et avant tout cette femme – capable de se réaliser, de s’épanouir, de grandir, n’importe où. Certes, je suis ouverte sur le monde, sur les gens qui le composent et j’ai cet espace élastique du cœur et des bras pour accueillir un tas de gens différents dans ma région, dans mon village, dans notre  »chez nous ». Mais c’est ici que je suis née, ici que j’ai décidé de m’établir et ici que je bâtirai mon avenir. Actuellement, j’habite au centre-ville de Gaspé, à trente minutes de voiture de Coin-du-Banc, et je me trouve encore TROP éloignée de mon X. Il s’en est passées des choses dans mon village natal… C’est à l’adolescence qu’on érige nos contours identitaires. Dans mon cas, ça a été plutôt symbolique: je n’avais qu’à traverser la route pour sauter à la mer. Pour marcher des kilomètres de sable. J’ai évolué dans un monde restreint à esprit communautaire où on y vit une promiscuité d’hiver et une distance estivale. Je suis descendante des Vibert, c’est donc dire que le sang jersiais coule dans mes veines. Ma vie me dicte de respirer en toute liberté au bord de la mer. Je n’ai pas de mandat particulier; si j’en ai un, alors il est social plus qu’autre chose… C’est clair qu’ayant fait le choix de m’installer en Gaspésie, je décide de m’impliquer citoyennement, professionnellement, bénévolement. Tout ce qui s’y passe me touche, me titille, me chavire, m’inspire. La Gaspésie est tellement riche, en humain, en ressource, en développement, j’ai certainement l’ambition de la promouvoir autrement. Mais ce qui est sûr, c’est qu’en clamant mon appartenance, je clame d’abord mon existence.

3-Comment la Gaspésie inspire-t-elle votre écriture?

J’ai commencé à écrire à huit ans, dans une carte de fête des Mères. Puis, j’écrivais à la demande; des contes, des poèmes. Je n’avais rien d’autre à faire et pas mal de choses à dire. Est arrivé le cégep et les cours de philo, de psycho et de socio, suivis de l’université et les cours de communication, d’éthique, de phéno et de pratique d’aide. Plaçant l’Homme au cœur des débats. J’ai a eu l’envie de tomber sur mon cas. Sur «notre» cas à tous.

Mon inspiration vient de la solitude des week-ends d’hiver passés à Coin-du-Banc. De mes observations du comportement humain, de ma crise familiale, des vices que l’on crée, des émotions et des sentiments refoulés. Le non-dit, ça s’écrit. Les étapes de la vie qui font trembler, aussi. J’écris en écho à des émotions qui bouillonnent. Pour que ça résonne. J’écris pour tout le monde et pour personne. J’écris à qui de droit. Ma plume est active et mon temps psychologique. J’écris pour vivre et je vis occupée. Je pratique l’écriture automatique. Pour traduire ce que j’ai dans la gorge, dans les tripes. J’écris ce que je ne sais pas. Ce que je ne dis pas. Le fond rejoint la forme sur un ton oral. Gaspésien. J’écris et décris le quotidien. Le plate. La routine sans conte de fées. Les moments que l’on échappe. J’écris la vie des gens ordinaires. Ceux qui m’ont élevée, au rang de la petite auteure. J’écris les travers. Le mal-être. J’écris pour ne pas me faire exploser la tête.

Ma plume est infiltrée par le grand air, les vents sablonneux, la mer. Ponctuée de ma formation psychosociale, elle est engagée et persévérante. J’écris le bruit des mots dans un silence qui m’allège. J’écris ma douleur et mes perceptions. J’écris avec ironie, drame et exagération. J’écris pour dénoncer et pour chialer. J’écris pour le plaisir de le faire. Pour la satisfaction de conjurer un sort, sûrement le mien. Ou de m’en distraire. J’écris pour être puissante. Pour scander ma vie.

J’écris pour dépasser ma condition. Ma plume n’est pas mature. Forte de ma crise d’ado, elle grandira au fur et à mesure. Je l’accompagne humblement sur le chemin de la résilience. Pour sortir de cette obligation viscérale d’écrire ce qui m’écœure dans la vie. J’écris pour avoir une posture neuve. J’écris les possibles de mes déroutes. J’écris à partir de ce qui m’arrive et de ce que je décide d’en faire.

4-Vos personnages principaux sont des femmes, est-ce que vous vous identifiez à elles d’une manière ou d’une autre?

Je dirais que je m’identifie à tous les personnages autant féminins que masculins. Puisque c’est une autofiction, une partie de mon arbre généalogique est couchée sur papier, et donc, une énorme partie de moi. Je m’identifie plus clairement à Hubert et son père Paul de la façon dont ils vivent leur peine, leur deuil. Marine (le personnage principal) implose également à sa manière et choisit en toute conscience de subir sa vie plutôt que de saisir les opportunités. Le personnage de Pierrot quant à lui vit une existence effacée qu’on soupçonne d’être imaginaire. Dans mon roman, je parle de la difficulté de se mettre au monde et du long chemin de la résilience, sans différence de genre.

5-Que voulez-vous exprimer en donnant la parole à une majorité de personnages féminins?

Je n’ai pas l’impression de donner la parole à des personnages féminins plus que masculins. J’ai même le sentiment que les hommes parlent plus fort, en étant plus silencieux. Mon exercice a été de mettre à nu une dynamique familiale en disséquant les rôles de chacun. Alors tout le monde y passe! Peut-être qu’il y a une majorité de filles, mais c’est que ma famille est composée de plus de filles! 🙂

6-Votre travail amène-t-il un regard féministe sur le monde?

Je ne crois pas. J’y traite de l’être-au-monde. De l’être là. Point.

7-Que conseillez-vous aux jeunes écrivains en herbe qui aspirent à la carrière d’auteur?

De vivre. Bien entendu, c’est important la théorie, nécessaire de valider avec des mentors, de partager avec d’autres auteurs. Mais le souffle de l’écrivain est intimement lié à son souffle de vie. À la façon dont il ne fait pas que meubler son temps. Si l’écriture est portée par une ou des actions dépourvues d’appel, d’inspiration, d’émotion et de motivation, c’est peine perdue. Ces temps-ci, à titre d’éditrice, je lis beaucoup de manuscrits (et donc beaucoup d’auteurs) qui racontent mécaniquement une histoire incroyablement difficile. Leur écriture est lobotomisée alors que le récit ne demande qu’à vivre. Souvent, ce sont des gens qui utilisent l’écriture pour réparer quelque chose. Mais il ne suffit pas d’écrire. Comme il ne suffit pas de chanter. Il ne faut pas que cela suffise. Il faut que cela transcende.

8-Quelles sont les qualités qu’une œuvre doit avoir pour marquer son époque?

Être actuelle. Toujours. Être actuelle n’a pas d’époque; intemporelle. Être différente; s’éloigner du moule, être audacieuse. Une œuvre doit être en mesure de parler d’elle au-delà de son contenu.

9-Quelles sont vos figures marquantes de la littérature et comment ont-elles influencé votre vie et votre écriture?

-Dominique Demers avec Marie-Tempête. Elle m’a permis de faire la paix avec mon adolescence. Puis avec La où la mer commence pour la beauté, la Foi.

-Matthieu Simard avec Louis qui tombe tout seul et La tendresse attendra. Pour son écriture de gars que je jalouse, son intelligence, son petit-je-ne-sais-quoi terriblement romantique, dramatique. C’est un peu (beaucoup) mon idole.

-Nelly Arcan pour l’ensemble de son œuvre. Son propos. Sa dénonciation. La clarté de ses opinions. Son legs est social. On devrait l’étudier, s’en servir pour enseigner la littérature et le travail social…

-Sophie Bouchard avec Les bouteilles. Un livre où il y a la mer…

-Victor Hugo pour Le dernier jour d’un condamné. Et Hugo parce qu’il a existé! Aussi pour son exil à Guernesey (je me suis commandé les livres qu’il a écrits là-bas).

-Baudelaire pour Le Spleen.

-Michel Tremblay avec sa pièce Le vrai monde? L’oralité. Et justement le vrai monde.

-Dany Laferrière pour presque l’ensemble de son œuvre. J’aime qu’il réussisse à faire voir, à faire sentir et ressentir. On est toujours là où il se trouve, avec lui. J’ai l’impression de regarder par-dessus son épaule et par moment d’être ses yeux.

-Annie Ernaux pour Une femme, puis La honte. Pour le côté sociologique, pertinent, intelligent.

Je m’arrête là… il y en a trop!

10-Vous avez d’autres projets en cours, pouvez-vous m’en parler brièvement?

Je suis à l’écriture du roman intitulé provisoirement Princesse Jamie. Il ne s’agit pas d’une suite à proprement parler, mais plutôt d’une des nombreuses  »clés » que je souhaite offrir aux lecteurs pour comprendre La fille de Coin-du-Banc. Il ne s’agit pas d’une suite dans l’optique que chaque livre puisse être lu en toute autonomie du premier, du deuxième, du troisième, etc. L’histoire est celle d’une jeune femme de trente ans qui essaie de concevoir un enfant sans succès et qui doit vivre avec une infertilité non expliquée… à suivre!

J’espère que vous apprécierez autant que moi vous plonger dans les mots de Marie-Ève.

Pour entendre l’auteure citer un passage : http://www.lafabriqueculturelle.tv/capsules/3160/marie-eve-trudel-vibert-la-fille-de-coin-du-banc

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Louba-Christina Michel est une passionnée. Elle écrit depuis qu’elle sait comment faire et même avant, dans une sorte d’hiéroglyphes inventés. Et dessine depuis plus longtemps encore, elle a dû naître avec un crayon dans la main. Elle est transportée par tout ce qui touche à la culture et dépense tout son argent pour des livres et des disques (hey oui!). Elle prend beaucoup trop de photos de son quotidien, depuis longtemps. Des centaines de films utilisés attendent d’être développés dans des petites boîtes fleuries. Sa vie tourne autour de ses grandes émotions, de ses bouquins, de l’écriture, de l’art, du café et maintenant de sa chatonne princesse Sofia. Après une dizaine d’années d’errance scolaire et de crises existentielles, entre plusieurs villes du Québec, elle est retournée dans son coin de pays pour reprendre son souffle. Elle travaille présentement à un roman et à une série de tableaux.

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