Les amateurs et les amatrices de lecture n’auront pas toujours le réflexe de lire des pièces de théâtre. C’est assez compréhensible; sans avoir sous nos yeux les acteurs et les actrices, les décors, la mise en scène, on peut avoir l’impression de manquer une partie du spectacle quand on se retrouve devant un texte dramatique.
Pourtant, je vous invite à lire du théâtre en tant qu’objet littéraire en soi. Bien sûr, il nous manque la gestuelle, que les didascalies ne font que suggérer, bien sûr on ne peut qu’imaginer les costumes que nous décrit le ou la dramaturge. Par contre, le texte dramatique est une écriture hautement travaillée qui mérite qu’on s’y attarde pleinement.
Par exemple, j’ai lu la pièce de théâtre J’accuse d’Annick Lefebvre avant d’aller voir la représentation au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui. La pièce, composée de cinq longs monologues, est truffée de jeux de mots intéressants, de figures de style, de renvois et de références truculentes qui m’auraient sans doute échappé si je n’avais pas lu le texte avant de voir la mise en scène. Les monologues rythmés et intelligents résonnent particulièrement bien sur scène dans la bouche des comédiennes, mais justement, ils sont si intéressants, qu’ils valent la peine d’être publiés et lus, partagés auprès de tous ceux qui n’ont pas vu le spectacle. Si la représentation théâtrale est éphémère, le texte en est le témoin éternel.
« […] je sais le nombre de pâtes sauce néant que je vais devoir engloutir mensuellement pour me renflouer. Pus jamais être rattrapée par les échéances rapprochées des comptes payables, les changements de tarification d’Hydro-Québec pis l’augmentation de la passe de transport qui fait la passe au commun des usagers qui encaissent les coups pis les coûts, sans véritable riposte à part quelques insignifiances beuglées à haute intensité à la tribune du presque charismatique Mario Dumont à TVA. » (Annick Lefebvre 2015 : 10)
Autrement, le texte dramatique peut très facilement flirter avec la poésie : c’est le cas de la pièce 4.48 Psychose de Sarah Kane, dramaturge britannique. C’est une pièce bouleversante en vers libres dont la typographie sur la page est très raffinée. Si le texte de théâtre perd parfois l’essence de la mise en scène, cette dernière peut également échouer à représenter parfaitement le texte. Dans un cas comme dans l’autre, aucun objet artistique n’est meilleur que l’autre; ils sont simplement deux angles d’approche pour un même projet artistique.
Pourquoi alors ne pas considérer le texte dramatique et la représentation théâtrale comme deux objets indépendants et égaux? Le texte n’est pas le résidu fade du théâtre, c’est simplement son double, différent et tout aussi intéressant. Pourquoi aussi ne pas voir le texte dramatique comme un vecteur vers la postérité? C’est grâce à lui qu’on connaît aujourd’hui le théâtre de Molière, de Racine et de Goethe et qu’on rejoue leurs chefs-d’œuvre depuis des siècles. Si les mises en scène se suivent sans se ressembler, le texte dramatique est le dénominateur commun à travers les temps.
Pourquoi ne pas enseigner davantage de dramaturgies dans les cours de littérature? Il me semble que tous les genres se valent, chacun avec leurs caractéristiques propres, leur histoire, leur canon et leurs auteurs et autrices phares. En plus, le théâtre se lit souvent assez rapidement, l’idéal pour des étudiants pressés. On retrouve des comédies tordantes, des drames déchirants, de quoi plaire à tous. Ne serait-ce pas une façon d’intéresser les élèves dans les cours de littérature obligatoires du secondaire et du cégep? En plus, couronnez le tout par une sortie au théâtre, c’est la meilleure façon de lire et de vivre la littérature.
Et vous, lisez-vous du théâtre? Vous pouvez vous inspirer des fileuses juste ici ou encore ici.