Littérature étrangère
Comments 2

Toutes ces vagues qui passent

La mer…

Celle de Trenet, celle des îles perdues ou des pays submergés. Celle de mes premières vacances, celle de mon premier voyage en solo, celle où je tente à chaque occasion d’écrire le courant de ma vie. 

Ce sentiment étrange qu’elle nous inspire, la mer. À chaque moment où nous la retrouvons, nous sommes subitement plongés dans un état de nostalgie totale et d’émerveillement. Car si la mer s’offre à nous plusieurs fois dans une vie, notre perception de celle-ci peut changer selon le lieu où nous la redécouvrons. Elle définit à la fois notre rapport au temps et à notre culture. La mer, c’est cette sensation sans égale, cette vague d’amour et de peur qui nous brusque et réussit à nous calmer en même temps. C’est le plus beau spectacle qui s’offre à nous d’une certaine part, mais aussi le spectacle auquel autant de gens différents peuvent assister. Elle est l’hôte de nos vies. Habité par la tristesse de l’hiver et de tous les maux qui peuvent l’accompagner, j’ai été prise en charge par des amis qui m’ont parlé longuement et passionnément de Océan mer d’Alessandro Baricco. Portrait fascinant que d’observer l’émoi commun d’étrangers pour une seule et même œuvre. À chaque témoignage, j’ai pu voir le même regard dans les yeux de différentes personnes ; ce regard rempli de compassion et de tendresse.

Là où la mer commence et passe

Sept personnages aux passés et aux ambitions complètement différents se retrouvent à la résidence Almayer. À l’autre bout du monde, un spectacle étrange et fascinant s’offre à eux ; la mer dans toute sa beauté. On ne sait où elle commence et où elle se termine, et pourtant, ces sept personnages trouveront en elle le courage dont ils ont besoin pour affronter les histoires qui les définissent. Ode à la vie et à l’amour, Océan mer est de loin un des plus beaux romans qui m’ait été permis de découvrir.

«Tu sais ce qui est beau, ici ? Regarde : on marche, on laisse toutes ces traces sur le sable, et elles restent là, précises, bien en ligne. Mais demain tu te lèveras, tu regarderas cette grande plage et il n’y aura plus rien, plus une trace, plus aucun signe, rien. La mer efface, la nuit. La marée recouvre. Comme si personne n’était jamais passé. Comme si nous n’avions jamais existé. S’il y a, dans le monde, un endroit où tu peux penser que tu n’es rien, cet endroit, c’est ici. Ce n’est plus la terre, et ce n’est pas encore la mer. Ce n’est pas une vie fausse, et ce n’est pas une vie vraie. C’est du temps. Du temps qui passe. Rien d’autre. »

À la fois fantaisiste, absurde et poétique, Océan mer s’offre à nous avec énormément de générosité. Récit d’aventures où la mer tient le rôle principal, on nous plonge dans différents états qui finissent tous par se relier et se compléter les uns aux autres. C’est une œuvre empreinte d’une beauté sans égale qui réussit à capter chaque parcelle marquante dans le courant d’une vie. On passe par une vague complètement diversifiée d’émotions tout au long des deux cents et quelques pages et ce, toujours avec beaucoup d’intensité et de délicatesse. Alessandro Baricco parvient à nous surprendre par la diversité de son propos et par son éloquence. Abordant des thèmes aussi larges que la mort, la passion ou bien la maladie (pour ne nommer que ceux-ci), on joue avec l’imaginaire du lecteur pour l’amener sur une voie étrangère et pour ne pas le laisser sombrer dans l’ennui. Tout est surprenant dans cette lecture. C’est un changement de direction constant et réussi avec brio. Ainsi, le tout nous semble léger, doux, mais surtout paisible. On a parfois l’impression que l’auteur découvre lui même ses fascinants personnages au fur et à mesure, même s’il sait très bien où il s’en va. Et là réside la plus grande force de l’auteur : son talent de conteur. Les yeux grands ouverts, les larmes aux yeux ou le sourire accroché aux lèvres, on ne peut se passer de ces mots et de la courbe vers laquelle ils nous amènent. Comme quoi l’enfant en nous est toujours bien présent lors d’une lecture captivante.


À mille lieues d’ici


Dès le départ, on ne sait trop où se situer. Abordant un ton absurde dès les premières lignes, on a l’impression que les personnages se moquent de nous, procédé qui rappelle le style de Beckett. Et pourtant, selon les chapitres et les personnages, les styles varient et évoluent. Si bien qu’on plonge parfois dans la prose, l’anecdote ou dans le dialogue. Il y a aussi ce non-lieu, maison de personnages diversifiés et mystérieux. En effet, la résidence Almayer s’offre à nous comme une maison des fous, mais comme des fous qui connaissent tout ce dont nous avons trop peur d’aborder. Il y a quelque chose de complexe et de foudroyant dans ce lieu de rencontre, habités par ces sept personnages tous plus attachants les uns des autres et par ces enfants magiques, présentés comme les anges gardiens de la résidence. Aucune histoire ne passe inaperçue ou ne semble déteinte d’intérêt. Si on est touché par la fragilité de Elisewin ou l’absurdité de la vie de Bartelboom, on est également happé par la foudroyance de la deuxième partie du livre. En effet, l’œuvre étant séparée en trois chapitres, elle nous permet de découvrir les personnages, leur évolution et d’accéder au moment où la mer les séparera les un des autres.

«Tourne ton regard vers la mer. Moi, je ne suis plus rien. Elle ne m’appartient plus, mon âme, elle ne m’appartient plus, ma vie, ne me vole pas, avec ces yeux-là, ma mort.»

Le dernier chapitre est particulièrement marquant par sa forme, son engagement et sa sensibilité. Les larmes aux yeux, on voit la résidence s’ensevelir sous l’océan, ne nous laissant plus que l’immensité du monde et de l’humanité à observer. Océan mer nous amène une perspective différente sur notre rapport humain et sur notre relation avec la nature qui nous entoure. C’est une «claque» en pleine face, un appel à l’éveil pour enfin accepter le beau qui nous entoure et ses répercussions sur les passages sombres de nos vies.

«Le destin n’est pas une chaîne mais un envol.»

Encore mi-éveillée par ce songe, je garde précieusement cet œuvre comme lecture de chevet spontanée. L’impact des mots d’Alessandro Baricco est unique et universel. Si bien que j’ai la certitude que chaque individu peut y trouver une manière de consolider sa tristesse éphémère et l’espoir qui se dégagent de l’œuvre. On termine la lecture avec l’impression d’être partie en voyage avec ses personnages, chamboulé par l’impact qu’ils ont eu sur nos vies de lecteurs. Océan mer est une œuvre philosophique et nostalgique qui réussit à capter parfaitement l’importance du moment présent et son impact sur le courant de nos vies. C’est un livre qu’il faut chérir et partager secrètement. Car une fois qu’on tombe sous le charme d’Océan mer, on réussit à trouver dans le regard de celui ou celle qui l’a lu le même émerveillement qui nous a habités lors de notre lecture.

Le printemps est maintenant bien installé et les douleurs de l’hiver s’évaporent à force de voir les journées s’allonger. Les livres nous sauvent à leur manière, ils nous permettent de nous évader, de trouver réconfort dans une réalité différente de la nôtre. Parfois mieux, parfois pire. Mais c’est grâce à eux que nous réussissions, une fois le livre terminé, à nous réfugier dans la réalité et à trouver la force de l’affronter. 
Océan mer, tu fus mon éveil du printemps.

Et vous, quels livres vous ont réconfortés en période de bouleversement ?

This entry was posted in: Littérature étrangère

par

Amoureuse de la littérature depuis qu'elle est haute comme trois pommes, Marie-Laurence se décrit comme une grande passionnée des mots et de leurs impacts sur la société. Comédienne à temps plein, cinéphile et musicienne à temps partiel, elle ne sort jamais de chez elle sans être accompagnée d'un livre. Elle est chroniqueuse au sein de l'équipe des Herbes folles, l'émission littéraire de CISM 89,3 FM. Elle partage sa vie entre son ardent désir d'écrire, son amour pour le jeu, ses combats constants pour ne pas repartir en voyage, le monde brassicole, la politique (parfois elle s'emporte même), George Gershwin et le café, beaucoup de café.

2 Comments

  1. Je trouve ton article tellement beau et puissant dans les mots et l’imagerie que tu emploies pour évoquer ce songe éveillé qu’est Océan Mer. J’ai toujours eu envie de le lire ; déjà totalement éprise des Vagues de Virginia Woolf et de son flux de conscience, de la Fascination de l’Etang, de la Psychanalyse des Rêves de Bachelard et de son analyse de l’élément aquatique dans l’oeuvre de Poe (eaux stagnantes et mélancholiques), Rimbaud (courants vivifiants)… Ces lectures aquaphiles m’ont toujours fascinée, et certainement pour ce que tu as si justement pointé du doigt : le fait que la mer ne soit ni une vraie ni une fausse vie, qu’elle efface, la nuit, et qu’elle symbolise un perpétuel recommencement, ou plus largement l’écoulement du temps (ça m’évoque aussi Les Fragments d’Héraclite). Je crois que ce genre de lecture confirme un peu plus mon désir viscéral de vivre près de l’océan ou de la mer. J’y ai grandi, et cela me manque depuis presque 10 ans.
    Encore merci pour ta sublime critique, pour tes mots si précieux et poétiques qui ont mis en lumière tout la poésie lyrique et existentielle de cet étonnant ouvrage.

    Aimé par 1 personne

  2. Ping : Soie d’amour | Le fil rouge

Laisser un commentaire

Entrer les renseignements ci-dessous ou cliquer sur une icône pour ouvrir une session :

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s