Réflexions littéraires
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Portrait d’un être fictif : Le cas de Lyra (Partie 1)

‘I prefer a girl hero.’

‘I always wished I was an orphan. Most of my favorite characters are. I think their lives are more special.’

-Suzy de Moonrise Kingdom.

J’étais un peu comme Suzy Bishop lorsque j’avais son âge. Une enfant perturbée ne sachant pas trop qui elle est et où elle va. En quête constante d’une place où se poser. Or, comme elle, je me connaissais un intérêt particulier pour les livres et les histoires enchantées. Je cherchais des modèles à travers la littérature et c’est bien souvent eux qui me faisaient prendre conscience de ma non-solitude. Entourée de ces personnages fictifs, je me sentais soudainement au bon endroit. Comme elle, je préférais les héroïnes, mais j’avais de la difficulté à les trouver parmi le lot de personnages masculins. Comme elle, plusieurs de mes personnages favoris étaient orphelins et il m’est arrivé à quelques reprises de les envier honteusement.

En somme, j’étais une enfant assez discrète et il pouvait s’avérer très ardu de tenter de comprendre ce qui se passait derrière ces grands yeux bruns. En revanche, m’offrir un cadeau de Noël était toujours une tâche facile : vous n’aviez qu’à penser à un livre. Tous le savaient puisque je ne quittais pas la maison sans un bouquin en main.

Ma première rencontre avec Lyra Belacqua remonte donc à ce fameux soir du 24 décembre, je devais avoir dix ou onze ans. Nous fêtions le réveillon dans la famille de ma belle-mère (vous pouvez percevoir mon enthousiasme) et j’avais passé la plus grande partie de la soirée couchée sur le divan derrière les pages d’un livre. C’est alors que cette grand-mère, qui n’était pas la mienne, m’a offert le premier tome d’À la croisée des mondes, Les royaumes du Nord, de Philip Pullman.
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D’emblée, la couverture présentant une jeune fille chevauchant un ours polaire a tout de suite attiré mon attention. Il n’en fallut pas plus pour oublier l’ancien bouquin (je ne me rappelle plus celui-ci) et reprendre ma position initiale sur le sofa pour me plonger dans une nouvelle aventure.

Dès les premières pages, Lyra comblait tous mes désirs. En plus d’être une héroïne, elle n’avait pas de parents. Elle était une fille dans un univers d’hommes puisqu’elle habitait Jordan College, un des établissements les plus prestigieux de l’université d’Oxford. Or, Lyra n’était pas là pour jouer les Érudits ou même pour étudier la théologie. Lyra y jouait plutôt les barbares et rien ne pouvait me plaire davantage dans son attitude de jeune fille désinvolte :

« Par bien des côtés, Lyra était une barbare. Ce qu’elle aimait par-dessus tout, c’était escalader les toits du Collège avec Roger, le marmiton, son meilleur ami, et cracher des noyaux de prune sur la tête des Érudits qui passaient en dessous, ou imiter les ululements de la chouette derrière une fenêtre, pendant que se déroulait un cours; ou encore courir à toute allure dans les rues étroites de la ville, voler des pommes sur le marché, ou livrer bataille. » (Les Royaumes du Nord, p. 49)

Lyra était une vraie combattante. Son passe-temps favori : livrer bataille aux enfants de gitans, et lorsqu’elle montait son armée, la jeune fille était toujours en tête. Lyra vivait donc dans un monde masculin : elle demeurait parmi les Érudits de Jordan College, mais elle ne jouait également qu’avec les garçons ou presque. Dès lors, je me revois chevaucher un vélo dans les grands chemins de boue de mon quartier accompagnée de tous les jeunes garçons du coin. J’avais enfin trouvé un alter ego.

Malgré son penchant barbare et hors-la-loi, Lyra se voulait une jeune fille fort intelligente et à la curiosité profondément développée. Par conséquent, dès qu’elle entend son oncle, Lord Asriel, faire un exposé sur la poussière et ses pouvoirs, elle entreprend d’en apprendre davantage sur le sujet. D’autant plus que des rumeurs circulent dans la ville. Il semblerait que des enfants commencent à disparaître mystérieusement. Or, la quête de la grande Lyra débute véritablement lors de la disparition de son meilleur ami, Roger. Événement intimement lié à la rencontre de Lyra avec la majestueuse Mme Coulter. Ces deux événements permettaient de mettre en lumière deux caractéristiques importantes constituant la personnalité de Lyra. D’une part, l’attitude de Lyra quant à la disparition de Roger démontrait la grande loyauté qui habitait la jeune fille. Pour un ami, elle était prête à tout. D’ailleurs, il est possible de le constater tout au long de la trilogie. Elle effectue un grand périple dans le Nord pour secourir son meilleur ami. Il va même jusque dans le monde des morts pour se faire pardonner l’un des gestes qu’elle a commis et qui a engendré la mort de Roger. D’autre part, Lyra se laisse facilement impressionner par les aventuriers et les gens au parcours de vie périlleux. La preuve : la jeune fille est complètement obnubilée par Mme Coulter :

« Et voilà : plus rien ni personne d’autre n’existait désormais aux yeux de Lyra. Les yeux fixés sur Mme Coulter, avec une fascination respectueuse, elle l’écoutait raconter ses histoires où il était question de construction d’igloos, de chasse au phoque et de négociations avec les sorcières de Laponie. » (Les Royaumes du Nord, p. 89)

Parce que l’univers de Lyra, ce n’est pas le nôtre. Il est fantastique et irréel. Les sorcières volent sur des bouts de branches. Des ours en armure règnent sur des terres du Nord. Un instrument nommé l’aléthiomètre permet de révéler toutes les vérités à celui qui sait le manier. Lyra détiendra ce don. Comme elle me rendait jalouse. Mais surtout, chaque être humain possède un daemon qui s’avère être une partie de l’âme prenant la forme d’un animal. Avant la puberté, le daemon peut changer constamment de forme. Or, dès un certain âge, il adopte un aspect définitif en lien avec la personnalité et le caractère de l’individu qu’il accompagne.

À l’époque, je fus immédiatement frappée par ce concept. Je voulais ce petit être qui serait une partie de moi. Je vivais alors pleinement le manque de ce double extérieur à moi. Heureusement, j’avais la littérature.

C’est donc grâce à son courage, sa détermination et son arrogance accrue que Lyra réussit à devenir ami avec un Iorek Byrnison, un ours en armure qui la baptise Lyra Parle-d’Or. C’est également grâce à sa personnalité hors pair que Lyra sauve les enfants des Enfourneurs qui tentent de séparer les daemons de leur petit à Bolvangar, ce qui, sachez-le, entraîne la mort de l’âme. Dans son aventure, elle use constamment de stratèges, de finesse et d’une ruse implacable pour atteindre ses objectifs. Elle est bien entendu aidée de plusieurs autres protagonistes tels que les sorcières, les gitans et un navigateur de zeppelin à l’air espiègle nommé Lee. Or, c’est grandement grâce à son charme, à ses convictions et à son attitude de battante qu’autant de gens décident de se ranger du côté de la jeune héroïne.

Je fais une courte pause ici pour soulever un élément important dans ma lecture de la trilogie. Étant jeune, je me suis arrêtée à la lecture du deuxième tome. Je ne sais pas trop pourquoi. Je m’y suis remise très récemment puisque deux de mes amies ont fait renaître en moi cet univers qui m’avait charmée dès les premières lignes. Annie et Emy, je vous en serai éternellement reconnaissante. C’est qu’un nouveau regard se portait sur cette histoire. Je viens tout juste de terminer le troisième tome et je n’aurais pas tout saisi si je n’avais pas été une jeune femme follement amoureuse de l’homme de mes rêves. Je m’explique… dans la deuxième partie de cet article qui sera publiée au mois de février. Avouez que vous aimez le suspense.

Crédit photo : Michaël Corbeil

Les Royaumes du Nord, À la croisée des mondes, Philip Pullman, Gallimard, 1998, 482 pages.

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Mais qu’importe l’éternité de la damnation à qui a trouvé dans une seconde l’infini de la jouissance?» (Charles Baudelaire, Le Spleen de Paris) Les vers de Baudelaire auront été la source de son épanouissement en tant que bizarroïde de ce monde. La poésie, Marika la vit au quotidien à travers tous les petits plaisirs qui s’offrent à elle. Une grimace partagée avec une fillette dans le métro, la fabrication d’un cerf-volant dans un atelier strictement réservé aux enfants, un musicien de rue interprétant une chanson qui l’avait particulièrement émue par le passé, lui suffisent pour barbouiller le papier des ses pensées les plus intimes. Chaque jour est une nouvelle épopée pour la jeune padawan qu’elle est. Entre deux lectures au parc du coin, un concert au Métropolis et une soirée au Cinéma du Parc pour voir le dernier Wes Anderson, elle est une petite chose pleines d’idées et de tatouages, qui se déplace rapidement en longboard à travers les ruelles de Montréal. Malgré ses airs de gamine, elle se passionne pour la laideur humaine. Elle est à la recherche de la beauté dans tout ce qu’il y a de plus hideux. Elle se joint au Fil Rouge afin de vous plonger dans son univers qui passe des leçons de Star Wars aux crayons de Miron en faisant un détour par la voix rauque de Tom Waits et le petit dernier des Coen. Derrière son écran, elle vous prépare son prochain jet, accompagnée de son grand félin roux, d’une dizaine de romans sur les genoux et d’un trop plein de culture à répandre

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